Depuis qu'elle était revenue à la Colonie sous une nouvelle identité et plus en forme, Isalyne n'avait pas pensé dans un premier temps à contacter Angel Roy, un fils d'Hadès psychiatre qui avait accepté de la suivre au début, avant qu'elle n'aille au fin fond de Brocéliande. Et en revenant, l'idée d'aller le voir ne l'avait pas du tout effleurée, mais ce fut quand elle se retrouva mariée et enceinte jusqu'aux yeux qu'elle se rappela de son existence. Confuse, elle composa le numéro du cabinet, se présenta comme l'une des patientes du docteur Roy, et demanda un rendez-vous en urgence. Elle remercia la secrétaire lorsqu'elle lui annonça qu'il était disponible toute l'après-midi, nota le rendez-vous sur un papier pour quinze heures et raccrocha pour aller se préparer. La vie de jeune mariée enceinte n'était pas de tout repos, croyez-le, croyez-le pas.

L'heure fatidique finit par arriver, et grâce aux chaussures ailées qu'elle portait systématiquement, elle se retrouva en ville pour rejoindre le cabinet d'Angel. En privé, elle pouvait se permettre de le tutoyer et de l'appeler par son prénom, mais en public "mortel", elle l'appelait "docteur" et le vouvoyait. Ça lui ferait bizarre, après plusieurs mois sans suivi, de reprendre cette habitude... Et elle lui soumettrait l'idée d'avoir un cabinet plus proche de la Colonie, le centre-ville c'est bien mais moyen pratique quand on est une femme enceinte.

Arrivant au cabinet, elle fut accueillie par la secrétaire qui la fit s'asseoir dans la salle d'attente, le temps qu'Angel finisse sa consultation, et veilla à ce qu'elle se sente au mieux vu son état, ce qu'Isa apprécia. Quand elle finit par voir la porte s'ouvrir pour laisser la place à Angel et son patient, elle se leva un peu précipitamment, manquant de renverser la chaise au passage, et se dirigea vers lui pour lui serrer la main avant d'entrer sur son invitation dans le bureau. Elle attendit qu'il ferme la porte pour lui lancer :

Je suis désolée, ça fait un moment que je ne suis pas venue... Merci d'avoir pu me prendre si tôt.

Elle sourit lorsqu'Angel lui répondit avec un sourire, sincèrement content de la voir :

J’ai toujours de la place pour mes amies. Tu as bien meilleure mine que la dernière fois où l’on s’est quittés… Isalyne.

Elle s'installa face à lui après avoir retiré son manteau et lui répondit :

Depuis que je suis partie, il s'en est passé des choses. Et je crois que tu as le droit de savoir, le plus détaillé possible.

Elle marqua un léger temps d'arrêt, le temps de remettre ses idées en place, puis demanda :

Mais avant, j'aimerais savoir comment tu vas ? Après tout, pendant ces quelques mois je n'ai pas cherché à prendre des nouvelles, pensant me faire oublier...

Elle attendit la réponse, puis se cala au fond de son fauteuil, légèrement gênée par son état de femme enceinte, et reprit :

Si tu te souviens, la dernière fois je n'étais pas au mieux de ma forme. J'ai donc fini par fuir la réalité pour me réfugier à Brocéliande, là où je suis née et où j'ai vécu jusqu'à mes douze ans. J'y ai survécu comme j'ai pu, revenant à des instincts primaires pour assurer ma survie et mes arrières, persuadée que plus rien ne serait comme avant et que je n'étais pas prête à y faire face.

Isalyne marqua un temps d'arrêt pour reprendre une voix plus posée, maîtrisée :

J'ai fini par retrouver mon frère Cal et sa compagne, Adriane, ou plutôt c'est lui qui m'a retrouvée. Et notre discussion m'a amenée à confirmer le fait que je ne pouvais pas faire face à ce que j'avais vécu... C'était sans compter Artémis, qui a su me ramener dans le droit chemin en échange d'un petit temps passé à la Chasse avec elle et ses Chasseresses.

Même si elle se vantait pas de sa vie entre parenthèses, elle ne put qu'afficher un air détendu et fier à la fois en posant sa main sur son ventre rond :

Tout ça, pas grand-monde ne le sait. Au moins Warren et tous ceux qui me sont proches le savent. Pour les autres, j'ai juste eu un moment de faiblesse et que je suis revenue plus forte et plus vivante, sans savoir les détails.

C'était dire la confiance qu'elle avait en le fils d'Hadès, au-delà de son statut de psychiatre...

Bien calée dans son siège, Isalyne laissa un sourire se dessiner sur son visage après qu'elle eût raconté son histoire. Elle se sentait réellement bien après avoir vidé son sac et soulagé son cœur à celui qu'elle considérait plus comme un ami qu'un véritable psychiatre. Angel la regarda droit dans les yeux, pour voir la fierté qui y brillait, et sourit en lui lançant :

Je suis content que tu me l’aies dit. Tu t’en aies sorti Isa, et ça fait chaud au cœur. Ça se voit, tu es resplendissante ! Mais bon, je me dois de te demander, sinon, je ne ferais pas mon boulot.

Ah. La fameuse question. Isalyne resta de marbre alors que la question franchissait les lèvres d'Angel qui la regardait avec sérieux :

Tu n’as plus de cauchemars ?

La jeune femme posa une main sur son ventre, songeuse. De fait, même avec la bénédiction de sa tante, les cauchemars ne l'avaient pas totalement quittée. Disons qu'ils étaient beaucoup moins fréquents qu'à une époque. Poussant un soupir, elle répondit franchement :

Si, toujours. Mais ils sont beaucoup moins fréquents et moins violents. J'arrive quand même à dormir un peu, c'est déjà ça.

Elle se redressa pour se rapprocher du bureau avant de souffler, les yeux brillants de rage :

Mais je pense que je ne dormirai sur mes deux oreilles que lorsqu'elle sera totalement disparue de la surface de cette planète.

Par elle, Isa entendait la Résistance, responsable de tous ses maux. Même si Warren pensait demander la paix, même si elle respectait cette idée, elle ne pouvait pas se résoudre à l'idée qu'un bon Résistant est un Résistant mort, et que la Colonie et l'Olympe ne seraient pas en paix, susceptibles d'être victimes d'une traîtrise de la Résistance.

Isalyne soutint le regard d'Angel, qui sourit alors qu'il lui répondait :

Ne t’en fais pas. Plus le temps passe et plus les conséquences des attaques résistantes se révèlent. Je croise de plus en plus de demi-dieux avides de vengeance. Ils ne resteront pas longtemps impunis. L’époque où ils jouaient de la surprise est terminée. Les gens se relèvent, et s’organisent. Je sais que certains Alliés ont un espoir de paix. Mais ils ont torts.

Ah, oui. Cette histoire de paix négociée avec la Résistance par Warren, entre autres, avait fait hausser un sourcil à Isalyne quand elle avait été mise au courant par son mari, mais de par sa grossesse elle n'avait pas pu participer, et elle avait décidé de lui faire confiance, avec une pointe - grosse - d'appréhension. Comme si quelque chose, une angoisse sourde, restait tapie dans l'ombre, prête à lui rappeler son existence de manière violente et inattendue.

Elle laissa Angel continuer, voyant la même rage qu'elle brûler dans ses yeux :

Je ne les comprends pas vraiment à vrai dire. Une paix serait illusoire. Un bon Résistant est pire que le pire des Alliés. Une paix entre nous est impossible, ils nous trahiront à la moindre occasion. Et beaucoup de demi-dieux s’en sont aperçus. Alors, bientôt, nous la détruirons.

La fille d'Hermès resta muette quelques secondes, avant de temporiser :

Pour l'instant, ne faites rien. Déjà moi je suis immobilisée, normalement ils devraient arriver bientôt mais j'aurais quand même besoin de me reposer après eux, mais vous qui êtes valides, attendez.

Elle marqua une pause avant de sourire franchement :

Je propose qu'on rediscute de tout ça une fois que mes jumeaux seront nés, ça devrait arriver relativement vite. Mais je t'avoue que je ne suis pas forcément confiante pour la suite.

Effectivement, même si elle respectait l'initiative de son mari, elle sentait que c'était voué à l'échec. Et si ça l'était réellement, il n'y aurait qu'Angel et les autres demi-dieux revanchards pour prendre la relève et protéger la Colonie... L'inquiétude se marqua de nouveau sur son visage sans qu'elle essaye de la masquer, elle était en confiance dans ce cabinet, elle ne risquait rien. Ni elle, ni ses louveteaux à venir.

Elle releva la tête quand Angel lui lança :

Tu n'as rien à craindre, on trouvera un moyen de vous mettre en sécurité. On achèvera cette guerre le plus rapidement possible et tu les verras grandir normalement.

Voir ses petits grandir normalement... Dans un monde moins en guerre que celui-là - il valait mieux ne pas se mentir, les mortels eux-mêmes se tapaient aussi facilement dessus, en parallèle de la guerre entre demi-dieux - ce serait l'idéal, mai il lui faudrait se battre pour leur offrir cet idéal. Et ça lui donna une nouvelle motivation dans l'idée d'Angel.

Elle sourit quand il lui prit la main et reprit avec un sourire tranquille :

Repose-toi jusqu'à ton accouchement, les choses s'organisent petit à petit, on verra à quelle allure cette histoire avance.

De toute façon, je n'ai pas tellement le choix que d'attendre... Tu me tiendras au jus, s'il te plaît ? Peu de chances que je bouge de la Colonie même après l'accouchement, répondit Isalyne avec un sourire en se levant de son siège tant bien que mal, avant de tendre la main. Ce fut un réel plaisir de te revoir, Angel. J'espère que la prochaine fois je serai davantage en état d'écouter tes plans. Je te dois combien pour la séance ?

Elle lui serra assez fort la main pour lui témoigner son amitié, avant de ramasser ses affaires et d'attraper un moyen de paiement, afin de régler en bonne et due forme la séance avant de rentrer à la Colonie. Si elle n'avait pas vraiment de doute sur la volonté d'Angel de l'avoir à ses côtés pour réduire à néant la Résistance, quitte à tenter de la manipuler, elle comptait bien embrasser la cause si jamais ça dérapait. Et quelque chose lui disait qu'elle aurait raison sur ce coup-là.