Discutons Affaires !

Ashleen faisait désormais face à un homme bien plus âgé qu'elle, et encore, elle n'avait pas la moindre idée de qui il était réellement. Il lui rendit une salutation distinguée et lui saisit sa main. Une bref poignée de main suffit à la jeune femme pour savoir que c'était un homme d'affaire accompli. Ashleen n'avait pas manqué de remarquer lorsqu'elle avait acheté le matériel de cuisine que cet homme se faisait appeler "Jo Vis", et ne sachant pas si était un surnom pour faire de la pub ou bien son vrai nom, elle savait pourtant que c'était un des nombreux épithètes de Zeus dans la mythologie. N'oublions pas qu'Ashleen est une fervente amatrice de tout ce qui peut s'apprendre par coeur.

" - Pardonnez-moi de vous déranger, mais je fais le tour des restaurants pour voir s'ils utilisent mes produits et s'ils en sont satisfaits. Et au-delà de ça, je pensais me lancer moi aussi, histoire de varier mes activités, mais je pensais..."

Ashleen haussa un sourcil. Bien sur, ils étaient très satisfaits de ses produits, qui pour l'instant n'avaient présentés aucun défaut dont la jeune femme avait connaissance. Elle avait sélectionné les ustensiles elle-même avec le chef, et elle était plutôt contente de l'investissement, espérant que sur le long terme cela serait vite remboursé, ce dont elle ne doutait pas. Il avait marqué un temps d'arrêt qui finit d'intriguer Ashleen. Elle avait trouvé étrange que le PDG d'une entreprise se déplace pour voir  comment se portaient ses clients et s'ils étaient contents, mais il lui sembla que la véritable raison de la présence de Monsieur Vis, allait lui être dévoilée.

" - Je pensais vous demander des conseils. Je me suis renseigné, votre restaurant est une perle, vous devriez probablement servir de modèle à beaucoup d'autres qui veulent se lancer dans l'aventure... Seriez-vous prête à m'accorder de votre temps pour me dispenser vos conseils avisés ?"

Elle haussa les sourcils avec une mine surprise, puis se ressaisit. On lui demandait des conseils à elle ? La petite Ashleen Roosevelt de la 3ème rue de Brooklyn ? Un homme richissime venait lui demander conseil. Elle se gifla intérieurement. Il fallait rester professionnelle même si elle était flattée. La jeune femme hocha la tête :

" - Bien sur, suivez moi dans mon bureau nous serons mieux pour discuter. Excusez le serveur de ne pas vous avoir proposé un siège, il est nouveau il apprendra."

Disant cela, elle l'invita à le suivre d'un geste de la main et monta les escaliers qui menaient à son bureau. Là, elle le fit entrer dans son vaste bureau, Ethan avait vu les choses en grand, où l'on pouvait voir une grande penderie, plusieurs armoires pour ranger des dossiers, un canapé et une table basse avec des fauteuils, mais aussi un immense aquarium et enfin, le bureau d'Ashleen, noir et large. Enfin, il y avait bien sur cette grande baie vitrée qui lui permettait de tout voir depuis son bureau dans la salle de restauration avec un beau surplomb. La vitre était en miroir de l'autre côté, de sorte que l'on ne pouvait pas distinguer depuis la salle de restaurant, le bureau de la gérante. Elle présenta à un siège à Monsieur Vis et lui proposa de s'assoir, avant de contourner le bureau pour prendre elle-même place à son bureau.

" - Et bien Monsieur Vis je vous écoute, je répondrai volontiers à toutes vos questions. Puis-je vous servir un café, un muffin ?"

Lui demanda-t-elle alors, se souvenant qu'elle avait fait mettre une machine à café dans son bureau pour ce genre d'occasions. Evidemment elle répondrait à toutes les questions de l'homme qui lui faisait face. Pourtant, elle ne comptait pas révéler toutes les clefs de sa réussite : comment savoir si on allait pas lui piquer ses clients de la sorte ? Bien que généreuse de nature, Ashleen comprenait parfaitement l'importance d'avoir une bonne clientèle, notamment une clientèle réservée, habituée, qu'elle avait su apprécier tout particulièrement dans son travail de serveuse, et qu'elle espérait retrouver avec le H.

Ice

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Peut être que le monde du business ne la connaissait pas encore, et qu'elle était quelque peu maladroite en recevant certaines personnes, un peu trop amicale ou polie probablement, mais c'était ce qui faisait le charme d'Ashleen. Elle contrastait avec les personnes froides et calculatrices que l'on rencontrait dans les postes hauts placés, apportait une touche de fraicheur et de bonne humeur, presque une forme de naïveté, qui pouvait en exaspérer plus d'un, mais qui semblait tout à fait convenir à ce Monsieur Vis. Qui accepta et le café et le muffin en partant d'un grand éclat de rire auquel Ashleen ne put résister de répondre par un sourire franc. Elle s'affaira tranquillement, voyant du coin de l'oeil que son invité semblait intéressé par son aquarium. Elle-même ne l'avait pas choisi, il 'était déjà là quand elle était arrivée, mais dans ses moments de solitude elle aimait se mettre devant, pour regarder à travers l'eau clair, les petits poissons colorés qui frétillaient joyeusement, insouciants de leur vie misérable, qui devait leur paraître excitante à en juger leurs longues promenades autour des parois et leurs sorte de cache-cache avec les rochers qui jonchaient le bocal. Elle revint finalement vers le bureau avec un petit plateau sur lequel trônaient deux cafés et muffins, et attendit que Monsieur Vis se soit assis pour le servir.

" - Déjà, permettez-moi de vous féliciter, vous semblez tenir votre établissement plus que correctement. Je pensais me lancer dans la cuisine française, j'ose espérer que ce n'est pas votre domaine ?"

Ashleen le remercia d'un signe de la tête accompagné d'un sourire. Cela faisait toujours plaisir d'être complimenté sur son travail, surtout par un homme de l'envergure de Monsieur Vis. La cuisine française ? Ashleen l'écouta attentivement alors qu'il penchait significativement la tête sur le côté, un tic qui n'échappa pas à la jeune femme. Il s'enquit de savoir si c'était son domaine de prédilection, et elle fut plutôt rassurée de comprendre qu'il ne comptait pas lui voler ses clients. Un peu plus détendue par cette question, elle se dit que ce ne l'était pas réellement. Leur chef de cuisine était Français, étant donné que ce pays était connu pour sa gastronomie et sa bonne cuisine, ils étaient allés le chercher loin, et bien qu'ils proposaient quelques plats français dans leur carte, aimant varier les genres, ce n'était pas pour autant la seule composition des menus, seulement quelques trois ou quatre plats et deux desserts si son souvenir était bon.

" - Après, je serai bien évidemment prêt à collaborer, mais je tiens à ne pas empiéter sur votre territoire et vos plates-bandes. Aussi n'hésitez pas à me dire si je déborde un peu chez vous. Mais je suis vraiment curieux de savoir comment on se lance dans une telle aventure..."

Elle répondit à son sourire. C'était assez réglo de lui dire qu'il ne comptait pas lui voler son marché ni lui faire concurrence, après tout, qui serait assez intelligent mais vicieux pour aller voir son concurrent direct pour lui demander des conseils ? Ashleen osa espérer que la plupart des gens intelligents n'étaient pas vicieux... Encore une belle utopie à laquelle elle ne croyait pas, mais elle préférait laisser le bénéfice du doute à la condition humaine. Elle prit une gorgée de café tandis qu'il lui parlait. Comment on se lançait dans une telle aventure... C'était une question à laquelle elle aurait aimé pouvoir répondre. Depuis toute petite Ashleen désirait ouvrir son propre restaurant, mais la vie en avait décidé autrement : la mort de son père et les conséquences néfastes qui en avaient découlé pour sa famille l'avait privée de tous ses rêves d'enfant et projetée bien trop tôt dans un monde d'adulte auquel elle avait encore l'impression de ne pas totalement appartenir. Son regard se teinta un instant d'un voile de tristesse à se souvenir puis repris vie. Monsieur Grayson lui avait proposé de travailler pour lui, comme si Dieu l'avait placée sur son chemin pour lui montrer qu'elle ne l'abandonnait pas. Parce que oui, fille de Zéphyr, Ashleen croyait en Dieu, partant du principe que si l'un existait, l'autre devait bien exister aussi. Ce restaurant, elle ne l'avait pas fondé depuis rien, comme elle avait toujours pensé que cela lui arriverait, elle n'avait pas non plus repris le café bar près de chez elle dans lequel elle travaillait depuis ses 16 ans et dont elle était proche du vieux patron... C'était sur un restaurant de luxe que le sort avait jeté son dévolu, et sur cette petite fille de banlieue manifestement capable de porter sur ses épaules, le lourd poids de la responsabilité d'un restaurant chic. Pourtant si le lieu n'était pas d'elle, ni les fonds, elle s'était personnellement occupée de tout : menus, décoration, choix des cuisiniers, choix des matériaux, provenance des aliments... Elle avait su monter un véritable petit business toute seule, s'en véritablement s'en rendre compte, donnant les crédits à Grayson Incorporation.

" - Nous avons quelques plats français mais nous ne nous revendiquons absolument pas comme un restaurant de culture française ne vous en faites pas pour cela. Je trouve par ailleurs que c'est une très bonne idée pour se lancer dans la cuisine. Avez vous connaissance de chefs français ? Je pense que c'est indispensable pour une cuisine de ce pays."

Elle réfléchissait à voix haute. Un cuisinier américain pour des plats français, cela contredirait totalement la marque même du restaurant de Monsieur Vis. Non non, vraiment il lui fallait un cuisinier d'origine. Elle imaginait qu'il s'y connaissait un peu lui-même, et ne lui fit pas l'affront de lui indiquer les meilleurs plats à mettre en avant, et puis, cela dépendait aussi de la capacité du chef de cuisine. Elle reprit finalement, continuant le fil de ses pensées :

" - Quant à se lancer dans l'aventure, il faut dire que je ne suis pas la mieux placée pour vous en parler. C'est mon patron Monsieur Grayson qui s'occupe des fonds, je m'occupe simplement de la décoration, des menus, de l'agencement de la salle et des salariés. Peut-être désireriez-vous un entretien avec lui ?"

Ashleen était seulement la gérante du H, et elle savait bien que si les moyens financiers venaient d'elle, elle serait bien incapable d'avoir ne serait-ce que le quart de la moitié de ce restaurant. Elle regarda son vaste bureau : peut-être même que la salle ferait cette taille-là. Ce serait en somme quelque chose de bien modeste mais elle ne demanderait pas mieux.

Ice

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" - Oh, j'en connais quelques-uns, de nom surtout."

Elle hocha la tête. C'était une bonne chose, elle n'avait en réalité aucune compétence pour lui fournir des noms de personnes qui pourraient faire l'affaire, ayant sélectionnés les meilleurs pour elle. Bien sur elle avait des CV en masse de cuisiniers qui avaient voulu travailler pour une firme de Grayson Incoporation et il devait y avoir parmi eux quelques Français, mais si elle n'en avait pas voulu pour le H, elle doutait que Monsieur Vis les engage, et elle ne lui ferait pas l'injure de lui demander.

" - Ma foi... A méditer. Si vous estimez qu'il est le plus à même de répondre à mes questions, je vous fais confiance. Mais pourrais-je vous demander quand même votre avis concernant le fonctionnement quand je me serai lancé ? Je serai honoré d'avoir votre avis, simple et bienveillant."

Ashleen gribouilla quelques mots sur son carnet. Elle pouvait bien lui organiser un rendez-vous avec Monsieur Grayson pour la semaine suivante. Si son patron avait énormément de choses à faire, de gens à voir, il pouvait au moins prendre le temps pour Monsieur Vis, qui était le meilleur dans son domaine. Et si Ashleen avait compris quelque chose dans cette entreprise, c'était que les Grayson ne  travaillaient qu'avec ceux qui étaient les meilleurs. Le petit sourire de Monsieur Vis ne le quittait pas. Elle en était un peu déstabilisée. Normalement les hommes d'affaires étaient plutôt du genre à être froids et distants, pour paraître détachés. Ashleen, elle, n'arrivait pas à paraître impassible, mais Monsieur Vis était totalement souriant tout le temps. C'était une méthode comme une autre, rien ne semblait l'atteindre. Comme si... comme s'il était au dessus de toute chose, que rien ne pouvait lui faire du mal.

" - J'en serais très heureuse."

Lui dit-elle alors avec un sourire. Cela lui faisait réellement plaisir que quelqu'un veuille prendre conseil auprès d'elle. Cela lui redonnait un peu confiance en elle. Etant partie de nulle part elle ne savait pas vraiment ce qu'elle faisait de bien ou de mauvais, et parfois c'était difficile de s'auto-critiquer. L'idée d'un regard extérieur pour analyser ce qu'elle faisait lui plaisait bien. Et puis, peut-être qu'il pourrait également l'aider en retour. Elle s'apprêtait à soumettre l'idée lorsque le téléphone sonna. La ligne 3. C'était la secrétaire de Monsieur Grayson. Ashleen fronça les sourcils et regarda son carnet dans lequel il était noté qu'elle avait un rendez-vous d'ici 10min. Elle grimaça, ayant totalement oublié qu'elle rencontrait quelqu'un ce jour-là. Reprenant son sourire habituel, elle se tourna vers Monsieur Vis :

" - Je suis désolée mais je vais devoir vous laisser, j'ai un rendez-vous important. Je serais ravie de vous retrouver pour répondre à toutes vos questions."

Elle se leva et contourna le bureau pour le raccompagner jusqu'à la porte, lui tendant sa carte. Elle n'avait pas de secrétaire. Seule elle organisait, planifiait, prenait ses rendez-vous, gérait son restaurant comme elle gérait sa vie, en faisant des plannings. Elle était désolée que ce rendez-vous se termine si rapidement, appréciant la considération de ce monsieur qui lui semblait un homme tout à fait honorable, qui s'était enquis de savoir ce qu'elle projetait pour son restaurant afin de ne pas lui voler ses clients... Vraiment, soit il était un menteur hors pair et un manipulateur parfait, soit il était un homme bien. Comme elle avait foi en l'humanité, Ashleen décida qu'il serait un homme bien. Elle descendit les escaliers avec lui et le raccompagna jusqu'à la porte du restaurant, avant de lui serrer la main d'un geste bref mais vif, qu'elle avait appris de son père : toujours bien serrer la main, avec fermeté, pour montrer que l'on était pas un faible sans envergure.

" - Même autour d'un déjeuner. Au revoir Monsieur Vis."

Après tout il était un homme d'affaires, elle se doutait qu'il avait pleins d'autres choses à faire, de réunions auxquelles il devait assister, du nombre d'ordre qu'il avait à donner. Peut-être qu'un déjeuner serait plus approprié dans son emploi du temps. Et puis, quoi de mieux que de parler autour d'un repas pour entrer dans la restauration ? Ashleen lui offrit un grand sourire et le regarder s'éloigner au loin avant de retourner à son entretien. Quelque chose lui disait qu'elle n'avait pas totalement cerné ce monsieur Vis, mais elle ne pouvait mettre le doigt sur ce mystère.

Ice