La vie n’était qu’un pur hasard, avait-il compris au bout de plusieurs années. La vie n’était point immuable, elle changeait avec un sourire, avec une bagarre ou une action. Elle changeait au gré des décisions, des choix, des actions de la personne ou de son entourage. Une promesse n’était rien contre la vie, le destin que les moires tapissaient au fur et à mesure. Jesse avait compris que tout était écrit depuis leur naissance. Une rencontre n’était jamais le fruit du hasard mais des moires qui se jouaient d’eux. Tomber amoureux était signe que la déesse Aphrodite jouait avec leurs cœurs. Quand il se mettait à pleuvoir soudainement, c’était Zeus qui était en colère ou triste. Le monde des mortels était régi par des dieux par leurs forces divines.  La science n’était que le fruit de leurs pouvoirs. Rien n’était jamais laissé au hasard. Rien. Les naissances,  les amours, les arts. Rien, ils n’étaient que les marionnettes, les pantins des dieux qui se jouaient d’eux en riant de leurs malheurs. C’était ce que Jesse avait compris au fil des années, à mesure que le temps défilait. Sa vie changeait, mouvait. Les promesses changeaient, se brisaient. Des trahisons survenaient de sa part ou de la part des autres de son entourage.

Il se souvint de sa promesse auprès de sa soeur, celle qui était de rester unis contre l’adversité du monde. Cette promesse qui avait été faite lors des nuits d’orage, lorsque la voix de ses parents tonnaient aussi fort que la foudre qui descendait des cieux.  Cette promesse qui devait rester immuable, cette promesse qui était devenu leur source de complicité. Ils étaient tous les deux unis contre le monde. C’était à la vie ou à la mort. Ils faisaient tout ensemble, tout.  Comme des jumeaux qui se ressemblaient en tout point mais Jesse était destiné à être le mouton noir de la famille. Il avait toujours quelque chose de plus ou de moins que celle-ci. Il était le petit dernier de la famille mais il n’était pas le plus choyé. Sa sœur était choyée, adorée par son père.  Tant qu’à lui, il n’était rien. Rien du tout aux yeux de son père. Jesse, l’hyperactif, le petit lâche de la famille, le cancre, le dyslexique. Il était imparfait. Complètement imparfait, cela se voyait à ses cheveux blonds, ses yeux bleus. Alors que toute la famille avait les cheveux bruns et les yeux marron. Il était celui qui faisait bande à part, celui qui marquait les esprits à cause de sa différence. Le différent. Cette promesse  qu’il avait fait à sa sœur, il l’avait brisée.

Ils vivaient à la Nouvelle-Orléans, dans une maison bourgeoise à la périphérie du Trémé. Le  jazz résonnait sans fin dans les rues de la ville qui vivait au rythme de la trompette et de l’énergie mystique que dégageait cette ville. La Nouvelle-Orléans, tout un symbole. Elle était le berceau du jazz, de la musique afro-américaine. Elle avait une aura sombre et lumineuse, elle était complexe cette ville. Il se souvint des jeux, de l’odeur douce et sucrée de cette ville. Il se souvint des commerçants, des touristes qui venaient par milliers. Il se souvint du Mardi Gras et des beignets qu’il mangeait à la pelle. Cela aurait pu être une enfance heureuse et bienveillante sous le soleil intimidant de la Louisiane mais hélas, cela n’avait pas été le cas. Le petit Jesse n’avait pas eu une belle enfance, de par sa différence avec sa sœur si parfaite. Il ne trompait personne, pas même son père Robert. Robert O’Connell travaillait pour la mairie et espérait un jour devenir le maire de la Nouvelle-Orléans. Américain patriote et fou des Chicago Bulls. Les cheveux noirs et les yeux aussi foncés, il tranchait indubitablement avec son fils blond aux yeux bleus.  Il n’était pas loquace, il ne parlait pas beaucoup. C’était un brave type, disait la plupart de ses concitoyens. Robert adorait sa fille mais méprisait Jesse. A ses yeux, il n’était qu’une honte. Un bâtard…

Sa différence avait sauté aux yeux de tous. Les rumeurs se murmuraient au coin des rues. Des rumeurs dangereuses qui étaient venus aux oreilles de son père. Une dispute entre les deux protagonistes avait commencé et finalement, ils surent la vérité. Jesse n’était pas le fils de Robert O’Connell mais de quelqu’un d’autre. Sa mère s’était tu à propos de l’identité du père, gardant religieusement ce secret. Tout avait changé depuis cette nuit d’orage. Tout. A l’école, il se faisait charrier sur son ascendance. Les enfants n’étaient pas cruels, ils ne faisaient que répéter les dires de leurs parents. Et à la maison, il se faisait battre comme un vulgaire chien sauvage. Coups, martinet et câble électrique mouillé. Robert lui faisait la vie dure, d’ailleurs. Ce petit garçon avait mal mais il ne pouvait rien faire à part de subir. Sa mère, Roselda O’Connell, se fichait éperdument des conséquences de ses actes. Egocentrique et narcissique, elle se fichait de ce que son fils subissait tant qu’elle ne le subissait pas. D’ailleurs, elle lui reprochait elle-aussi d’être la risée de la bonne société. Tout le monde était contre lui, sauf une, sa sœur Vivianne.

Vivianne était intelligente, douce et pleine d’esprit mais parfois elle pouvait se montrer dangereuse et assez radicale dans ses manières d’agir. Elle était parfois imprudente et immature, excentrique à souhait. Elle avait toujours les joues rouges. Elle était juste sublime dans une belle robe blanche qui faisait ressortir ses épaisses boucles brunes. Elle était son aînée de deux ans mais elle restait avec lui, le soignait, le réconfortait comme une mère le ferait avec son enfant. Vivianne était une maman pour lui, bien qu’elle n’avait que 9 ans et lui 7 ans. Ils étaient tous les deux contre le monde. Ce fut un de ses soirs où tout bascula. Encore un de ses soirs, où il se faisait insulter et frapper avec des câbles électriques. Une étrange sensation au bas-ventre le fit retourner et prendre les câbles électriques qui devaient marquer sa peau. Il aurait dû avoir un coup de jus, s’électrocuter mais à la place, son beau-père reçut le choc. Etrange mais ils s’étaient tus sur cet incident. Rien n’avait changé jusqu’à ses 11 ans.
A ses 11 ans, il était entré dans une école spécialisée pour les élèves les plus violents et instables. Jesse en faisait parti. Il aimait bien frapper, exorciser ses démons en faisant souffrir les autres. Ce fut là où il rencontra James. C’était lors d’une bagarre qu’il avait déclenché. Une bagarre qui s’était soldée par une victoire écrasante pour lui. James était venu le voir et ils ne s’étaient plus quittés, depuis. James était intéressant et était passionné par la mythologie grecque dont il adorait raconter des anecdotes par-ci par là. Parfois, cela était même pour le dissuader de faire une bêtise. James était son seul ami au monde. Ils partaient dans les rues de la Nouvelle-Orléans et découvrait des maisons en ruine. Ce fut d’ailleurs, là-dedans que tout cela était joué. Une chaude après-midi, ils étaient rentrés dans une maison en ruine, si, elle avait paru déserte. Un monstre était apparu. Un monstre horrible qui semblait sortir tout droit des anecdotes de James qui avait d’ailleurs des sabots à la place des pieds. Jesse avait cru halluciner et l’épée que lui balança James lui fit comprendre que le monde n’était pas celui que tout le monde pensait. Il était plus complexe et dangereux. Jesse et James finirent par réussir à vaincre ce monstre avec beaucoup de mal. Et c’est là qu’il apprit ce qu’il était. Un demi-dieu.


Avec l’autorisation de ses parents, il partit, brisant la promesse qu’il avait faite à Vivianne. Leur monde était trop différent, de toute façon. Arrivé à la colonie, il fut accueilli comme un membre de la famille. Il s’était passé plusieurs semaines dont il a subi quelque moquerie de la part des autres. Certains d’une manière taquine, d’autres d’une manière plus méchante. Il attendait que son parent divin le reconnaît mais rien. Il n’excellait pas à l’arc, au canoë, aux arts. A la bagarre, par contre, ça allait. Il avait attendu plusieurs semaines, 1 mois et demie pour que celui-ci le reconnaisse. Zeus. Il était le fils de Zeus. C’était une matinée toute simple où il se promenait près de la plage et avait remarqué un aigle qui semblait être blessé. Il l’avait aidé et puis voilà, d’un seul coup, il était devenu le fils de Zeus. A la colonie, cela avait jasé. C’était rare de voir un enfant des trois grands après la seconde guerre mondiale. Il avait eu l’impression d’être un phénomène de foire. Il passa tous les étés à la colonie. Un silence de mort au niveau de son père divin et un silence de mort au niveau de son beau-père. Ses parents avaient divorcé et il vivait avec sa mère. Il n’avait trouvé qu’une seule personne à applaudir dans ce fiasco. Zeus.

Il eut son diplôme et se lança dans le droit à New-York. Il aimait bien défendre les opprimés. Il passa les épreuves du barreau avec brio. Jesse devint le major de sa promotion. Tout de suite après, il commença une carrière en tant qu’assistant du procureur et il rencontra une magnifique créature dont il en tomba amoureux. Elle était magnifique, Eileen, adorait l'art et arrivait à apaiser son coeur rongé par la colère d'une vie faite de violence et d'ignorance. Eileen savait y faire avec lui. Elle était une prophétesse d'Apollon et lui, un fils de Zeus. Ils étaient fait pour être ensemble. Ils avaient des projets ensemble, un avenir. Cependant, un soir, il était rentré dans son appartement où il vivait depuis peu avec Eileen. Elle était plus là, pas un mot, rien. Elle était partie. Jesse eut le coeur brisé et plongea dans le travail. 9 mois plus tard, il était au tribunal quand il reçut un appel de ses voisins. Un bébé pleurait sur son palier. Les sourcils froncés, il était parti en urgence, demandant un ajournement. Ce qu'il vit, brisa son coeur. Une petite fille pleurait. Elle était magnifique. En un seul regard, il sut que c'était leurs filles. La lettre dont elle était accompagnée lui confirma cela. Un amour inconditionnel était né en voyant cette petite fille qu'il prénomma Zoey. Cependant, une colère vint irradier son coeur. Eileen avait préféré les dieux plutôt que sa famille. Elle l'avait abandonnée au profit des dieux. Une rancune était née et elle ne faisait que s'accroître.

Il avait commencé à penser que les dieux se fichaient d'eux, qu'ils n'étaient que des pantins, qu'ils les contrôlaient pour accomplir leurs volontés. Jesse en avait marre de se faire contrôler. Il en avait marre que les dieux prennent tout sans rendre en échange. Ces dieux étaient dépassés et égocentriques. Ils se fichaient de leurs enfants. Il ne voulait pas de ça pour sa fille, pour son enfant. Il voulait un monde meilleur, un monde contrôlé par des demi-dieux qui n'étaient pas dépassés. Ils le méritaient après tout. Il fallait que les dieux laissent la place à la jeunesse. Il en était convaincu. Au point qu'il avait décidé de rejoindre les résistants. Pour lui, ils étaient les détenteurs de la vérité.

Malgré les réprobations et le récent attentat des Keres, Jesse pensait toujours que c'était vrai. Selon lui, ces demi-dieux ne comprenaient pas les raisons de leurs combats, que c'étaient pour eux, pour un monde meilleur. D'ailleurs, ils avaient commencé à passer à l'offensive, certes, cela les handicapait mais ils avaient enlevé Ether, dieu de l'air qui donnait de la force aux dieux, leurs forces légendaires.Il était fier de ce coup d'état. Très fier, même.

Il continua son métier d'avocat, devenant l'un des meilleures. Il était à la fois, un père, un avocat, un demi-dieu et un résistant. Il n'attendait qu'une chose, réduire l'Olympe à néant afin qu'une nouvelle génération monte sur le trône, afin de faire prospérer ce monde. Afin que sa fille ait un meilleur avenir.