Cela faisait plusieurs jours que je restai cloîtré dans la salle du conseil, vautré sur mon trône d'or, la tête appuyé contre ma main d'un air pensif. Je ne cessai de me torturer l'esprit à échafauder des milliers de plans qui aussitôt tombaient à l'eau : Comment réunir les dieux et apporter une certaine cohésion dans une famille qui ne fait que se chamailler pour un oui ou pour un non depuis sa naissance ? Je m'en voulais à moi même de ne pas m'être occupé de cette affaire plus tôt. Peut être que si j'étais intervenu il y a de cela quelques siècles, les choses auraient été moins tendues.. Enfin, ce genre de pensée ne me mènerait nul part.

Je contemplai passivement les reflets dorés de l'armure grecques ornant mon corps, celle-ci brillant à la lueur des torches et des braséros. Elle m'arracha malgré mon humeur sombre un sourire mélancolique qui me plongea dans de vieux souvenirs. Cette cotte de maille luisante avait été forgée par mon fils, Héphaïstos, et offerte en cadeau le jour de son arrivée à l'Olympe. Mon regard se décala sur ma main gauche, et particulièrement sur mon annulaire. Là trônait mon alliance, cette objet luisant forgé dans les métaux les plus purs qui symbolisait notre union éternelle. Je me souvins avec amertume qu'il m'arrivait de la retirer lors de mes escapades romantiques et une vague de mépris à mon égard m'envahit.

Certes, pensai-je à voix haute, si je m'étais réveillé plus tôt bien des choses seraient différentes..


A ce moment là, un  grand aigle sous ma juridiction nommé Pierce fit son entrée dans la pièce, avant de s'incliner respectueusement devant moi.

-Gloire à vous, Seigneur Zeus, Roi des Dieux et du Ciel. Vous avez demandé à me voir.  

Je me redressai sur mon trôle, me raclai la gorge et parlai d'une voix douce :

-Bonsoir Pierce. La nuit est douce, n'est-ce pas ? -Le gracieux volatile hocha la tête, posément. - Je t'ai fais venir ce soir pour que tu rapportes un message à mon fils, Hermès. Je regrette de t'employer comme un messager, mais il devient de plus en plus difficile d'accaparer le temps de mon enfant, entre son travail constant et sa future compagne exigeante. J'ai besoin qu'il vienne ici, maintenant. Informe lui que son vieux roi de père le convoque dans la salle de conseil, seul à seul.

Pierce se détourna, se préparant à s'envoler et je lui lâchai une dernière phrase, d'un air sérieux absolu :

-N'en informe personne d'autre, mon cher ami. Cette discussion doit restée entre Hermès et moi.. Pour l'instant, du moins. Il s'agit d'une question vitale pour l'avenir de notre famille.

L'aigle déglutît, sentant l'urgence de la situation. En le voyant déguerpir à toute allure, je me suis demandé si je n'avais pas quelque peu exagérer la chose. Certes, il s'agit d'une affaire très importante.. Mais est-elle réellement vitale ? Les dieux ne se sont jamais réellement retrouvé dans une situation dangereuse de part leur manque de cohésion.. Et pourtant le résultat et là. Nous agissons en tant qu'ennemis les uns envers les autres au lieu de s'entraider tels des frères et sœurs, des parents et enfants.

Les choses changeraient, et tout cela commencerait aujourd'hui. Hermès était mon fils le plus fiable. Il était rusé, intelligent, discret et très habile. De plus, le messager des dieux s'était toujours révélé profondément loyal envers moi, et il ne m'a jamais donné l'occasion de douter ni de sa loyauté, ni de son allégeance envers moi ; en tant que Roi, et en tant que Père.

Affichant une taille humaine, je me mis à attendre mon fils, contemplant les lueurs new-yorkaises en contre-bas. Ah ! Ces mortels et leur folie des grandeurs.. C'était leur cohésion qui leur avait permit une telle évolution.. Et je me mis à rêver en imaginant ce d'on tous les Olympiens seraient capables s'il travaillait tous ensemble sur un élément.

Je contemplai tous les nuages s'agglutinant en dessous de l'Olympe et d'une simple pensée, fit gronder le tonnerre en leur sein. Ce simple son me propulsait des milliers d'années en arrière, lors de la Grande Guerre des Titans. Ce son, qui au fil du temps s'était révélé excessivement réconfortant à mon égard, symbolisait pour moi toute l'étendue de ma puissance. Il éveillait la peur dans le cœur de mes ennemis, et le réconfort dans celui de mes alliés. C'était, pour ainsi dire, l'Hymne du Roi.

Je ne pus m'empêcher de ricaner tout seul. Depuis quand mes pensées était-elles aussi imprégnées d'orgueil ? Le titre de Roi n'est pas quelque chose que l'on gagne à la naissance, mais que l'on mérite de par ses actes et ses paroles. Et il restait encore beaucoup de chemin avant de pouvoir de nouveau prétendre pleinement et irrévocablement à ce titre.

Des bruits de pas résonnèrent derrière moi. J'affichai mon plus beau sourire et déclarai en me retournant pour faire face au visiteur :

-Bonsoir, mon fils.

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-Bonsoir père, tu voulais me voir ?

Hermès, messager des dieux ; Dieu des voleurs, des voyageurs, des commerçants ; Mon fils. Sa vue me fit esquisser un sourire incontrôlé et guida mes pas jusqu'à lui. Mécaniquement, je pris mon enfant dans mes bras quelques instants avant de poser ma main sur son épaule d'une voix ferme :

-Il est bon de te voir en ces temps qui se sont avérer.. D'une extrême rugosité pour moi, dis-je d'une voix marqué par l'épuisement.

Je claquai des doigts d'un air mécanique et quatre naïades se précipitèrent pour nous apporter à chacun une coupe de nectar. Je les remerciai d'un geste de la tête et elles s'inclinèrent avec respect.

-Comment vas-tu ? Tu sembles bien te porter ! Déclarai-je en riant. Les affaires se sont-elles calmés suffisamment pour t'offrir un temps de répits ?

Pour la première fois depuis un bon moment, mon visage se fendait en un large sourire honnête sans le moindre effort. Je n'avais pas eu l'occasion de parler en tête à tête avec mon fils depuis bien longtemps et je savourais chaque seconde de ce simple moment, où nous pouvions simplement être une famille.

Puis le devoir me rattrapa. Je me raclais la gorge perdis mon sourire et retrouva le sérieux morbide qui caractérisait ma réputation de souverain.

-Mais je ne t'ai pas fais venir ici, hélas, juste pour avoir de tes nouvelles. J'ai pour ainsi dire besoin de ton aide, Hermès.. Pour un projet ambitieux. Vraiment.. très ambitieux. Je veux réunir notre famille. Mettre fin aux querelles stupides et au moins insuffler un esprit de cohésion qui nous permettra de rendre à notre famille une force combinée.

Je soupirai. Entendre ses mots sortir de ma bouche me semblait.. Tout bonnement incroyable. Si un jour un de mes enfants m'avait fait part d'une telle entreprise je lui aurais tout simplement ris au nez. Mais l'heure n'était plus au doute. J'avais convoqué Hermès, alors il était temps d'agir.

-Tu es mon fils le plus loyal, dis-je avec conviction, tu ne m'as jamais désobéis et je te voues mon entière confiance. Tu es un garçon intelligent, mon fils, et je sais que tu te rends compte que la principale chose qui manque à notre famille, c'est l'unité.

Je pris une gorgée de nectar, puis repris d'un ton calme.

-La mission que je vais à présent te donner nécessitera que tu emploie toute ton éloquence et toute ta discrétion. Je vais partir d'ici peu pour le royaume de ton oncle Poséidon, et j'enchaînerai avec Hadès. Nous devons semer les graines de la cohésion avec parcimonie, mon fils. Je souhaites que tu t'en ailles auprès d'Héphaïstos, d'Aphrodite et d'Artémis pour les préparer à notre grand projet. Ces trois là t'écouteront probablement plus qu'ils ne m'écouteront moi. Héphaïstos me renverra bouler si je viens lui parler de paix avec Héra, Aphrodite me rétorquera qu'elle ne pourra jamais se lier à Artémis et Artémis me crachera dessus avant même mon arrivée pour me traiter d'infidèle rongé par le vice.

Énumérer les difficultés auxquels nous nous frottions me laissait un goût amer dans la bouche, mais je fis l'effort de poursuivre et d'avoir un air convaincu :

-De nous deux, tu es sans conteste le plus subtil, mon fils. Et le messager est bien plus apprécié que le souverain, c'est une réalité.. Pour ma part, je m'en vais rallier Héra à notre cause avant toute autre action. Elle est bien meilleure que moi dans ce genre de situation..

Je le regardai dans les yeux, guettant sa réaction.

-Tu as des questions mon fils ?

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Un intense sentiment de fierté se dégagea avec chaleur dans ma poitrine. Comme je l'avais espéré, le messager n'avait ni broncher, montrer le moindre signe de stupeur. Au lieu de la réponse craintive que je craignais, il me répondit d'une voix calme et assurée, en me regardant droit dans les yeux :

-Oui. M'autorises-tu à user de tous les moyens nécessaires pour parvenir à mes fins si jamais ils refusent quoi que ce soit ? Et pourquoi tu ne t'y prends que maintenant, si ce n'est pas indiscret ?

Je lui avais demandé de me poser des questions pertinentes, et il s'en était acquitté avec zèle, comme chaque tâche que je lui ai jamais confié. Prenant en compte sa première interrogation, j'y accordai une réponse sans tarder.

-Tu as mon autorisation totale pour avoir recours à tous les subterfuges que tu auras sous la main, mon fils ; mais n'oublie que l'objectif de cette mission n'est pas de leur forcer la main. Ma volonté est de voir notre famille s'unir dans un bénéfice commun, et non de forcer ses membres à m'obéir : Mon titre de seigneur s'en occupe déjà. C'est bien là toute la complexité de ta tâche, et la raison pour laquelle je t'ai convoqué toi s'impose d'elle même. Tu es le seul en mesure de faire preuve d'assez de subtilité pour faire tomber leurs remparts et les guider sur le chemin du pardon.

Je marquai une légère pause avant de reprendre d'un ton bien plus mélancolique, un sourire aux lèvres :

-Je t'ai vu subtilisé à Apollon ses propres armes sans qu'il ne s'en rende compte ;à partir aujourd'hui c'est leur amertume et leur rancœur que tu t'évertueras à leur extorquer.  

Sa deuxième question me fit pousser un profond soupir. Instinctivement, je me dirigeai vers le balcon le plus prof pour contempler les lueurs de la ville. Je pris une profonde inspiration et, en fermant les yeux, débutait mes explications :

-Tu mérites de savoir, Hermès. Après tout je suis en train de t'embarquer dans une affaire bien extravagante. Comme tu le sais je.. Je n'ai pas été le Seigneur et le père dont aurait eu besoin cette famille durant des millénaires. Je me suis laissé aller aux mortels, en oubliant quel était mon véritable peuple. Avec moi a sombré l'idéal de famille que nous nous étions juré de préserver, ta belle-mère et moi.. Et je l'ai abandonné pour mon seul profit.

Je me tournai, l'émotion me prenant à la gorge. Toutes les pensées noires qui m'avaient accablés durant les derniers mois ressurgissaient violemment et semblait faire obstacle à ma parole.

-J'ai laissé les membres de notre famille devenir des étrangers les uns pour les autres. Et je ne cesses de me demander.. Si j'avais été un meilleur Roi, un meilleur époux, un meilleur père.. Est-ce que j'aurais pu préserver l'unité qui m'unissait autrefois à mes frères et sœurs ?

Ce souvenir m'arracha un petit rire.

-Ah mon fils, si tu avais vu la Guerre des Titans.. A cette époque nous étions unis comme les doigts d'une seule moi, tes oncles et moi. Aujourd'hui, nous sommes à la limite de la haine à cause d'un pacte que j'ai moi même installé.. Ce pacte qui nécessitait de tuer le frère en moi pour laisser place au véritable Roi et protecteur des Hommes.

Je m'approchai lentement de mon fils avant de poser ma main sur sa tête, ébouriffant ses cheveux blonds comme le jour de son arrivée à l'Olympe, alors qu'il n'était encore qu'un enfant.

-Si tu veux savoir quel a été l'élément perturbateur, c'est la mort de ma fille Thalia. Sa mort m'a permit de comprendre que ma famille était finalement tout ce qui importait, et que comme mon enfant, je vous avais abandonné. Et par le Styx, je jures de vouer les prochains instants de mon existence à devenir le père dont aurait eu besoin notre famille.

Mon visage se fendit en un léger sourire, les yeux emplis de fierté.

-Au fond, tu es un peu le seul à avoir échapper au plus gros de ces querelles. C'est ton habileté qui t'a permit d'éviter ces conflits insignifiants qui se finissent généralement en bain de sang chez les mortels. Et par ma barbe, j'espère que c'est celle là même qui nous permettra d'unir notre famille pour un avenir meilleur !

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Je dois l'admettre, ouvrir mon coeur avait été plus difficile que prévu. Le temps m'avait apprit, par méfiance envers ma famille, du temps de la Grèce antique, à le laisser paraître aucun doutes, ni aucun de mes sentiments. Aujourd'hui, quelque chose avait changer dans ma relation avec Hermès. Notre confiance mutuelle avait pour ainsi dire passer un cap. Désormais, mon fils savait tout de mes pensées, et en retour je ne doutais pas que si mon enfant se retrouvait dans une quelconque fâcheuse situation, il saurait venir me trouver.

En quelques secondes, j'eus l'impression de retrouver ce sentiment d'unité, de famille qui lors de la Guerre des Titans était si répandue parmi nos rang. Etait-il finalement là, le secret d'une cohésion durable pour les olympiens ? J’espérais silencieusement que je ne devrais pas dévoiler mon cœur à chaque dieu un par un, en particulier contre mes frères. Je soupirai. Cette union avait un bon nombre de désavantages, y comprit l'effort de devoir pardonner à mes frères le mépris voir la haine qu'il avaient prit l'habitude de me vouer durant tant d'années. Hadès se contentait de rester dans son royaume, isolé de l'Olympe, tandis que Poséidon défiait ouvertement mes ordres. Pour ce dernier, j'avoue que l'agacement et la colère allaient être des obstacles de taille.

Un sourire permanent s'installa sur ma face pendant que j'observais le visage de mon fils s'illuminer. Cette simple sensation, cette tendre adoration d'un père pour son fils, qui résulte plus ou moins de toutes les familles heureuses. Dans un élan d'affection, mon enfant grand ses bras pour me serrer dans ses bras, un geste simple et pourtant si rare parmi les dieux.

-Je ne t'ai jamais déçu, je ne te déçois pas et je ne te décevrai jamais, père. Tu peux compter sur moi.

C'est fou, comme une poignet de mots peut s'avérer revivifiante au cœur des ténèbres ! J'avais passé les derniers mois seul dans une salle de conseil, perpétuellement torturé par mes doutes, mes peurs, et enfin, quelqu'un m'allégeait mon lourd fardeau en en portant une part. Hermès n'était pas stupide. Il savait pertinemment que sa mission serait d'une complexité effarante, et pourtant il avait tout acceptait sans le moindre signe d'hésitation, et avait renouveler au passage son vœu de loyauté. Ainsi, lié par une étreinte paternelle à mon loyal enfant, je ne pus nous comparer partiellement à deux simples mortels, et j’espérai pendant un moment qu'il en soit ainsi. Tapotant le dos de mon enfant d'un air maladroit et pourtant sincère je pris la parole, d'une voix débordante d'assurance :

-Tu es un bon fils, Hermès. Si nous parvenons un jour à mettre notre projet à l’œuvre, nous écrirons sur les tablettes historiques de notre famille que tout a commencé par la relation d'un père et d'un fils.

Me reculant de quelques pas, je plantai mon regard électrique dans celui du messager.

-Assez de travail et de missions. Je ne te laisserai-pas repartir sans m'être un peu plus informer de ton état, déclarai-je d'un air sérieux.

Je marquai une légère pause, puis prenant une inspiration, j'abordai le sujet que je devrais probablement aborder avec chacun de mes enfants avant de pouvoir prétendre à une quelconque paix.

-Mon fils je.. Je sais que ma décision d'interdire nos rapports avec notre descendance a particulièrement affecté chaque dieu profondément, y comprit toi. Je souhaites te poser une question, Hermès : comprends tu cette loi que je me suis efforcé d'appliquer depuis le début de mon règne ?

La curiosité l'emportait désormais sur tout et une idée germa dans mon esprit. Je demanderai leurs avis aux dieux à la prochaine réunion du solstice, et tenterait éventuellement de leur rappeler la circonstances qui ont dû faire de nous des parents pour la plupart indigne.

Soudain, une perspective traversa mon esprit tel un éclair parmi les nuages orageux.

-Hermès.. Ta loyauté envers moi a toujours été infaillible et je n'en ai jamais douté. Cependant je connais également ton habileté à user de ton éloquence. Répond sincèrement à ton vieux roi de père : As-tu respecter jusqu'à la dernière mes lois ? Toutes sans exceptions sans la moindre entorse ?

D'une certaine manière, je me doutais déjà de la réponse. Sa discrétion légendaire avait certainement dû cacher son délit jusqu'ici, et aujourd'hui je verrais si elle sait est pourtant moins puissante que sa loyauté.

Étonnamment, je ne ressentais pas la même colère qu'envers Poséidon. On ne pouvait même pas dire que la perspective de la désobéissance d'Hermès quand à cette règle qui je l'avoue est draconienne n'éveillait en moi qu'une pointe d'agacement. Aurais-je penser différemment avec d'avoir échanger ce moment inestimable père à enfant quelques minutes auparavant ? Éventuellement. Quoi qu'il en soit, j'évaluerais mon jugement selon la réponse de mon fils, et s'il se trompait.. Alors le ciel serait particulièrement orageux.

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Mes doutes se confirmèrent avant même que mon fils eût ouvert la bouche. Mes paroles avaient pour ainsi dire faire blêmir le messager , si légèrement que seul un père aurait pu le remarquer. Après tout, je connaissais suffisamment mon enfant pour reconnaître ses signes de nervosité.

Je serrai les mâchoires, m'attendant au pire. Hermès me mentirait-il pour se couvrir ? Sa loyauté s'arrêterait-elle là où commencent ses responsabilités ? Il prit une très longue inspiration et me déclara droit dans les yeux, d'une voix douce et sans broncher :

-J'ai respecté toutes tes lois, père, sauf la dernière. Et encore, je suis resté dans son cadre. Nous n'avons pas le droit de voir nos enfants, de fait, j'ai respecté cette règle. Pendant trop longtemps je me suis contenté de les voir en furtif quand je faisais mes livraisons à la Colonie. Et puis... Il y a eu Marie. Marie Taylor. J'ai craqué une fois de plus, mais quand elle est morte... Je me suis juré de ne plus me contenter de laisser mes enfants tous seuls, sans l'amour d'un parent. J'ai donc multiplié les visites à la Colonie, tout en continuant mon travail. Maintenant qu'ils sont grands et vaccinés, comme disent les mortels, je m'autorise à passer du temps avec eux et à veiller sur eux. C'était... une faiblesse de ma part, je le sais bien, mais je n'ai pas totalement enjambé la loi. Je te respecte trop pour te poignarder dans le dos de cette manière, même si je trouve cette loi totalement injuste.

Je fermai les yeux tout en l'écoutant, non pas en signe de déception mais plus pour marquer mon soulagement. Il avait fait preuve d'une honnêteté et d'un courage dépassant toutes mes attentes, et ma conviction en sa loyauté s'en retrouva renforcée. Je poussai cependant un profond soupir de lassitude. Cette loi.. Cette maudite loi ! Elle avait été sans aucuns doutes possibles la chose la plus difficile à mettre en place, aussi bien pour moi que pour les autres dieux. Oui, elle était injuste, aussi bien pour les divinités que pour leurs enfants. Et la proclamer avait été pour moi un déchirement.

Relevant les yeux vers mon enfant, je remarquai que l'émotion menaçait de l'envahir. Il avait expulsé un secret qu'il s'était gardé de me confier pendant si longtemps, et maintenant il en ressortait comme soulagé. Voyant les larmes perler de ses yeux de saphirs, j'avançai à grands pas vers lui pour le serrer dans mes bras. Il s'agissait d'une étreinte ferme, comme rassurante. Je tapotai son dos d'un air presque maladroit, mettant toute mes forces dans l'effort de lui transmettre toute mon affection.

-Je suis désolé si j'ai failli, père, mais je les aime. Ils font partie de ma famille, et je ne laisse jamais ma famille tomber, quel que soit son sang ou son ascendance.

Je fronçai les sourcils, serrant d'avantage mon enfant dans mes bras. Je répliquai d'un ton fort, comme implacable.

-Aucun père ne devrait être puni pour avoir prit soins de ses enfants, Hermès. Il m'est parfois difficile d'assimiler qu'avant d'être mon enfant, tu es également parent d'enfants. Et ces enfants ne disposent pas de millénaires pour développer leur relation avec toi, contrairement à ce qui fût pour nous.

Je reculai de quelques pas, plantant mon regard dans celui du messager.

-Écoute moi, tu ne m'as pas déçu. Tu as fais ce que tu estimai juste, et cela allait simplement à l'encontre des règles que j'avais auparavant décrite. Tu as donné à tes enfants l'amour dont ils avaient besoin, et je comprends mieux que quiconque ce qui t'as pousser à agir.

Il m'arrivait quelques fois, dans mon immense égocentrisme, d'omettre que je n'étais pas le seul subir de douloureuses pertes. Hermès avait perdu la femme qu'il aimait, et la douleur l'avait pousser à protéger ses rejetons. Mes tentatives pour réunir notre famille n'avaient-elles pas débuter à la mort de Thalia ? Je poussai un profond soupir. Encore une fois, le destin me poussait à choisir entre le père et le Roi.

-Cette loi est injuste, Hermès. Elle l'a toujours été et le sera toujours. C'est une loi horrible, que de séparer un enfant de l'un de ses parents. Et je le sais mieux que quiconque. Cette loi nous enchaîne, et nous maintient dans l'inaction et dans la frustration.

La douleur sembla se lire dans mon regard.

-Cette maudite règle m'a contraint à regarder ma fille mourir sous mes propres yeux. Je ne pouvais annihiler ses opposants. Je ne pouvais pas la kidnapper pour la mettre à l'abri. Je ne pouvais que regarder la vie lentement s'écouler hors de son corps d'enfant.

Mes yeux se tintèrent de larmes.

-J'ai haïs cette loi, je l'ai méprisé pendant si longtemps. Et pourtant je ne peux me permettre de la bannir, mon fils. Car ce serait une preuve infinie d'égoïsme.

Je m'expliquai d'un ton ferme, m'acharnant à tenter de justifier ce dilemme qui m'avait pousser à une telle extrémité.

-Quel genre de parents serions nous, mon fils, si nous volions ainsi leur avenir à nos enfants ? Les mortels sont influençables, Hermès. Bien plus que nous autres dieux. Si tu avais élever ton enfant comme tu l'aurais souhaiter, ne se serait-il pas battu pour toi ? N'aurait-il pas lutter pour tes propres intérêts, et ne serait-il donc pas devenu une arme à ton service ? Les demi-dieux ont le droit au choix de leur type de vie. Vivre sans un parent est une chose cruelle, j'en suis conscient, mes parents n'étaient pas non plus des êtres exemplaires.

Je me souvins d'un air sombre de mon monstre de père, régurgitant mes frères et sœurs un à un..

-Mais cette distance, ce recul, est nécessaire au développement d'un demi-dieu. La vie d'un sang-mêlé est pleine de danger, de douleur, d'aventures. Et c'est la force qui dans les pires moments maintient nos rejetons en vie. Cette force, ils ne peuvent la forger que par eux-même, nous ne pouvons la leur donner.

Je marquai une pause, guettant la réaction de mon fils. Serait-il satisfait de mes explications ? Ou les jugerait-il inappropriées et irrecevables ?

-Comprends-tu mieux ma décision à présent, mon enfant ? Tu m'as toujours été d'une loyauté exemplaire, et je  comprends tes actes. Tu ne mérites aucunes sanctions. Mais il faut que tu comprennes que dans ce monde dur dans lequel vivent nos enfants, ce n'est pas nous qui les sauverons de leur funeste destin. C'est dans cette solitude face au danger, dans cette assurance que l'on affiche tel un bouclier, qu'ils deviendront des héros.

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