Par une belle journée, Jade Taylor, fille d'Hermès de son état, avait décidé d'aller se balader dans la forêt qui comprenait le camp des Sangs-Mêlés. Voilà huit longues années qu'elle y avait atterri, et elle s'y sentait presque comme chez elle, même si, quelques fois, elle laissait une petite mélancolie l'envelopper lentement. Ce fut le cas ce jour-là et, comme à chaque fois que cela lui arrivait, la Voleuse se mettait en promenade pour se vider l'esprit ; ce petit rituel réparateur lui faisait le plus grand bien, et avait le mérite de fonctionner un bon moment avant que le cycle ne recommence.

La jeune femme avait donc pris arc et flèches - au cas où - et était partie en prenant soin de préciser à ses frères et sœurs ce qu'elle allait faire, même si, pour la plupart, cette précaution était inutile vu qu'ils étaient censés bien la connaître. Tout en marchant, elle se remémorait les moments passés au camp, tout en vérifiant qu'elle ne marchait pas accidentellement sur une couleuvre ; concentrée qu'elle était, il lui était impossible de ne pas entendre les bruissements des feuilles dus au vent, ni même aux petits bruits animaliers qui peuplaient la forêt.

Elle marcha ainsi silencieusement pendant quelques minutes, avant de se figer : une odeur caractéristique de monstre parvint jusqu'à ses narines, et pas n'importe quel monstre. Un Chien des Enfers. Qu'est-ce qu'un foutu Chien des Enfers venait faire dans le coin ? Bon, d'accord, depuis le temps, Jade devait être habituée à rencontrer des monstres qui, régulièrement, tentaient vainement de briser la barrière qui protégeait la colonie. Mais c'était la première fois depuis longtemps qu'elle en voyait, et pour le coup, elle ne s'attendait pas à en revoir un par ici...

Armant arc et flèches, elle se mit à pister l'odeur du clébard, veillant à ne pas marcher sur de brindilles et à faire en sorte que le vent ne porte pas son odeur. Très vite, elle rejoignit la zone où se trouvait le monstre, et fut presque horrifiée de voir qu'il menaçait un demi-dieu. Celui-là, elle ne le connaissait pas, mais elle n'allait certainement le laisser se faire bouffer par le Chien des Enfers. Elle alla se placer derrière le monstre et entendit le demi-dieu souffler d'une voix assez audible pour toute créature ayant une bonne ouïe :

— Merci d'être... Venu. Tu veux jou... Jouer ?

Jade resta immobile, se contentant de bander son arc, prête à tirer si besoin, et songea :

J'espère que tout va bien se passer, sans quoi je serais quitte pour avoir un mort sur la conscience...

Puis elle attendit, sagement, que les choses s'accélèrent ; elle n'avait nulle raison d'intervenir pour le moment, elle risquait plus de les tuer, elle et le demi-dieu...

Toujours cachée dans les fourrés, Jade était aux premières loges pour voir le combat qui s'était engagé entre le demi-dieu et le Chien des Enfers, prête à tirer quand le moment viendrait. Elle fut presque bluffée par la prestation du demi-dieu, qui aveugla le monstre en perçant ses yeux de ses poignards. Apparemment, il avait l'habitude de se battre, il devait donc être à la Colonie comme la Voleuse...

Elle bougea instinctivement, se tenant prête à bondir, et jura entre ses dents en voyant que cela déconcentrait le demi-dieu ; quelques secondes après, le Chien des Enfers utilisait son pouvoir de téléportation pour atterrir de façon à cogner sa proie du jour violemment dans la poitrine, l'envoyant valser contre l'arbre le plus proche. C'est le moment que choisit Jade pour intervenir, profitant du fait que le Chien était tout aussi déstabilisé que le demi-dieu. Bondissant arc en main, elle atterrit juste derrière le chien et cria :

— Hep, gros balourd, c'est derrière que ça se passe !

Et cela fonctionna. Le Chien s'arrêta quelques instants, renifla et se mit à se tourner de façon à faire face à la jeune femme, qui put tirer quelques flèches qui blessèrent davantage la bestiole avant de s'écarter, le Chien lui grondant après. Elle parla avec fermeté :

— Dégage ou je te renvoie chez Hadès, là où est ta véritable place.

Hum, vu la tête du monstre qui se rapprochait seconde par seconde, il n'avait pas l'air déterminé à partir de son plein gré... Très bien, la Voleuse l'enverrait donc ad patres, comme elle l'avait dit. Mais avant, elle l'éloignerait du demi-dieu. Elle fit craquer ses jointures puis siffla : il n'avait peut-être plus d'yeux, mais il lui restait toujours l'ouïe et l'odorat, il était obligé de les utiliser. D'ailleurs, il la repéra à l'oreille, et une fois dans la ligne de sa truffe géante, il chargea.

C'était sans compter le fait que Jade soit forte à la course, et comme elle n'avait nullement l'intention de se faire bouffer, elle se mit à courir, très vite, talonnée par le monstre qui aboyait et grondait en même temps. Il lui faudrait trouver un cul-de-sac afin d'y coincer la bestiole, et l'y achever le plus rapidement possible, le tout sans y laisser des plumes ; ce ne serait pas évident...

Jade finit par amener le monstre dans un cul-de-sac, après une course effrénée de quelques minutes. Heureusement pour elle qu'elle n'était pas asthmatique, parce que là, vu la course qu'elle venait de faire, elle y aurait laissé sa paire de poumons depuis des lustres.

Une fois la bestiole acculée, la Voleuse se débrouilla pour ne pas être touchée par les coups de mâchoire et de pattes que le Chien des Enfers donnait volontiers, énervé qu'il était, et pour l'instant, sa tactique fonctionnait. Ce qu'elle n'avait pas prévu, c'était le fait que le Chien perde sa patte arrière droite comme si on avait lancé dessus une scie circulaire. Toujours est-il que, surprise, elle vit le monstre gémir de douleur et chercher son équilibre, avant de voir le demi-dieu qu'elle avait aidé se placer à côté d'elle et lui murmurer :

— M-merci pour... Le coup de main... On... En finit maintenant ?

Jade hocha la tête sans mot dire, et encocha trois flèches dans son arc avant de viser le corps du monstre. Elle attendit que le Chien ait retrouvé un semblant d'équilibre pour lui décocher ses flèches, qui allèrent se ficher dans le flanc de l'animal, la faisant pester. Pourquoi avait-il fallu qu'il se tourne pour trouver son équilibre, cet abruti ?! Elle lança un regard en coin au demi-dieu et chuchota :

— J'vais le distraire, je te laisse l'achever si tu peux.

Puis, sans prévenir, elle se déplaça de façon à faire face au monstre, continuant à lui décocher des flèches pour qu'il ne tombe pas sur le demi-dieu ; quand elle lui fit face, elle encocha deux flèches et les envoya dans la tête du monstre. Certes, elles se fichèrent dans un de ses yeux morts et au-dessus de l'arcade sourcilière, mais cela ne suffirait pas à l'affaiblir. Et ce n'était pas l'objectif de la Voleuse, qui commit une grossière erreur.

Elle se mit à regarder derrière le Chien si le demi-dieu était prêt à intervenir ; ce moment d'inattention fut mis à profit par le monstre, qui se mit à donner des coups de mâchoire dans le vide avant de claquer juste à côté de l'oreille de Jade, qui se mit à sauter sur le côté droit, sous une patte qui s'empressa de lacérer sa victime de façon à la blesser sérieusement avant de l'attraper avec sa gueule et la balancer contre un arbre à son tour, l'assommant proprement. Et merde...

Heureusement pour elle, les blessures que lui avaient infligées le Chien étaient certes importantes, mais elles ne saignaient pas. Du moins, tant que le monstre n'en rajoutait pas une couche avec ses foutues griffes...

Elle émergeait doucement lorsqu'elle entendit la voix du demi-dieu souffler :

— Tu en dis quoi ? On en finit maintenant ? En un seul coup...

La Voleuse ne répondit pas mais se contenta d'un bref hochement de tête, sans pour autant ouvrir les yeux, avant de grimacer ; sa nuque lui faisait sacrement mal, cette sale bête n'y était pas allée de main morte, enfin, de gueule morte, en l'envoyant valser.

Il se passa quelques instants avant que Jade ne recouvre complètement son esprit, même si elle avait l'impression qu'au moindre mouvement, elle allait hurler, sentant tant qu'elle restait immobile une douleur diffuse, peu précise, mais focalisée essentiellement dans sa nuque, son dos et ses côtes. À coup sûr, elle avait dû s'enfoncer quelques côtes et se fissurer un peu les os de la nuque et du dos, faudrait voir à l'infirmerie... Si elle y arrive un jour.

Elle finit cependant par lever la main pour faire signe au demi-dieu d'approcher. Malgré tout, il fallait quand même prévenir Chiron, et faute de pouvoir l'appeler avec un téléphone, il restait quand même un moyen. S'il courait vite, ça irait. Elle attendit qu'il soit à portée de son oreille pour lui souffler :

— Vas-y, fonce prévenir Chiron. Ça ira si tu fais vite.

Elle tenta de se redresser avant de renoncer, retenant de justesse un cri de douleur quand ses côtes fêlées et sa nuque se rappelèrent à son bon souvenir. Hou la vache, vivement qu'on s'occupe d'elle, en espérant qu'il n'y aurait pas d'autres monstres qui traîneraient dans le coin et qui en profiteraient...

Pendant ce qui lui semblait être une éternité, Jade resta immobile sur le sol, les yeux fermés, priant pour qu'aucun autre monstre ne vienne achever le boulot du Chien des Enfers. Le moindre mouvement la faisait grimacer, et pourtant elle ressentait le besoin de bouger. L'hyperactivité, à coup sûr...

Elle finit cependant par sentir des présences autour d'elle ; le bruit caractéristique de sabots qui raclent le sol d'inquiétude lui permit de deviner la présence de Chiron, et le contact de mains sur ses différentes blessures lui firent penser à des enfants d'Apollon. Elle entendit la voix du demi-dieu qui avait abrégé la vie du Chien des Enfers lui lancer, juste à côté d'elle :

— Q-question stupide, je sais mais... Ça va aller ?

La Voleuse leva brièvement le pouce, juste au moment où l'on posait une minerve sur son cou pour l'immobiliser avant qu'on ne la mette sur un brancard. Elle sentit, gardant toujours les yeux fermés, que Chiron s'approchait d'elle et lui lançait avec inquiétude :

— Il t'a pas ratée quand même... J'espère que tu vas pouvoir t'en sortir, je n'ai guère envie de recevoir une visite de ton paternel en colère parce que je n'ai pas pu empêcher ça.

Jade ricana avant de regretter amèrement ce qu'elle venait de faire : une douleur allant de sa nuque au bas de son dos se fit ressentir juste au moment où elle ricanait, et elle poussa un cri en se crispant, attrapant le poignet d'un des enfants d'Apollon qui se trouvait à portée de main avant de sentir quelque chose dans sa bouche qui la calma aussitôt, retombant comme une poupée de chiffon sur son brancard pendant qu'on la transportait. De l'ambroisie et du nectar. Leur action bénéfique la rendirent presque groggy, et ce n'est que vaguement qu'elle sentit qu'ils avaient pris le chemin sous les pieds avant de sombrer dans les bras de Morphée. Du repos, voilà ce dont elle aurait besoin pendant au moins quelques jours, en attendant que son corps se remette de ses émotions...