Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'elle ne passait pas inaperçue ...
Bien qu'elle ait troqué ses vêtements de luxe pour une tenue plus passe-partout, elle devait bien se rendre à l'évidence : elle a beau vouloir changer de vie, elle était une femme fatale, et donc était livrée avec tous les  accessoires ...  

Le Café Neskar a beau être situé dans une artère paumée aux alentours de la 5th Avenue, il est plutôt fréquenté. Surtout par des étudiants bobos de la NYU ... Ces mêmes étudiants qui lui proposaient de parler de politique ou du sens de la vie autour d'un café, en dissimulant assez mal le but primordial de la manœuvre ...

Après avoir éconduit une quinzaine de prétendants et refusé le double de café, elle commençait à se demander pourquoi le rendez vous avait lieu ici.  

C'est à ce moment là que quatre personnes s'invitèrent à sa table. Elle leva les yeux de sa tasse, afin de voir qui allait lui permettre de tuer encore un peu plus le temps, se demandant quel sujet existentiel serait exploité cette fois ci.  Elle misait sur le massacre des baleines ...

" Je paries que je peux deviner pourquoi tu es là ? "

Cette phrase plutôt intrigante avait été prononcée par le seul garçon du quatuor. Trouvant cela plus original que tout ce qu'elle avait entendu aujourd'hui, elle les détailla avec un peu plus d'attention.
Le jeune homme est assez mignon, son air malicieux est à croquer. Mais il ne transpire pas l'honnêteté ...
Parmi les jeunes filles qui se trouvaient à ses côtés, il y avait des jumelles particulièrement ravissantes.

Assez clichées par contre. Il y a deux tendances chez les jumelles. Soient elle misent tout sur leur complicité et font tout pour qu'on les confonde, soit elles misent tout sur leurs différences, et font au contraire tout pour qu'on les distingue. Celles ci marquent leur différence d'une manière assez poussée. La première porte tous les caractéristiques les plus basiques de la mode gothique, tandis que sa sœur à l'air d'une poupée de porcelaine, à la limite de l'angélique ...

Quant à la troisième, elle était toute aussi charmante. Mais elle cultivait une apparence de jeune fille sage qui gâchait tout son potentiel.


" Alors, tu tiens le pari ?"

Fendu de son plus beau sourire, le garçon semblait impatient de faire montre de son talent.
N'ayant rien de mieux à faire, elle décida de se lancer

" Vas-y, je t'écoute, monsieur le malin.
- Très bien. Je suis là depuis plusieurs heures, j'ai observé les gens qui sont entrés ici, et j'ai pu me rendre compte que ceux qui viennent  boire un café ne restent guère qu'une heure au grand maximum. Toi, tu étais là avant moi. Vu le paquet de gigolos qui t'ont abordée, et que tu as refoulé, on peut déduire que tu es là pour une raison précise. Si tu avais un rendez-vous avec un homme, tu ne serais pas arrivée aussi tôt avant, et s'il était en retard, tu serais partie depuis longtemps. Or, tu reste là à te faire harceler par des étudiants en rut. Tu n'as pas utilisé ton portable une seule fois, ce qu'aurait fait toute personne voulant contacter un retardataire. J'en déduis donc que tu es là pour rencontrer une ou des personnes à une heure bien précise, mais que tu n'avais rien de mieux à faire que de venir ici, et que tu ne voulais absolument pas rater ce rendez vous, quitte à venir des heures en avance.

-Pas mal Sherlock, tu m'as percée à jour. Mais je peux te retourner la politesse. Qu'est ce que tu fais là depuis des heures ?"

La jeune fille bien sage lui répondit

" La même chose que toi. On attend pour partir à la colonie."

Elle en avala son café de travers. Eux aussi avaient  rendez vous pour la colonie ?

Ils commencèrent à discuter. Malheureusement, le fait de croiser ses futurs contemporains l'avait rendu toute timide.

" Vous vous connaissiez avant  le café ?
- Non, moi je ne connaissais personne. C'est Ingrid qui m'a abordé. Elle était là avant toi et nous a repéré de la même manière. On a commencé à faire  connaissance à partir de là. A propos, moi je m'appelle Dorian Soralis. "

Son sourire malicieux se dessina à nouveau. La jeune fille bien sage prit la parole à son tour.

" Je me nomme Ingrid Trastania. Je suis encore plus prudente que toi apparemment, vu que je suis arrivée ce matin. Mais je n'ai pas été aussi sollicitée que toi, je suis un peu jalouse."

Elle arborait une moue boudeuse qui la rendait adorable. Il faut  vraiment qu'elle change son look.

" D'ailleurs, tu bois trop de café. 12, c'est beaucoup dans une journée.
- Tu sais combien de cafés j'ai bu ?
- Je sais même à quelle heure tu les as bu en fait ...
- Mais comment ?  
- Disons que j'ai été gâtée au niveau mémoriel ..."


Les jumelles semblaient pressées de se présenter également

" Bonsoir, moi c'est Eulalie Shivers. La gothique, c'est ma sœur Eurasia.
Je suis enchantée de te rencontrer. Ça devait être le destin.
- Oui, moi aussi je suis enchantée, pareil que l'angélique. Mais espérons que le destin nous soit favorable"


Là, c'était sûr, elle était coincée. Plus d'autre choix que de se présenter. Elle fit un large sourire, et s’exécuta

" Enchantée de vous rencontrer. Je suis Erika Rafaruta."


Ils papotèrent, et firent connaissance. Erika se  sentait bien. Elle découvrit des choses assez personnelles  sur ses nouvelles connaissances, comme le fait que Dorian est en effet un petit plaisantin, que Ingrid n'a pas  juste une bonne mémoire, mais est hypermnésique, et que les jumelles sont persuadées que le destin est la seule vérité du monde.

Mais une question la mit mal à l'aise.

" Erika, tu sais qui est ton parent divin ?"

Elle ne voyait pas comment l'annoncer.

" N-Non.  Je ne sais pas ... J'ignore qui est mon père ...
- Vu comme tu es jolie, tu dois être fille d’Apollon. C'est le Dieu de la  beauté après tout.
- M.. Merci, je suis flattée."

Elle décida d'orienter la conversation autrement.

" Par contre, je pense que je peux deviner qui sont vos parents divins."

Les autres tinrent le pari.  Elle réfléchit quelques minutes, avant de leurs livrer ses conclusions.

" Hum, je pense que tu es  fils d'Hermès.
- Oui, c'est vrai, mais d'après ce que j'ai compris, c'est plutôt facile à découvrir.
- Avec moi, ce  sera plus difficile.
- Toi Ingrid, je parie que ton parent divin est ta mère.
- Pas mal. Mais qui ?
- Mnémosyne ?
- Bien jouée. Tu m'as l'air calée en mythologie.
- Je me débrouille."

Les jumelles avaient hâte de prouver à Erika qu'elle n'était pas infaillible.

" Vous c'est plus compliqué. Mais en me fiant à ce que je sais de vous ... Je dirais que l'une d'entre vous représente la face lumineuse du destin, et  l'autre la face obscur. Je dirais même que vous essayez de vous désolidariser de votre affectation, en prenant un apparence opposée. Je suis sur que l'aspect  obscur, c'est  Eulalie.
- Tu lis en nous comme dans un livre ouvert. Mais qui est notre parent divin alors ? "

Remontant les  souvenirs d'une de ses nombreuses lectures, elle sortit un nom d'instinct.

" Ananké ...  La déesse du destin"

Les jumelles étaient impressionnées.

La conversation allait bon train, lorsqu'une jeune fille s'approcha de leur table.  Erika leva la tête sur l'horloge murale.

17 h 43

« Anna Echols. » La demoiselle toisa le satyre, une moue vaguement agacée peinte sur le visage. « C'est ici que nos chemins se séparent. » « T'es sérieux, là ? » Un léger silence succéda à son exclamation, le temps que la satyre l'observe comme si elle n'était qu'un misérable insecte. « Ah bah bravo, tu viens de démolir tout le côté tragique de la chose. » La dispute aurait pu se poursuivre longtemps, tandis qu'ils étaient plantés au beau milieu de Central Park, mais la créature choisit – pour une fois – la voix de la sagesse et y coupa court en levant la main. « Attends attends, faut juste que tu partes en chercher quelques uns dans un bar, je peux pas tout faire ! » « J'y crois pas... » Anna adopta une expression faussement outrée – quand elle ne partait pas en mission avec Wesley, elle se retrouvait avec cet idiot et... C'était toujours la même chose. Elle prit en soupirant le bout de papier que lui tendait la créature. « Moi aussi, j't'aime, Anna-chou ! » C'est cela, oui. Le satyre lui adressa une parodie de salut militaire et s'éloigna en bondissant dans le parc. Elle jeta un coup d'oeil au papier froissé. Cinq noms. Rien que ça. Et après, on se demandait pourquoi elle n parvenait à ramener qu'un demi-dieu sur dix à la Colonie. Avec cinq sang-mêlés – sans compter elle-même – ensemble, ce n'était pas un monstre qu'ils risquaient de rencontrer, c'était une véritable armée ! Son regard accrocha les noms des parents divins. Ainsi donc, l'administration était déjà au courant des petits détails. Avant même de les avoir rencontrés. Mais aussi doués soient-ils, ils auraient pu aussi bien envoyer plusieurs satyres plutôt qu'un seul un peu simplet et elle-même. Envoyer Anna faire une quête sympathique ? Quelle idée ! Et pour quoi faire donc ! Non non, Anna, il fallait l'envoyer s'user les semelles à New-York pour dénicher une grappe de nouveaux qui avaient une chance sur dix d'arriver entiers à la Colonie. Beaucoup plus marrant. Cela dit, la fille d'Hermès ne pouvait pas s'empêcher d'être touchée face à la confiance qu'ils continuaient à lui faire après les derniers petits événements. Ce n'était pas rien pourtant : elle et Wesley avaient été parfaitement incapables de dépasser les trois cents mètres autour de la Colonie sans se disputer et croiser un cyclope. Mais non, ce n'était pas grave. Aller Anna, fonce Anna, heureusement que tu es là, Anna. « Anna, elle va se mettre en grève, oui. »

Tout en râlant intérieurement, elle avait retracé son chemin jusqu'au lieu de rendez-vous. Le même une fois sur cinq, à croire qu'ils prenaient en plus les monstres pour des buses. Avec un léger soupir, Anna poussa la porte en jetant un coup d'oeil à sa montre. Dix-sept heures et quarante-trois minutes. Elle balaya la salle du regard jusqu'à tomber sur un groupe de cinq, dans un coin. Quatre demoiselles, un seul garçon. Ca semblait correspondre. La sang-mêlée traversa la salle à grands pas, attrapant une chaise vide en passant, et la planta presque brutalement entre l'unique garçon et sa voisine. Elle s'assit à califourchon dessus, affichant un grand sourire.

« Bonjour, je crois que nous avions rendez-vous ? Enchantée, je m'appelle Anna. » La demoiselle plia avec soin la feuille qu'elle n'avait pas quitté et la glissa dans la poche de son blouson. « J'imagine que vous savez pourquoi vous êtes là ? » Contrairement à la dernière fois où l'administration de la Colonie avait gentiment oublié de lui préciser qu'ils n'étaient ni au courant de leur condition un peu particulière, ni de l'importance de ce rendez-vous. Entre ceux qui étaient venus mais qui l'avaient cru complètement dingues et ceux qui n'avaient simplement pas pris la peine de venir... En même temps, pourquoi se rendre à un rendez-vous aussi douteux pour des motifs tous aussi bizarres ? La plus discrète du lot – enfin celle qui passait le plus inaperçue – prit la parole. « Enchantée Anna, moi c'est Ingrid. Je crois qu'on sait tous pourquoi nous sommes là. Je suis la fille de Mnémosyne et voici... » « Silence. » L'unique mot avait claqué comme un ordre, prenant la dénommée Ingrid par surprise. Anna jeta un coup d’œil aux environs, légèrement inquiète.