Grace se leva et enfila le premier sweat qui traînait. Elle regarda sa montre, huit heure. Elle avait donc environ onze ans. Avec un soupire elle regarda ses manches trop grandes et Neal qui dormait encore. Un jour peut-être tout cela allait s'arrêter. Peut être... Elle sortit de sa chambre, le silence le plus total régnait dans l'appartement jusqu'à... Jusqu'à une Bae qui sortit en trombe de la salle de bain, annonçant qu'elle devait faire un tour chez elle pour ses plantes ou une histoire dans le genre. Elle nota la présence d'un autre matinal dans le salon, le maître des lieux en question. Elle s'étira et lui bondit sur les genoux en rigolant.

« Hey, mon gars ! Bien dormis ?»

Elle n'avait jamais vraiment parlé à Aidan. Sauf au cours des repas bien sûr, Grace était toujours celle qui causait le plus. Elle passa une main dans les cheveux du jeune homme et commença à raconter sa nuit horrible, durant laquelle elle s'était cogné une dizaine de fois au barreau de son lit pour bébé, pour ensuite se réveiller la tête dans la housse de couette, bref, l'enfer. Elle avait parfaitement conscience d'être un peu collante dès le matin, mais tisser des liens avec lui n'était pas une mauvaise idée. Elle bondit hors du canapé, une vraie pille électrique et farfouilla dans les placard à la recherche de quelque chose qu'elle pouvait se mettre sous la dent.

« Va falloir qu'on aille faire des courses. Tu sais quoi, je t'accompagne ! » – non non, elle n'imposait pas du tout son idée au pauvre type qui n'avait peut être qu'un seul rêve, rester tranquille chez lui – « je vais m’habiller et faire mon sac !»

C'était tout de même une drôle de routine. S'habiller et prévoir des habits pur toute une journée. Quoi que là, ils partiraient juste pour la matinée, aussi se dit-elle que cela ne servait à rien de charger la mule. Prenant garde à en pas réveiller tout le monde, elle s'habilla, se toiletta et attendit Aidan dans l'entrée. Sortir, prendre l'air et quitter cet appartement n'allait pas lui faire de mal. Certes elle s'y sentait bien, mais elle avait toujours cette petite gène, peut être à cause de sa malédiction... Quoi qu'il en soit, elle n'avait jamais vécu dans un endroit aussi bondé depuis la colonie.

« Oh, j'pourrais me mettre dans la chariot ? Un vieux rêve d'enfant...»

Ou un délire plutôt. Elle en avait vraiment envie. C'était peut-être le fait d'être de nouveau une gamine ? Elle avait été privé de tout cela, étant partie à la colonie assez jeune.

L'alcool dés le matin avait une saveur particulière mais pas désagréable. Aidan n'avait pas su l'apprécier immédiatement, la jugeant trop agressive pour un simple petit déjeuner... Mais il avait fini par s'y faire, et ce petit verre matinal était devenu son meilleur ami. Histoire de commencer la journée d'un bon pied, voyez-vous ? L'appartement n'était plus trop plongé dans l'obscurité, et Bae passa en courant pour se précipiter vers l'entrée. « Okay, à tout à l'heure ! » Elle était son rayon de soleil, sa délivrance face à tous ces événements. Il l'avait laissé derrière il y avait des années maintenant, mais la retrouver était l'une des meilleures choses qui soit arrivée ces derniers temps. Oh certes, il avait eu ses raisons de la laisser pour ses macabres activités mais sa vie n'avait jamais été aussi froide que sans elle. Dès que la porte claqua, il replongea dans la contemplation du fond de son verre mais sa tranquillité fut de courte durée. Une demoiselle grande comme trois pommes s'écrasa sur ses genoux et il manqua de lâcher son verre. « Putain... » Comme si sa vie de demi-déesse l'intéressait. Bon, il avait conscience d'être vaguement injuste mais lui qui avait enfin trouvé un peu de sérénité à huit heures du matin – à peu près le seul moment où l'appartement ne grouillait pas de vie dans un vacarme épouvantable de piaillements, de portes qui s'ouvraient et se fermaient, d'objets qui s'entrechoquaient, de conversations... - voilà qu'il se faisait assaillir par une gamine qui dans quelques heures serait très probablement une sexagénaire un peu sourde. Il y avait de meilleures façons de commencer une journée. Cela dit, elle n'avait pas tort. La petite colonie de l'appartement du dernier étage mangeait bien et vite, aussi fallait-il remplir le réfrigérateur à intervalles très rapprochés. « C'est ça, c'est ça... » Aidan pouvait râler tout ce qu'il voulait, il n'était pas mécontent de sortir faire un tour et curieusement, il n'était pas non plus contre l'idée d'être accompagné par Grace. Entendons bien : les demi-dieux et leur insupportable supériorité continuaient de l'horripiler mais... Peut-être qu'il commençait à s'y faire. Ou que Grace Turner n'était pas une fille trop chiane, trop hautaine.

Quand Grace jaillit enfin de l'une des chambres pour l'attendre dans l'entrée, le mortel se leva avec un profond soupir et gagna le petit couloir en enfilant un t-shirt. Il ne râlait que pour la forme. « Tu fais ce qu'il te chante, ma cocotte, mais ne viens pas pleurnicher si tu as l'air ridicule. » Aidan ne mâchait pas ses mots, il ne l'avait jamais fait, mais c'était plutôt une qualité chez lui. Seul Sonny avait droit à des mensonges en boucle – mais Sonny était un cas à part – et la vérité la plus crue était servie aux autres. « En route. » Le supermarché le plus proche se trouvait trois rues plus loin, dans une ruelle plutôt passante. « Tu te débrouilles pour grimper là-dedans par contre, j'te porte pas. » Fallait pas rêver non plus. Sans attendre la fillette, Aidan entraîna le cadis dans les vastes rayons. « Haricots verts, petits pois... On devrait essayer les commandes à domicile la prochaine fois. » Il ne le pensait pas : aucun livreur ne se proposerait pour amener les courses de presque dix personnes au dernier étage d'un immeuble sans ascenseur. Les délégations envoyés en « mission courses » avaient déjà le droit à une après-midi de repos après, alors un livreur... Aucune chance. Un pack de bières termina dans le cadis, bientôt suivi par du lait et du jus de fruit. « J'ai bien envie de chocolat, tiens. » Sa maison, ses règles. La présence de chocolat en faisait partie. « C'est marrant, j'me sens observé... Pas toi ? » La sensation était venue alors qu'ils n'étaient même pas entrés dans le magasin mais elle n'était pas assez forte pour qu'il y prête attention. En revanche maintenant... Il y avait de quoi être mal à l'aise. Inconsciemment, sa main vérifia sa ceinture. Son fidèle pistolet était bien là, coincé dans sa ceinture sous son t-shirt, et il remerciait Sonny de le lui avoir rendu.

Son vœux fut exaucé, elle se glissa dans la chariot, un immense sourire aux lèvres. Il était peut-être tôt, mais elle débordait déjà d'énergie. Il était grognon ce type... Bon, peut-être qu'elle l'avait un peu trop poussé hors de chez lui ? Cela lui ferait le plus grand bien, elle en était sûr.

« Ah mon coco, on prend de la viande. J'en ai marre de votre loi sur il faut manger vert avec Sonny, les machins de tofu et de soja, les légumes pour la vie hein... Ah moi les steaks ! De la viande, de la bonne viande ! »

Non mais. Il était vrai que Aidan était végétarien. Que Sonny l'était aussi. Et que Clovis mangeait ce qu'on lui donnait. Avec ça, Neal, Valentine et elle étaient bien mal barrés. Comment pouvait-on... Vivre comme ça ? Elle s'agita dans son chariot, lui balançant des blagues de temps à autres et les gens dans le magasin commençaient à les regarder comme... Comme des gens étranges. Forcément, il avaient déjà du voir Aidan plusieurs fois, et le voir avec une fillette dans un chariot devait les laisser assez perplexe.

« Oui oui, prend plein de chocolat ! Ceux avec des noix, Sonny il aime pas, ça en fera plus pour nous !»

Non non, aucun égoïsme dans cette phrase. Bon, juste un peu. Elle lui donna un coup de coude, le forçant à regarder par dessus le rayons fruits et légumes. Observé ?

« C'est peu être la jolie blonde là, je crois que tu lui plais. AH mince, tu préfère peut-être les blondes... ou les rousses ! Elle vient vers nous, mon gars c'est génial ! »

Elle lui donna un coup de coude, un sourire pleins de sous-entendus. Il était seul – du moins, c'est ce qu'elle pensait de lui - et un peu de... compagnie ne lui ferait sans doute pas de mal de temps en temps. Comme ça, Grace ne le voyait pas vraiment comme un homme qui courait après toutes les femmes du quartier ? Étonnement, il ne regardait même pas. La femme blonde était arrivée devant eux, un immense sourires aux lèvres et Grace nota que son mascara était mieux sur l’œil droit que sur l’œil gauche. Elle les salua, tapotant la tête de Grace comme celle d'une gamine (si seulement cette femme savait que Grace avait en réalité le même âge qu'elle) et commença à parler. Elle lui demanda si Grace était sa fille, ce à quoi Grace s'empressa de répondre que non, qu'Aidan était son grand frère et ça partir de là, on ne l'arrêta plus. Elle eut l'impression d'être... Transparente. La femme blonde – Melissa – avait les yeux rivé sur son colocataire et uniquement sur lui et elle le draguait sans ménagement. Grace ne savait pas si elle devait rire ou pleurer compte tenu de la tête que tirait le jeune homme ? Ou il n'avait pas l'habitude, ou il était gêné... Elle sentait de nouveaux sa peau se hérisser, et ses os lui faire mal, comme à chaque fois qu'elle grandissait un peu plus. Cela n'allait plus tarder, cinq minutes avant la fin. Elle donna un petit coup de pied à Aidan. « Aidan, prend son numéro, fait quelque chose... » pensa t-elle. Sauf que la Mélissa en question ne le lâchait lus. Et que étrangement, une nuée d'autre nanas semblaient venir vers elle, leur chariot rempli. Rempli de poissons crus. Et de viandes crus.  Uniquement de ça. Les cinq femmes ici présentes étaient soit toute carnivores, obsédé par le pauvre mortels, soit... Soit il y avait en effet quelque chose qui clochait dans se super marché. Leur regarde semblait vide. Alors elle se concentra sur le visage de la Mélissa en question. Sous son épais maquillage on pouvait percevoir une peau tout sauf lisse, des dents tout saufs blanches. Ses mains étaient osseuses et... Grace déglutit. Il fallait qu'il sortent d'ici, et vite.

« Non mais tu as rêvé. » Aidan avait décrété qu'il ne ferait plus le moindre mal à un être vivant à ses huit ans et par conséquent, qu'il se refusait à manger de la viande – du moins, si rien ne l'y obligeait. Sa mère, madame Tyrell, et son époux avaient accepté et toute la petite famille s'y était mise. En y songeant, poussant le chariot dans les vastes rayonnages de la grande surface, le mortel sentit une boule familière naître au creux de son ventre. Une grand-mère les croisa, les regardant avec un étonnement presque vexant. Bon, il était vrai qu'Aidan la croisait régulièrement et qu'elle ne l'avait jamais vu avec une gosse – une gosse un peu trop vieille pour être sa gosse quand on connaissait leurs âges respectifs – mais une telle tête aussi perplexe en devenait presque vexante. Le chocolat aux noix rejoignit le caddie en plusieurs exemplaires. « T'as raison, il est au régime, il en a besoin. » Non, absolument pas, mais Grace avait raison sur un point : ça en ferait plus pour eux.

Après... La gène s'installa. Dés qu'il passait un bon moment avec quelqu'un, il fallait toujours qu'un détail vienne tout gâcher. Évidemment que Grace ne savait pas : ce n'était pas comme s'il le criait sur tous les toits. Et d'ailleurs, il faisait à peu près tout ce qui était en son pouvoir pour que ça reste privé. Sonny ne l'avait su que parce qu'il n'était pas dans un état normal un jour, sinon jamais il ne l'aurait appris. La femme blonde dont la jeune fille lui rabattait les oreilles depuis dix bonnes minutes acheva de peser ses carottes pour marcher à leur rencontre. « Oh qu'elle est mignonne ! » Elle tapotait la tête de Grace et Aidan eut une image très réaliste de l’inoffensive petite fille envoya la miss au tapis en moins de deux. « N'est-ce pas ? Attention, elle mord. » « Oh ! Je n'en doute pas. » Formidable, elle ne comptait pas fuir devant son air... neutre. La blonde ne s'arrêtait plus. Si Grace avait été un prétexte pour taper la causette, elle s'accrochait à présent à Aidan comme une moule à son rocher et ce malgré l'expression peu engageante qu'il s'appliquait à donner. « Et vous savez... » Si seulement il savait comment fuir... « Vous êtes vraiment à croquer. » Il ne sut si c'était le ton bizarre de la phrase ou la tête subitement effrayante que tirait la jeune femme qui le tira de l'espèce de transe dans laquelle il s'était glissé, toujours est-il que le mortel redressa brusquement la tête, avisant la dentition relativement... notable de la blondinette. Et de ses camarades qui arrivaient en masse, chariots en avant. « Oh euh... » C'était bien sa veine, sortir faire les courses une fois avec une demi-déesse et voilà que le peloton d'exécution se ramenait le même jour. « On doit encore aller chercher mamie. Hein, Grace. » Pardon, mamie ? Le mensonge n'était pas un art aisé quand cinq paires de seins ambulantes à dentitions de tyrannosaures débarquaient avec un air affamé plaqué sur le visage. Sans prévenir Aidan balança la plus proche contre le rayon des épices et celui-ci trembla sous le choc, déversant persil, piment et poivres sur le chariot. « Accroche-toi ! » Heureusement que les chariots avaient des roues et que Grace se trouvait assise sur le siège pour enfant. Au bout du rayon, le mortel exécuta un virage splendide, manquant de peu d'atterrir dans la caisse des promotions sur les crevettes et fit tant bien que mal pivoter le chariot dans le rayon des fruits et légumes. « Putain prends des munitions ! » Une flèche siffla tout prêt de lui, se plantant en vibrant dans une pomme. Une autre se ficha l'instant d'après dans le sac des surgelés, ratant Grace de quelques millimètres seulement. « Des citrons ! Balance les citrons ! » Le caddie heurta le bord des palettes de fruits, faisant rouler concombres, tomates et raisins sur Grace et Aidan. « Rappelle-moi de ne plus jamais aller faire les courses ! » le chariot fracassa la vitrine des saucissons et embarqua au passage un vendeur fort costaud.

Les vigiles choisirent ce parfait instant pour rappliquer, se suicidant à moitié sous les roues de l'objet lancé à pleine vitesse. « Monsieur ! Monsieur ! Stop stop ! Ohoh, monsieur ! C'est interdit ce que vous... » « Dégageeeez ! » « … ! » Les trois vigiles semblèrent comprendre au dernier instant que l'opération semblait compromise puisqu'ils se jetèrent à moitié dans un bac de ballons de rugby. « Mon chou ! Ta chair semble si délicieuse ! Si tendre ! Et ce parfum vaguement... » Dans un dérapage – plus ou moins – contrôlé, Aidan entra dans la zone de stockage et appuya comme un fou sur le bouton de fermeture des portes. « Aller aller... » Son cœur battait comme jamais, assourdissant jusqu'au grincement des larges panneaux en fer. Une des créature tenta bien de se glisser entre les implacables mâchoires métalliques mais... « Regarde pas ! » Parfois, il oubliait que Grace était plus vieille que lui... Ceci dit, le spectacle n'était pas beau à voir et quand la chose se réduisit enfin en poussière dorée, il se sentit mieux. Un dentier tomba sur les dalles blanches. « Notre trophée de guerre, j'imagine. » Aidan prit la peine de l'expédier dans le chariot. Et les portes tremblèrent.

Des compliments, encore des compliments... Jusqu'à que les deux pauvres jeunes gens prirent la fuite. Oui oui, ils devaient aller chercher mamie. Elle le foudroya du regard quelques secondes. Si c'était une allusion ou une blague vis-à-vis à son léger soucis du moment, il était pas drôle. Alors elle s'accrocha. Elle découvrait un Aidan expert en pilotage de caddie, c'était marrant. Enfin, juste le concept de Aidan poussant très vite un caddie, parce que le reste ne l'était pas. Elle attrapa des poignée et des poignée de fruits qu'elle balança sur les femmes qui leur courrait après. L'une d'elle se mangea un citron dans l’œil et poussa un rugissement qui n'avait rien de sympathique.

« Plus de citron ! »hurlait-elle assise dans son chariot.

Grace n’aurait jamais cru vivre une chose pareil. Les bananes, les pommes partaient dans tout les sens et enfin, les rares clients normaux commençaient à s'affoler de ce qui était en train de se passer dans leur petit commerce de quartier. Les vigiles firent irruption et Grace n'eut pas le temps de oups que déjà Aidan fonçait déjà, et les pauvres hommes se jetèrent dans un tas de ballons de rugby.  Ils entrèrent dans la zone de stockage, Grace laissa échapper un cri quand sa réserve de munition citron vert du brésil lui échappa des mains. Et l'autre blonde qui gueulait toujours. Aidan appuya comme un digue sur la fermeture des grilles et paf, plus de blonde, juste un dentier. Elle sauta hors du caddie.

« Je suis grande tu sais, j'ai jamais encore croisé de machin dans ce genre. Avec Neal pourtant on est de vrai abonnés. Mais t'es un vrai warrior toi, j'comprends pourquoi t'es pote avec Sonny, au moins y'a quelqu'un pour le défendre, la baston, c'est pas son truc. »

Elle regarda le dentier et regretta de ne pas avoir prit son arme avec elle. Elle prenait déjà quelque centimètres de plus, elle allait vers ses dix ans. Flûte, pas maintenant. Les  portes grinçaient, de l'autre côté, les femmes-monstres devait pousser et cogner avec fureur.

« Bon, comment sort-on d'ici ? Y'a pas une truc métallique qui traîne dans le coin... »

Elle trouva un arc et des flèches pour enfant. Minable. Mais avec les quelques matériaux dur et fins qu'elle trouverait, elle allait pouvoir se défendre un minimum. Les portes tremblèrent encore et Grace vit un doigt, puis deux se glisser sous elles. Malheur. Elle sauta ses les doigts et il se retirèrent aussi. Autant gagner du temps comme on le pouvait.

« Si je me planque dans les stocks de bouffe, elles ne sentiront peut-être plus mon odeur, et si elles rentre, elle nous croirons partit ?  »

Elle longea un stock d'orange d'Espagne, aux odeurs encore forte. Parfois elle remerciait les gens aspergeant leur fruits de multiples produits pour préserver leur odeur et leur couleur. Elle n'avait jamais été très fan de ce fruit, mais c'était ce qui lui fallait. Ni une, ni deux, elle prit une profonde inspiration, se félicita de n'avoir que dix an une fois de plus, et se planqua du mieux qu'elle pu.

Aidan regarda l'arc et les flèches en plastique que Grace venait de trouver dans un coin. Avec ça, c'est clair qu'ils n'allaient pas aller loin mais en même temps, personne n'aurait prévu de se faire attaquer aux courses de bon matin. Ils allaient juste chercher de quoi déjeuner pour la semaine, rien de bien dangereux là-dedans ! Et pourtant, voilà qu'ils se terraient dans les entrepôts à l'arrière du vaste bâtiment. Guettant les mouvements de son colocataire du coin de l'oeil, il ne put s'empêcher de hausser les sourcils en la voyant se terrer au milieu d'oranges à l'odeur abominable. « Euh Grace... » Se souvenir qu'elle était plus vieille que lui et éviter le ton condescendant qu'il sentait venir dans sa prochaine phrase. « Sinon on peut juste partir par la porte d'arrivée des livraisons... » Elles n'étaient pas grande ouverte mais Aidan se doutait qu'actionner l'ouverture ne devait pas nécessiter un doctorat en mécanique. Laissant la demi-déesse à ses oranges, il traversa la zone de stockage au pas de course en essayant d'ignorer les cris de hargne qui s'élevaient derrière la porte métallique, juste derrière lui. Deux secondes plus tard, il appuyait un grand coup d'un un grand bouton vert décoré d'une flèche pointant vers le haut. Les portes entamèrent une longue et pénible montée, s'enroulant paresseusement en haut. « Vite, sors de tes oranges ! Presto ! Par là ! » Presto… Quelque chose n'allait plus chez lui. Il sortit à l'arrière du parking, avisa un van. « Poussez-vous ! » Un livreur se retrouva sur les fesses à observer Aidan sauter dans le véhicule (il n'avait point le permis mais bon sang, ce n'était pas le moment de se lancer sur les pour et les contre de la conduite dangereuse en ville) et appela Grace. « Magne-toi, débile ! » Les créatures venaient juste de soulever assez le rideau de fer pour commencer à ramper par-dessous, un sourire carnassier plaqué sur leurs lèvres couvertes de rouge à lèvres.

Hop, il démarra sur les chapeaux de roues, cala, s'y reprit une deuxième fois et fut content de constater qu'il avançait. Il effectua un virage maladroit, frôlant une vieille portant une cargaison notable de laitue… Et c'était bon, ils roulaient à toute allure dans les rues de New-York. « Merde c'est laquelle la pédale de frein ? » Il freina violemment, débraya, embraya, accéléra puis… « Ah ! Celle du milieu ! » Les créatures réapparurent derrière, à scooters cette fois-ci. « Elles nous suivent, non ? »

« Bon sang ! Dis moi que tu sais conduire triple idiot ! Pitié !»

Parce qu’elle n'avait pas vraiment envie d'avoir un accident de la route, là maintenant tout de suite. Oui, elles les suivaient. Elle hocha la tête. Bon sang, c'était le bon moment pour reprendre encore des centimètres. Elle jeta un coup d’œil par la vitre arrière et constata que c'était une véritable bande de motardes qui les traquaient. Voir des femmes aux allures de mères de famille, en tailleur chic ou robe à fleur sur leur moto lui faisait tout drôle. Cela en était même parfaitement ridicule.

« Prend les ruelles, prend les ruelles !»

Bon sang. C'était fast and furious, avec un camion de livraison. Si Neal savait ce qu'elle faisait en ce moment là, elle était prête à parier qu'il étranglerait Aidan pour l'avoir entraîné là-dedans. Et elle se ferait étrangler par Sonny pour avoir entraîné son meilleure amie, petit copain ou elle ne savait trop quoi là-dedans. Elle ouvrit alors la fenêtre avant du véhicule pour y apercevoir une moto plus proche que les autres. Juste sous sa fenêtre pour être précis. Prenant son courage à deux mains, elle sortit à moitié du véhicule pour y agripper la tête de la conductrice et attaquante. Sa tignasse de cheveux dans les deux mains, elle la ramena vers leur véhicule y mettant toute sa force, écrasant le crâne de la créature contrôla portière. Rien à dire, c'était immonde. La créature se débattit, mais Grace ne lâcha pas prise. Le bruit de la tête qui frottait contre sa portière était tout sauf à agréable à entendre. Les cris de ses congénères non plus d'ailleurs. Quand elle la lâcha enfin elle tomba de sa moto et s'étala par terre de tout son long. Sans ménagement les autres derrière elle lui roulèrent dessus, ne quittant pas Aidan et Grace des yeux. Elle referma sa vitre, essoufflée.

« Bon, moins une, comment on va faire pour les autres ? »

Le vrombissement des moteurs se faisaient de plus en plus sourd. C'était quoi leur soucis ? En plus de vouloir les manger, elles voulaient voir qui était les meilleurs conducteurs ? Pendant qu'Aidan était au volant, Grace partit fouiner dans le coffre de leur véhicule. En dehors des oranges, elle était en quête de quelque chose pouvant leur sauver la mise. Et son regard se posa sur trois gilets de sauvetage oranges et blanc.

« Aidan ?»

Mauvaise idée. Mais bon, tant pis, elle n'en avait pas d'autre. Pas le temps de voter.

« Aidan, fonce sur les dock. Détache toi, ouvre ta fenêtre. Et après, on fonce dans la flotte. »

Elle regagna sa place et lui jeta son gilet de sauvetage sur les genoux.

«Je pense que ces créatures n'aiment pas l’eau. »

Qu'une mioche le traite d'idiot avait quelque chose d'assez agaçant mais Aidan ne s'y attarda pas, trop concentré sur sa conduite. Non, il ne savait pas conduire, n'avait même jamais touché un volant. Toutefois, ils risquaient moins d'être repérables si lui conduisait que si une gamine de même pas douze ans se mettait au volant. Question de logique. Le camion tourna maladroitement dans une petite ruelle, embarquant en passant une benne à ordure pleine à craquer. « Putain, tu peux essayer de la décrocher ? » L'objet faisait un bruit monstre, raclant sans pitié le goudron et semant des sacs à tout va, traçant une ligne directrice pour leurs poursuivants. À voir les autres faire, Aidan n'aurait jamais supposé que piloter un engin soit si difficile. « Waouh, t'es terrible en copilote ! » Il était sincère, Grace avait quand même la classe et… il s'éclatait comme un fou. Il fallait sans doute être un peu dingue oui pour trouver cette situation amusante mais ça le faisait vibrer et même s'il mourrait de trouille, c'était une véritable aventure ! Il se promit en passant de ne jamais en glisser un seul mot à Sonny : il se ferait étrangler pour avoir entraîner Grace là-dedans et elle-même finirait sans doute en charpie pour l'avoir amener, lui, à connaître une si vive course-poursuite.

Un bruit bizarre résonna dans l'habitacle pendant que Grace se penchait par la fenêtre. « Vous vous êtes connus comment avec Neal ? » Vu leur situation actuelle, Aidan n'était pas vraiment sûr d'avoir envie de le savoir… Mais ça l'intriguait. Côtoyer une nana comme Grace au quotidien devait être épuisant et particulièrement sportif. Après, il ne connaissait pas suffisamment Neal pour savoir de quel type de gars il s'agissait. Et puis lui-même vivait des aventures très régulièrement, grâce à Sonny et Clovis. Bordeaux resterait mémorable avec le dragon… que Sonny n'avait jamais vu, certes. Épopée personnelle que voulez-vous. « Dans la flotte ? Tu rigoles j'espère ! » Il fonça tout de même vers les docks, zigzagant dans les rues avec brio pour quelqu'un qui n'avait jamais touché à un volant de sa vie. C'était peut-être même un poil trop extraordinaire. De tels réflexes, c'était… rare. Mais ça ne vint pas à l'esprit d'Aidan qui se contentant de jeter un œil dans le rétro côté Grace. « Accroche-toi ! » Ils roulaient à fond la caisse au bord de l'eau à présent et les deux restantes les suivaient assidûment à moto. L'une d'elle passa côté Aidan et lui sourit derrière la vitre. Il fit un brusque écart, la projetant à la baille et manquant de peu de faire basculer le camion avec. La route s'achevait au bout. « Je crois qu'on va pas avoir le choix de toute façon. Mets ton gilet, Grace ! » Il mourrait de peur et… il ne savait pas nager. Malgré ce détail il accéléra, regardant avec angoisse l'aiguille grignoter les kilomètres et atteindre une vitesse effarante. Le camion bondit des docks, passa quelques mètres avant de percuter la surface de l'eau. Le choc projeta Aidan contre le tableau de bord, lui faisant voir trente-six étoiles. Sa vision s'obscurcit lentement mais sûrement et il plongea dans l'inconscience.

Elle s'éclatait. Aidan était au top. Bien évidement, pas un seul mot aux autres. À Jardiland peut-être, mais en lui épargnant les détails. Quoi que. Elle et lui avait vécus tellement pires que là-dessus, elle pouvait lui faire confiance, il ne régirait pas vraiment dans l’excès. Son demi-frère en revanche, c'était une autre paire de manche. Elle connaissait les enfants d'Aphrodite tout de même, ils étaient susceptibles sur les bords. La question d'Aidan la surpris. Après tout, ce n'était pas vraiment le moment pour poser ce genre de questions. Était-il en train de se demander comment deux personne aussi différentes faisaient pour se supporter au quotidien ? Parfois elle se posait la question, mais n'y réfléchissais pas trop. Parfois elle se demandait combien de temps leur relation allait durer. Son âme d'enfant d’Aphrodite la poussait à ce dire que c'était pour la vie, et parfois cette arrière pensée négative venait lui rappeler que tout n'était pas toujours rose.

Avec Jardiland ? Dans les bois. Il m'a ligoté à des lianes, m'a insulté. On s'est revu dans un bar, on s’est foutu sur la gueule. Et après... Oh bah, je sais pas comment on en est arrivé là, je ne sais même pas si on est passé par la case « amis », mais je n'imagine pas la vie sans lui, crois moi !

Et quelques minutes plus tard, c'était le grand plongeon. Le plan fonctionna plutôt bien, puisque les créatures renoncèrent à les suivre, visiblement rebuté par l'idée d'aller prendre un bain. Tant mieux, c'était l'idée. Sans trop de difficulté elle s'extirpa du véhicule. Quand elle vit Aidan. Loin d'être lâche ou tout simplement méchante, elle n’hésita pas trente ans avant de se diriger vers son côté et d'ouvrir la portière. Le sortir du véhicule fut la partie la plus simple de son sauvetage. Remonter en revanche fut plus compliqué, la jeune femme commençant à manquer d'air. Pourtant elle le fit et quand enfin elle pu sortir la tête de l'eau, elle poussa un cri de victoire. Avec quelques difficultés elle se hissa sur la berge. Non, décidément elle n'en toucherait pas un mot à Petite Chèvre. S'il venait à apprendre qu'elle avait mis en danger la vie de son colocataire ou peu importe ce qu'il était, il la découperait en petit morceau avant de la servir à ses chiens.

Aidan, tu m'entends ?

Elle lui tapota la joue avant d'initier un massage plus ou moins improvisé pour le faire revenir à lui. Déjà sur les rives la foule se pressait pour voir le spectacle. Le camion finissait de sombrer doucement et déjà la police était sur les lieux. Les pompiers débarquèrent assez rapidement et se jetèrent sur les deux jeunes gens. Jurassic Park se retrouva inondé de question, jura qu'elle allait bien. Un des pompiers se pencha vers Aidan et commença sa réanimation. Quand elle vit la caméra d’une télévision, elle su que c'était la fin. Elle était grillée. Les autres allaient voir ça ce soir à la télévision. Youpi. Tous ensemble au moment du repas.