Hero avait emménagé depuis quelques temps dans un appartement qu’il partagerait dorénavant avec son ami et compagnon de mauvais coups Léo Fabiani, même si celui-ci passait tellement de temps en dehors de chez lui que cela revenait un peu à habiter tout seul. Et puis, c’était toujours mieux que d’avoir à dormir dans des taudis, entrepôts abandonnés ou encore pire, dans la rue, comme il avait l’habitude de le faire lorsqu’il ne se trouvait pas la Colonie. D’ailleurs, ces derniers temps, il y allait de moins en moins, comme si son aversion pour les dieux se tournait petit à petit vers leur progéniture.

Enfin bref, tout se passait bien, enfin aussi bien que pouvait l’être sa vie, jusqu’à ce qu’il reçoive une lettre. Personne ne lui en avait jamais envoyé, ce qui l’étonna. Il n’avait parlé de cette nouvelle adresse à personne, étant du genre précautionneux vu la réputation des gens qu’ils fréquentaient, il savait cacher sa vie personnelle de sorte à être inatteignable. Pourquoi diable recevait-il une lettre dans ce cas ?

Hero, je suis ton demi-frère Matthew. Un fils d’Eris. J’aimerais te parler de certaines choses en tête à tête. Rejoins-moi au square à New York. Viens seul s’il te plaît et n’en parle à personne.
Voilà ce que disait la lettre. Hero n’en revenait pas. Malgré ce qu’il avait pu voir à la Colonie, ces bungalows remplis de tonnes d’adolescents, il s’était toujours cru unique, comme si sa divinité de mère avait une quelconque retenue quant à avoir des enfants. Etant fils unique, il n’avait jamais connu les liens du sang, de la fraternité. Cette invitation l’avait tout de suite interpellé et il n’avait pas eu à réfléchir pour savoir qu’il y irait.

Mais si tout cela était un piège, une façon de lui faire du mal ? Il avait compris que même parmi les pires ordures de New York, ces barons de la drogue, ces chefs de gang, ces tyrans de la rue, toutes ces pourritures, il pouvait se trouver quelques sangs mêlés comme lui. Il redoutait le moment où il rencontrerait l’un d’entre eux qui serait son ennemi. Et si ce moment était venu ? Incroyablement méfiant, il avait demandé à quelques gars du gang dont il faisait partie de l’accompagner à ce RDV, de sorte à ce qu’ils sillonnent le quartier pendant qu’il discuterait avec ce Matthew, si celui-ci existait vraiment. Il ne voulait prendre aucun risque.

Après s’être assuré que ses accompagnateurs étaient tous en place, il se dirigea lui-même vers le square, sans parvenir à cacher à la fois la curiosité et le stress qui le tenaient. Il ne savait pas à quoi s’attendre. Il avait son habituel sac à dos, où son pistolet semblait peser des tonnes. Il entra dans le square et instinctivement, son regard se posa sur toutes les personnes présentes, cherchant à identifier qui serait Matthew. Une silhouette familière, assise sur un banc, le fit froncer les sourcils et il s’arrêta. Il voyait Mitchel… Un type qu’il avait croisé plusieurs fois et dont il admirait les travaux de photographie. Qu’est-ce qu’il faisait dans ce square, à ce moment-là de la journée ? Il s’approcha de quelques pas, portant immédiatement sa main à son sac à dos qu’il fit glisser sur une épaule, s’apprêtant à lui demander ce qu’il faisait ici… Jusqu’à ce qu’il rende compte que ce n’était pas Mitchel, seulement quelqu’un qui lui ressemblait énormément, comme un jumeau ou quelque chose du genre. Il s’arrêta, et regarda à nouveau autour de lui à la recherche de Matthew, puisqu’après tout, c’était la raison de sa venue. Mais celui-ci ne lui avait donné aucune indication, et Hero ne savait pas toujours pas s’il avait bien fait de venir ou non.  

Celui qu’il avait pris pour Mitchel s’approcha de lui et Hero n’eut pas besoin de l’entendre pour deviner de qui il s’agissait.

« Bonjour, je suis Matthew. »

Il l’observa rapidement, remarquant sa main planquée sous sa veste, comme pour saisir… Une lame, ou quoique ce soit d’autre. Lui avait gardé sa main crispée dans la poche de son sac, ses doigts refermés sur le manche de son pistolet. Ils étaient pareils, sur la défensive. Hero regarda autour d’eux. Le square n’était pas bien rempli. Il prit une grande inspiration et, lentement, laissa glisser son sac à dos pour le remettre sur ses deux épaules. Il n’avait pas prévu de se battre avec celui qui s’était présenté à lui comme son demi-frère. Celui-ci se rassit sur le banc et l’invita à faire de même. Après quelques secondes d’hésitation, il l’imita, restant quand même sur ses gardes.

Comment t’as fait pour me trouver ?

Ce fut la première question qu’il posa. Hero avait toujours manqué de tact et en général, il en venait toujours à l’essentiel de manière brutale. Pour la situation, il se fichait un peu de paraître rude ou brusque. Si Matthew était vraiment un fils d’Eris, il comprendrait. Eris n’était pas vraiment la mère parfaite pour avoir comme enfants de beaux parleurs.

Pourquoi tu m’as envoyé ce mot ? On ne se connaît pas. Je peux rien t’apporter.

Mal à l’aise, il croisa les bras tout en se tassant sur lui-même, les yeux fixés sur l’un des arbres du square. Il ne voulait pas regarder Matthew, il n’avait pas envie d’apprendre à le connaître. Le fait d’apprendre qu’il avait un demi-frère ne lui plaisait pas plus que ça, lui qui avait fait le choix de renier ses origines divines, c’était un peu le comble de l’ironie : il décide de faire comme s’il n’avait rien à voir avec les dieux, et il rencontrait son demi-frère qui ressemblait furieusement au photographe qu’il admirait. Pendant quelques instants, il se demanda si ces deux-là n’avaient pas un quelconque lien de parenté.
Mais il devinait bien que si Matthew avait fait des recherches pour trouver son adresse et lui envoyer ce mot, ce n’était pas pour seulement lui dire qu’ils étaient demi-frères. Il connaissait le comportement des gens en général, ils attendaient toujours quelque chose des autres. Il détestait ce sentiment, savoir qu’on attendait quelque chose de lui sans qu’il ne sache quoi. S’il pouvait lui déclarer ses intentions au plus vite, tout s’arrangerait, il pourrait partir le plus vite possible et faire comme s’il ne l’avait jamais rencontré. C’est ça. Si seulement ça a avait été le cas de tout ceux qu’il avait rencontré, il n’aurait pas apporté autant de problèmes. Il leva les yeux au ciel et fixa les nuages qui défilaient lentement, comme au ralenti. Cela allait faire 10 qu’il connaissait l’existence des dieux, de sa mère. Cela allait faire 5 ans qu’il les détestait et qu’il se persuadait que l’un d’entre eux, là-haut, s’amusait à faire de sa vie un enfer. Mais ça, il n’en avait parlé à personne, juste par principe. Son attention se focalisa à nouveau sur Matthew. Est-ce que le fait qu’il soit assis sur ce banc en sa compagnie avec un rapport avec tout ce qu’il avait vécu jusque-là ? Est-ce qu’il était envoyé par les dieux, par leur mère ? Hero sentit la panique le gagner. Ses doigts se resserrèrent à nouveau pour former un poing tremblant de rage, tandis qu’il cherchait l’une des silhouettes des gars qui étaient censés quadriller le secteur du parc.

Matthew sourit quand il lui posa ses questions. Hero fronça les sourcils. Il n’était pas censé sourire, pas comme ça. Généralement, ces questions rendaient mal à l’aise. Il aurait dû détourner le regard, se sentir mal. Mais non. Il avait souri. Hero n’aimait pas quand il n’était pas en position de supériorité, quand il n’avait pas l’avantage. Il se sentait à la merci de Matthew et il détestait ça.

« Je t’ai retrouvé grâce… à mes sources. »

Il haussa un sourcil. Des sources ? Ca pouvait être n’importe qui. De la mère qui promène son enfant en poussette au type qui vend des hot-dogs près de la sortie du métro. C’était une réponse bateau, une réponse qui ne servait qu’à esquiver la question. Il se renfrogna.

« Tu es venu seul, dis-moi ? »

Hero comprit qu’il avait dû remarquer ses quelques regards. Il n’était pas fou au point de venir seul à un RDV proposé par un inconnu se présentant comme son demi-frère. Personne n’était fou à ce point, en fait. Mais il devait jouer le jeu. Matthew n’avait pas répondu à ses questions.

Ouais. Je suis juste… Super anxieux.

Il passa sa main sur sa nuque. Il devait jouer le jeu, un minimum, pour ne pas se faire griller, sinon tout risquait à l’eau et il ne comptait pas partir avant d’avoir entendu Matthew lui parler de ce qu’il évoquait dans sa lettre.

J’ai les flics sur le dos. Ils me cherchent pour une affaire de drogue.

Ce qui, en soit, n’était pas totalement faux. S’il n’était pas sous les barreaux, il ne le devait qu’à une chance aigüe et l’aide d’un inspecteur qui, en échange d’informations, lui garantissait une certaine protection.

De quoi tu voulais me parler, alors ?

Il préférait attaquer le vif du sujet. Après tout, il était ici pour ça et il n’avait pas très envie de perdre son temps, surtout pour parler de ses occupations en-dehors de la Colonie qui étaient loin d’être saines.

Le temps que prit Matthew pour lui répondre sembla durer une éternité. Hero voyait bien que son demi-frère n’était pas plus pressé que ça à lui dévoiler la vérité. Il semblait même prendre un certain plaisir à faire durer son attente et cela ne lui plaisait pas vraiment.

« Je voudrais savoir, que penses-tu de maman ? »

Tout comme Matthew, qui prononça ce mot comme s’il le vomissait, Hero afficha aussitôt une grimace de dégoût, comme si maman désignait une espèce d’insecte particulièrement repoussante. Maman. Quel mot délicat pour désigner celle qui lui servait de mère. Non, décidément, elle ne méritait pas ce titre.

« Moi, je l’aime pas trop. C’est pas une mère cool, hein ? Et à la colonie, c’est pas facile d’avoir une mère que tous le monde déteste, n’est-ce pas ? »

Hero haussa un sourcil. En voyant leur lien de parenté, il aurait dû se douter que leur rencontre serait liée à la mythologie grecque, à leur ascendance divine. Mais entendre son demi-frère aborder le sujet de façon si détachée, et pourtant si violente, avait réussi à le troubler. Il ne songea pas un seul instant qu’il pouvait se faire manipuler, qu’on pourrait ensuite utiliser les propos qu’il dirait contre lui. Il suffisait de trouver le point-clé d’une personne et ensuite, tout son univers s’offrait. Le point-clé de Hero, c’était la haine qu’il vouait aux dieux, à sa mère, à cette personne qui l’avait maudit là-haut. Il suffisait d’appuyer-là et toute sa rancœur s’exacerber, comme un océan resté trop longtemps calme.

Je déteste la Colonie.

Il marmonna quelques mots inaudibles, puis reprit.

Cette ambiance, l’idée de faire des sacrifices pour nos parents divins, être classés en fonction d’un dieu qui pour la plupart se fiche éperdument de ses gosses…

Il leva les yeux et observa le ciel d’un gris morne, traversé par une multitude de nuages. Il savait ce qui se trouvait au-dessus de leur tête. Le royaume des Dieux, l’Olympe. Il suffisait d’un éclair pour que toute la ville soit détruite, alors, pour ne tuer qu’un simple demi-dieu, il n’osait pas imaginer la facilité déconcertante de ce geste.

Je peux même pas considérer Eris comme ma mère. Je veux dire, c’est une déesse, je sais, mais ça ne la prive pas d’interagir avec ses enfants ne serait-ce qu’une fois, non ? Quand je me suis fait attaquer par des monstres pour la première fois, je n’ai rien eu. Quand mon père est mort, rien. Quand je suis monté sur New-York, silence radio. À la Colonie, toujours rien. Même quand je l’insultais quand il fallait faire des offrandes, c’était toujours rien. Et t’appelles ça une mère ?

Durant tout le moment où il parla, il vit Matthew hocher plusieurs fois la tête, comme s’il partageait son avis. Sentant ses muscles se décontracter, il se détendit légèrement et s’appuya contre le banc.

« Ma mère est morte lors de l’invasion de Cronos, Eris, c’est celle qui m’a donné la vie, point barre. Ce n’est pas ma mère, et tu sais quoi, je ne la haïs finalement pas plus que les autres dieux. »

Il hocha à son tour la tête. En entendant parler son demi-frère, il avait l’impression d’être sur la même longueur d’onde que lui, chose qu’il n’avait quasiment jamais expérimentée jusqu’à présent. Même s’il nourrissait une rancœur particulière envers Eris, du fait de leur lien et des sales pouvoirs dont il avait hérité, il détestait tout autant les autres dieux. Et même si beaucoup le mettaient sur le compte de sa grande paranoïa, il savait au plus profond de lui que l’un d’entre eux manigançait contre lui. Et, tôt ou tard, il finirait par découvrir son identité et le renverser.

« Les dieux sont des bâtards, et ça bah on peut rien y changer… »

Justement, si. En leur prouvant qu’ils n’avaient pas que des gosses qui les idolâtraient, par exemple… Ou en tuant l’un d’entre eux ? Il fallait être fou pour vouloir se mesurer à un dieu, pourtant Hero ne trouva pas cette idée démente.

« Cependant, j’ai une question. Pourquoi tu vas à la colonie si tu la déteste tant que ça ? »

Il eut un petit sourire en coin et baissa les yeux pour fixer le bout de ses chaussures. Sa réponse allait être pathétique, il le savait d’avance. Mais mentir ne lui apporterait rien de positif, seulement d’autres ennuis en plus.

J’ai nulle part d’autre où aller. Je n’ai pas de maison, pas d’appart à mon nom. Je peux rester quelques semaines dans des entrepôts désaffectés ou dans des squats, mais ce sera toujours temporaire. Et puis, je sais qu’à la Colonie, aucun mortel ne peut me trouver. Dès que j’ai des ennuis, je peux disparaître de la surface en y allant, parce que c’est la seule solution que j’aie. Tu ferais quoi à ma place, toi ? Il faut bien que je survive, si je ne peux pas vivre.

Matthew se frotta le menton, comme s’il devait réfléchir à toute vitesse face à un choix important. Finalement, après avoir soupiré, il lui répondit.

« J’ai bien trouvé un moyen. Je veux détruire les dieux. Tous jusqu’au dernier, et je sais bien que ce n’est pas en restant à la colonie que j’y arriverais. Alors toi, je sais pas, peut-être qu’il y a juste Eris que tu n’aimes pas mais moi, je pense que tous les dieux sont pareils. Nuls. »

Les derniers mots résonnèrent dans sa tête. Tous les dieux sont pareils. Il n’avait pas spécialement tort. Rien qu’à la Colonie, bon nombre de sangs mêlés n’avaient jamais connu leur parent divin ou pire, avaient dû faire les frais de leur mauvais comportement. Beaucoup ne s’étaient jamais sentis aimés ou même désirés, ce qui n’était jamais bon pour le développement d’une personne. Partout où les dieux passaient, ils n’apportaient que des malheurs.

Tu veux te battre tout seul contre eux ? T’es complètement malade. Même avec toute la haine que tu peux leur porter, ce serait du suicide. Il suffit qu’ils lèvent la main pour te précipiter au Tartare.

Et malgré ce regard négatif, il ne pouvait s’empêcher d’envier Matthew, car il pouvait clamer haut et fort son opinion sans risquer de choquer personne. Mieux encore, il pouvait mener ses objectifs à bien, même si ça lui coûtait la vie. Et ça, c’était quelque chose que Hero ne pouvait même pas imaginer. Il était toujours obligé de se plier aux règles, de faire attention à ne pas sortir hors des sentiers battus. Si ce n’était que la police qui le guettait… Non, bien pire, il savait que c’était quelque chose de bien plus puissant et dangereux.

Je vais t’avouer un truc. Depuis que je suis né, il ne m’est arrivé que des merdes. Je veux dire, beaucoup plus que ce qui arrive aux demi-dieux en général. Mon père a été tué et j’ai été accusé de ce meurtre. Une fois à New-York, je n’ai jamais su trouver un logement et un boulot stable. Partout où je vais, je sème le chaos. Tu crois que je suis juste malchanceux ? Moi, je suis persuadé que là-haut, y’a un dieu qui me pourrit la vie et qui s’en donne à cœur joie.

Il marqua une pause et serra les poings. Rien que d’évoquer ce sujet le mettait en rage.

Si je pouvais le trouver, crois-moi… Je lui ferai payer tout ce mal. Et si pour le trouver, il faut que je tue d’autres dieux, je n’hésiterais pas. S’il m’est arrivé ça, je suis sûr que c’est le cas pour d’autres sangs mêlés. Tu as raison quand tu dis que les dieux sont tous pareils.

Matthew eut un sourire confiant.

« Qui t’a dit que je suis seul ? Aussi surprenant soit-il, on n’est pas les seuls à penser comme ça. Les dieux sont plus en danger qu’ils ne le pensent et, si je suis ici, c’est pour te proposer de nous rejoindre… »

Hero mit quelques instants à comprendre. On n’est pas les seuls à penser comme ça. C’était quelque chose dont il s’était plus ou moins rendu compte, car chaque sang-mêlé dissimulait plus ou moins bien son ressenti quant à sa condition de rejeton de divinité. Il leva les yeux et fixa à nouveau le ciel. Il resongea à la discussion qu’il avait eu avec Adriane, qu’il avait revu il n’y a pas longtemps. Elle avait parlé d’un groupe qui voulait se lever contre les dieux. Il ne lui fallut pas beaucoup de temps pour faire le lien entre les deux. Alors comme ça, ce groupe existait vraiment et son demi-frère en faisait partie, à croire qu’Eris était vraiment une mauvaise mère, incapable de tenir ses fils en place.

Combien êtes-vous ? Un petit groupe désorganisé n’a aucune chance contre des dieux. J’ai pas envie de crever, tu vois. Ça les rendrait bien trop heureux.

Il s’imaginait un groupe de quelques demi-dieux seulement, répandant leurs idées de vengeance et de haine envers les dieux, mais rien de concret. Il était bien loin d’imaginer qu’il s’agissait de toute une organisation, avec une hiérarchie et un véritable plan. Pourtant, il attendait avec une certaine impatience la réponse de Matthew, comme s’il espérait que celui-ci le contredise et lui parle d’une véritable révolution capable de renverser les Olympiens et de prendre le pouvoir.
Il baissa les yeux et prit un air très sérieux. Dans sa tête, il était actuellement en train de peser le pour et le contre. Depuis qu’il connaissait ses origines divines, il avait toujours attendu ce moment, quand on lui proposerait de prendre les armes pour se liguer contre les dieux. Il avait toujours imaginé qu’il accepterait avec une facilité déconcertante, sans se poser de questions. Mais à présent, confronté au véritable choix, il sentait le frisson de la peur lui serrer la nuque. Il n’avait aucune envie de mourir, encore moins de la main d’un dieu. Il ne voulait pas mourir en héros.

J’ai besoin que tu m’assures qu’en vous rejoignant, je ne m’enfoncerai pas dans la merde. Que tout cela a un sens.

Visiblement, Matthew semblait presque aussi plongé dans ses réflexions qu’Hero, à la façon dont il avait baissé les yeux. Hero ne savait pas lire dans les pensées mais il était quasiment sûr que Matthew cherchait à trouver le meilleur moyen de le convaincre – et pour ça, il était prêt à l’écouter. Son demi-frère lui avait prouvé qu’il avait des choses intéressantes à dire. Et si Hero était encore assis sur ce banc, sans n’avoir fait aucun signe aux quelques gars qui devaient patrouiller pas loin, c’était parce qu’il portait un réel intérêt à ce qu’il avait à lui dire. Enfin, après un moment de réflexion, Matthew lui répondit.

« Je peux pas te promettre qu’on va y arriver. Je peux pas te dire qu’on va pas tous mourir comme des chiens mais tu crois franchement que tout seul t’as plus de chances ? En tout cas, on est pas mal de demi-dieux. Adriane en fait partie. On est loin d’être un petit groupe désorganisé. On a une hiérarchie, des plans, et une véritable chance. On va réussir à renverser les dieux. »

Sur le coup, il marquait un poing. Le fils d’Eris se mordit l’intérieur de la joue, ne sachant pas quoi répondre. Il était quasiment à deux doigts d’accepter, mais pourtant, quelque chose le chiffonnait, quelque chose sur laquelle il n’arrivait pas à mettre le doigt dessus.

Je te crois.

Il passa sa main sur sa nuque, mal à l’aise. Quelque chose continuait de clocher dans sa tête mais Hero n’était pas du genre à passer des heures à se questionner. S’il avait l’impression qu’il faisait le bon choix, il fonçait, c’était tout. Ce n’était ni un parleur, ni un penseur. Il se contentait de suivre son instinct, même si celui-ci le précipitait contre des murs.

Tu as raison quand tu te dis que seul, je n’aurai aucune chance. Je préfère rester avec des gens aux mêmes ambitions que moi. Je te crois quand tu dis qu’on réussira à renverser les dieux.

Matthew se leva du banc et lui adressa un sourire confiant.

« Là-bas, pas de parent divin, seulement des gens à part entière qui ne sont pas classés en fonction de leur père ou de leur mère ! Et puis il y a des gens cools là-bas, tu devrais bien t’intégrer. Je pourrais t’aider. Et mon pote Léo aussi. C’est un type cool lui aussi. Bref, c’est bien mieux qu’à la colonie. »

Hero eut un sourire en coin, songeant à son colocataire qui s’appelait Léo. Même s’il s’agissait aussi d’une mauvaise graine, en quelque sorte, il ne l’imaginait pas sang-mêlé et encore moins à la Résistance. Tant pis… Mais il croyait son demi-frère quand il disait que ce serait cool.

Tout est mieux qu’à la Colonie.

Il se leva à son tour et fit repasser son sac à dos sur ses épaules.

Mais il faudra que j’y retourne. Je n’ai quasiment rien de personnel, j’entrepose tout dans le bungalow. J’dois faire mes bagages avant de vous retrouver.

Il passa sa main dans ses cheveux, un peu anxieux. Et si Matthew doutait de lui ? Et s’il pensait qu’il irait tout raconter à la Colonie ? Il n’avait aucune preuve pour montrer qu’il ne révèlerait rien à Chiron ni à personne d’autre.

Je sais que ça paraît louche. Je suis la définition même du type louche. Mais j’te jure que je ne vais rien dire, je vais juste faire mon sac et dégager. Tu peux me faire confiance.

Et il leva ses deux mains en signe de paix. Il ne connaissait pas le tempérament de Matthew, il ne savait pas s’il était méfiant ou au contraire, enclin à lui faire confiance en raison de leur lien de parenté. Si certaines personnes lisaient dans les autres comme des livres ouverts, Hero était archi-nul pour comprendre les autres. Alors arriver à cerner Matthew alors qu’il ne le connaissait que depuis quelques minutes… Autant abandonner tout de suite. Il patienta, la mâchoire serrée, attendant son verdict.

À son regard, Hero comprit que Matthew lui faisait totalement confiance, qu’il n’éprouvait aucun doute à son égard. Celui-ci lui sourit en lui répondant.

« Je te crois. De toute façon, tu gagnerais rien à me mentir et à rester là-bas. A moins que tu sois complètement fou. Du coup, on se rejoint à la Résistance. Les gars postés en faction te laisseront passer, t’inquiète, je m’en assurerais ! »

Hero lui rendit son sourire et fourra ses mains dans ses poches, tandis que son demi-frère sortait un papier de ses poches et y noter quelque chose qu’il lui tendit ensuite.

« Voilà l’adresse. Tu sauras te débrouiller pour trouver, je suppose. »

Il lui tendit la main, un grand sourire sur les lèvres. Un coup d’œil sur le bout de papier lui indiqua qu’il était passé près de cet endroit un paquet de fois, sans jamais deviner ce qui pouvait s’y passer.

« Bienvenue à la Résistance ! »

Hero lui rendit son sourire et lui serra la main en guise d’accord. La Résistance. C’était là où il était désormais.

Tu peux compter sur moi. Merci Matthew, on se reverra bientôt.

Il resongea à ce qu’on avait pu lui dire à la Colonie : tous les enfants d’Eris sont méchants et malfaisants. Pourtant, en rencontrant son demi-frère, il avait juste eu l’impression de rencontrer quelqu’un comme lui, quelqu’un qui méritait son lien de parenté avec lui. Et s’ils reniaient tout deux leur mère, Hero appréciait de savoir qu’ils partageaient ce lien de sang.

J’vais faire mon sac de ce pas.

Il recula de quelques pas, un sourire en coin. Il n’avait pas d’autre idée en tête que de prendre le premier taxi, aller à la Colonie, récupérer ses affaires et se rendre à l’adresse que lui avait donnée Matthew.