Une énième chasse avait eu raison de mon arc. Il faut dire que, magique ou pas, je l'avais depuis les années 40, il était donc temps de le changer. Mais j'avais du mal à m'en séparer. C'était comme une extension de moi désormais. Il faut dire que j'étais particulièrement habile avec ce genre d'engins. Fille d'Apollon, Chasseresse d'Artémis, c'était plutôt logique.

Quand la Déesse annonça un passage à la Colonie pour prendre un peu de repos pendant qu'elle irait au Conseil des Dieux, j'en fus donc ravie. Dès mon arrivée, je déposais mon sac et mon carquois puis je me dirigeais vers les forges. C'était l'heure du repas et j'espérais donc qu'il n'y aurait personne pour que je puisse rapidement réparer mon arc toute seule, histoire qu'il tienne jusqu'à notre prochaine visite chez Héphaïstos.

Arrivée dans la forge, l'odeur brûlante du feu chauffant le métal me chatouilla les narines et me ramena 70 ans plus tôt. Pendant la guerre, les forges marchaient à plein régime pour ravitailler le front. Je secouais la tête avant que mes souvenirs ne me ramènent vers le front de l'est et les champs de bataille. Je détestais quand cela m'arrivait, ça faisait encore trop mal, tous ces corps, ma blessure... La fin de ma vie comme je l'avais connue.

Je me concentrais plus tôt sur les objets disposés un peu partout. Heureusement, les Héphaïstos n'étaient pas les demi-dieux les plus adeptes du rangement. Je devrais donc être capable de trouver une sorte de scotch magique quelque part. Je me mis donc à fouiller.

Soudain, j'entendis un bruit derrière moi. La meilleure option était de faire comme si j'avais le droit d'être ici et de fouiller. Je continuais donc, comme si de rien n'était, ne me doutant pas que j'avais en fait trouver le sauveur de mon arc.

"Bonjour… Je peux t’aider ?"

Je me retournais vers la voix. Et le bruit par la même occasion. J'aurais parié sur un fils d'Héphaïstos. De toutes façons, pour être dans la forge maintenant, je ne voyais pas comment il aurait pu en être autrement. Mais il semblait bien méfiant... Son chien ne semblait pas plus avenant.

Je posais l'outil que je tenais dans la main - j'aurais été bien incapable de dire ce que c'était - et lui adressais un grand sourire.

"Beth. Enfin Elizabeth. Fille d'Apollon, Chasseresse d'Artémis."

Je regardais mon arc, de toute évidence en mauvaise posture et ne risquait plus d'attaquer le jeune homme. Encore est-il que s'il ne s'adoucissait pas et tentais de m'attaquer, j'avais toujours ma dague, cachée sous mon t-shirt, accroché à ma ceinture. Et bien malheureux serait celui qui tenterait de prendre le dessus sur moi.

Mais ce n'était pas mon genre. Il était hors de question que j'attaque quelqu'un sans raison. Ce serait presque déclarer la guerre à tout le clan Héphaïstos et j'étais en bon terme avec le Dieu des forges, autant que ça reste comme ça.

Je fis donc un geste vers mon arc cassé et un petit air contrit.

"Très franchement, j'espérais le réparer tranquillement avant qu'Héphaïstos puisse m'en faire un autre..."

Je fouillais du regard l'établi. Ces demi-dieux n'avaient-ils donc aucun sens du rangement ? Etait-ce trop compliqué d'assigner une place LOGIQUE à chaque objet. Je soupirais tout en retournant à ma fouille manuelle de la forge, ne me préoccupant pas trop du nouveau venu. Après tout, il n'avait plus de raison de m'attaquer maintenant que je m'étais présentée. Et j'aurais été plus que ravie qu'on me laisse me débrouiller toute seule. Pas la peine d'être redevable envers un demi-dieu... Ce serait plus gênant qu'autre chose.

A mon plus grand déplaisir, le demi-dieu s'approcha de moi, baissant les armes (ou tout du moins ses mains). Il saisit mon arc. J'eus un mouvement furtif et incontrôlable pour le reprendre mais c'était trop tard. Il alluma son doigt (oui, oui, son doigt... je savais que certains fils d'Héphaïstos, rares, avaient ce don) et passa la petite flamme près de mon arc. Mes yeux s'écarquillèrent. Mais qu'est-ce qu'il faisait à mon arc ce malpoli ? Il ferma les yeux puis les rouvrit en un quart de seconde.

"Tu n’auras pas besoin de te rendre chez mon père ! Je peux le réparer ! Et même l’améliorer ! "

J'eus envie de ricaner mais me retins. Mais bien sûr. Il était peut-être fils d'Héphaïstos mais il ne valait quand même pas son père. J'avais appris à bien connaître le Dieu forgeron et je ne m'adressais plus à personne d'autre que lui pour mes armes. De plus, je ne connaissais pas ce demi-dieu et il était hors de question qu'il touche à mon troisième bras.

Je n'eus pas le temps de répondre qu'il partit sur un autre établi pour se mettre au travail, une petite lueur de folie dans les yeux. En fait, on aurait dit le portrait craché de son père. Le même air, la même assurance... Le même don aussi ? Je ne pouvais pas en être sûre et, dans le doute, je me permis de lui faire savoir.

M'approchant de lui, je lui fis remarquer :  

"Excuse-moi mais j'y tiens à mon arc. Met un bout de scotch magique et j'irai voir ton père. C'est lui qui l'a fait, c'est lui qui le réparera."

Il ne bougea pas. Je me râlais la gorge pour me faire entendre et obtenir son attention.

"Ohoh... Je te parle ! D'abord, je ne sais même pas ton nom et tant que je ne le sais pas, tu ne touches pas à mon arc."

Je tendis la main pour reprendre mon arme.

Avec un soupir, il saisit mon arme avant que j'ai le temps de l'attraper. Il changea aussitôt d'établit. Soupirant à mon tour, je le suivis alors qu'il observait à la loupe mon arc, et c'était loin d'être un jeu de mot puisque le jeune homme avait véritablement saisi une loupe.

"Si mon père est capable de fabriquer une tel pièce, je serais tout à fait capable de le réparer. De plus il n’existe aucun « scotch magique » comme tu dis pour réparer un arc aussi puissant. D’ailleurs il n’en existe tout simplement pas pour réparer des armes. Donc à moins que mon paternel soit dans le coin je suis le plus à même de réparer ton arme."

Je le regardais, stoïque. Je doutais que son talent soit à la hauteur de celui de son père. Après tout, ce n'était pas comme si Héphaïstos se perfectionnait depuis des centaines voire des milliers d'années. Mais ce petit demi-dieu qui n'avait même pas un quart de siècle se croyait aussi bon ? Je l'observais, sceptique alors que son chien revenait.

"Et pour répondre à ta question mon nom est Will, Will Benson. Et lui c’est Spark, mon ami."

Je caressais l'animal et ne pus me retenir de répondre, avec un large sourire ironique :

"Au moins, il y en a un des deux qui sait se tenir..."

Il tira quelques outils de la sacoche que Spark lui avait amené avant de débarrasser l'établit puis de se tourner vers moi. Je plantais mon regard dans le sien sans ciller. S'il pensait qu'il allait m'impressionner, il se trompait. Depuis que j'étais arrivée ici, j'en avais vu des demi-dieux qui se pensaient au-dessus... Et jusqu'ici, aucun n'avait réussi à me mettre en échec.

"J'ai satisfait ta curiosité ? Je peux me mettre à bosser maintenant ou tu as d'autres questions ?"

Je haussais les sourcils. Mais pour qui se prenait-il, bon sang ? Je m'assis sur l'établit tout proche, évitant les objets pointus ou coupants et continuais de le fixer. Etrangement, peut-être parce qu'il avait un chien, je n'arrivais pas à totalement le détester.

"Très franchement, tu as déjà réparé un arc comme ça?"

J'étais plus que sceptique mais j'avais tendance à vouloir lui laisser une chance. Après tout, s'il y arrivait... J'en avais besoin, moi, de mon arc.

"Très franchement, tu as déjà réparé un arc comme ça?"

Il se tut. Il semblait réfléchir, les sourcils froncés. Il se tourna ensuite vers son compagnon canin, lui ordonnant :

"Spark, accompagne Elizabeth jusqu’à l’atelier et ramène lui l’arc que nous avons fait la semaine passée s’il te plaît."

Il me montra du doigt. Comme si Spark avait besoin de ça. C'était un chien et il était donc particulièrement intelligent. Mais je supposais que presque seules les Chasseresses savaient ce genre de choses... Après tout, il devait aimer son animal mais de là à vraiment le comprendre...

Il se tourna de nouveau vers moi.

"Va avec Spark il va te conduire au bunker qui est mon atelier, tu ne pourras pas rentrer, mais il va te ramener un arc de ma fabrication, le métal est moins résistant, mais je fais avec ce que je trouve à la colonie. Tu pourras le tester dans les bois autour de l’atelier, personne n’y vient jamais, emmène des flèches avec toi. Je pense que ce sera plus parlant que de simples mots."

C'était à mon tour de froncer les sourcils. Je n'aimais pas particulièrement m'entendre donner des ordres. A moins qu'ils viennent d'Artémis. Pourtant, j'étais assez curieuse. Une forge dans les bois ? Des bribes de souvenirs me revinrent par vagues. L'odeur, la fumée qui montait et que l'on voyait de loin, le bruit des outils sur le métal, la chaleur qui se dégageait des bois, les allers et venus incessants de ceux qui ravitaillaient les bateaux en partance pour le front européen.

Sans vraiment y réfléchir, je tournais les talons et retournais au bungalow prendre mon carquois. Je suivis ensuite Spark. Mais je n'avais pas vraiment besoin de lui. Je savais où j'allais pour y être allée si souvent il y a près de 70 ans. Rien n'avait vraiment changé. L'extérieur de la forge était le même à une chose près : il n'y avait aucune agitation, personne. Tout était calme.

Je laissais Spark aller chercher le dit-arc et attendis quelques minutes avant qu'il ne revienne. Il me tendit l'arme que je saisis. Il était léger et se prenait bien en main. En fait, ça avait l'air d'être du bon travail même s'il ne me semblait pas aussi solide que le mien. Mais Will me l'avait dit : les matériaux ici n'étaient pas les mêmes que dans les forges d'Héphaïstos.

Mon carquois sur le dos, j'attrapais une flèche. Je bandais l'arc et visais un arbre à une dizaine de mètres. Je relâchais la corde et la flèche alla se planter dans le tronc. Spark s'élança, aboyant. J'éclatais de rire. Le pauvre animal essayait de retirer la flèche de là où elle était plantée. Il n'avait aucune chance. Mais il était trop adorable et je décidais donc de l'aider un peu.

J'encochais une nouvelle flèche et la tirais. Elle atterrit dans l'herbe à quelques mètres de Spark qui s'empressa d'aller la chercher et de me la rapporter.

Je jouais avec l'animal pendant ce qui me parut ne durer que quelques minutes mais quand j'encochais deux flèches en même temps pour corser le jeu, je m'aperçus que le soleil commençait à se coucher. Will avait bien joué. Avec un petit sourire aux lèvres, je rappelais Spark et me dirigeais vers la forge principale du camp.

Arrivée à l'entrée de l'atelier, je cherchais Will du regard parmi ses frères et soeurs. Ceux-ci ne me prêtèrent pas attention et j'allais donc derrière le jeune homme, murmurant pour l'effrayer :

"Bien joué... Tu as eu le temps de finir je suppose ?"