Enfin. Après au moins un jour et demi, voire deux, de voyages, Heimoana avait fini par atteindre son objectif : la Colonie. Colonie de quoi, d'ailleurs ? De "gens comme elle" ? Parce qu'elle savait qu'elle était un peu spéciale, même pour une fille du peuple de l'Océan...

Quand elle posa le pied sur Long Island, la première chose qu'elle fit fut de poser son sac pour fixer avec attention la forêt qui lui faisait face, un peu inquiétante et accueillante à la fois, comme si elle invitait les gens comme elle à venir se réfugier en son sein tout en menaçant les intrus. Décidément, c'était un endroit étrange, mais quelque chose lui disait qu'elle allait s'y sentir presque aussi bien que chez elle.

Alors qu'elle continuait à analyser mentalement la forêt qui lui faisait face, la voix qui lui avait dit de venir résonna, non pas dans sa tête, mais derrière elle :

Bonjour Heimoana.

La jeune femme se retourna lentement : celui qui venait de parler était vêtu d'une toge blanche, d'une paire de sandales, avec dans la main gauche un trident comme son peuple pouvait le manier quand il allait pêcher au large. Non, décidément, cet homme ne lui disait absolument rien, mais pour qu'il connaisse son nom, il devait la connaître... Soudain, elle eut une illumination. Non, ce n'est pas...

Fronçant légèrement les sourcils, Heimoana répondit doucement :

Je suppose... Que tu es Ariimoana, Roi de l'Océan ? C'est bien toi qui m'a guidée jusqu'ici, et ce sans encombre, donc... Merci. Mais tu ne m'en voudras pas si je te pose quelques questions ?

Et elle s'assit sur son sac, prête à écouter ce qu'allait lui dire Ariimoana, même si quelque chose lui disait qu'elle allait apprendre bien des choses auxquelles elle n'était pas forcément préparée...

Ici, je m'appelle Poséidon, je t'ai guidé dans un endroit appelé la "Colonie des sang-mêlés", répondit l'homme en toge de manière tout à fait tranquille, avant de planter son regard dans celui de la jeune femme. Parle s'il te plaît, je répondrai à tes questions avec plaisir, si j'en ai le pouvoir.

Plus Heimoana l'écoutait parler, plus quelque chose le rendait familier et la mettait en confiance. Elle avait forcément un lien avec lui, un lien fort qui ne demandait qu'à naître et se renforcer, mais lequel ? Posant ses grands yeux noirs dans le regard bleu océan de Poséidon, elle sourit franchement et l'inonda de questions :

Qui es-tu par rapport à moi ? Qui suis-je réellement ? Est-ce de toi que je tiens mes dons sur l'eau ? C'est quoi cette Colonie ? Qu'est-ce que je fais ici ? Et surtout... pourquoi maintenant ?

Son visage s'était assombri à la dernière question ; son intuition lui disait que c'était plus ou moins liée à l'attaque de la femme ailée, quelques jours plus tôt, mais pas seulement. La situation était bien plus grave, pour que Poséidon la sorte de sa petite île et de sa petite routine aussi "tard"... Elle reprit doucement :

Ecoute... Je sais que le lien que j'ai avec toi est fort, mais pourquoi je n'ai pu te rencontrer que maintenant ? Je suis sûre que tu as de bonnes raisons, mais j'aurais bien voulu te connaître avant pour comprendre pourquoi j'étais différente des autres membres du clan, bien qu'ils prennent mes dons pour une bénédiction de l'Océan.

Elle se releva, mit son sac entre ses jambes et posa les mains sur les hanches avant de reprendre :

En tout cas, je suis curieuse d'en savoir davantage sur toi et ton... univers d'ici, car ça n'a rien à voir avec la Polynésie, pas vrai ?

Et elle laissa se dessiner sur son visage un sourire malicieux ; elle avait vraiment hâte d'en apprendre un peu plus sur cet homme si familier et mystérieux à la fois...

Même si elle s'attendait à une réponse un peu bizarre, Heimoana ne s'attendait pas à celle qu'allait lui donner Poséidon, alors qu'il soulevait un peu de sable pour y projeter des images :

Je suis un dieu et tu es ma fille, j'ai rencontré ta mère il y a très longtemps et très vite, on est tombé amoureux. Malheureusement, après ta naissance, mon frère Zeus, le roi des dieux, m'a obligé à me séparer de vous deux.

L'image s'arrêta sur sa mère, qui tenait un bébé dans ses bras, et qui regardait partir un homme armé d'un trident en rejoignant un éclair ; c'était la première représentation de son père, le dieu de l'Océan, qu'elle voyait de sa vie... Elle continua de fixer l'image avec émotion quand son père reprit :

Tu possèdes le pouvoir de la mer qui vient de moi, cette Colonie abrite tous les demi-dieux, les enfants issus de divinités comme toi. Tout te sera expliqué en détail là-bas. Tu es ici parce que tu es en danger et seule la colonie peut te protéger des monstres, tu es la fille de l'océan et par conséquent encore plus exposé aux monstres que d'autres. L'attaque que tu as subie m'a fait réaliser qu'il était temps que je t'y envoie, de plus la colonie a besoin de toi maintenant, tu es un élément essentiel dans ce qui se prépare.

Ça faisait beaucoup à digérer, mais Heimoana était prête à faire face à ses responsabilités. Si elle était restée en Polynésie, elle aurait pris la place de son père en tant que chef de clan quand viendrait le temps, elle s'était faite à cette idée mais là, c'était un peu différent. Tant qu'on ne lui demande pas de diriger la Colonie, tout irait bien...

Il finit par répondre à la seconde partie de sa question, alors qu'elle emmagasinait la nouvelle plus ou moins facilement :

Mon frère, Zeus interdit aux dieux de voir leurs enfants après leurs naissances. Mais je n'ai jamais cessé de veiller sur toi, à chaque fois que tu étais en danger, j'étais là pour te rattraper, quand tu te sentais seul, il te suffisait de regarder l'horizon et je te réconfortais. Tu pourras toujours compter sur moi ! Je t'ai envoyé si tard à la colonie, parce que je voulais que tu grandisses loin de tout cela, la vie d'un demi-dieu n'est pas facile, tu t'en aies rendu compte il y a quelque temps avec cette femme-monstre. Mais tu mérites de savoir et de vivre avec des gens comme toi.

Heimoana fit une moue un peu mécontente : d'où ce Zeus empêchait-il les dieux de voir leurs enfants ? Surtout que lui devait aussi avoir des enfants, pourquoi se priver d'amour familial ? Cette histoire était un peu bizarre... Mais vint le moment où Poséidon répondit à sa question malicieuse :

Oh que non, c'est bien différent, mais tu découvriras de nouvelles choses, j'ai remarqué que tu étais très curieuse.

Elle haussa un sourcil quand il fit disparaître son trident pour le remplacer par un... collier qui comportait un pendentif représentant un trident dans un rond plein d'un côté, qu'il approcha de son cou en déclarant :

Ce collier t'est offert par la reine de l'océan en gage de présent de bienvenue. C'est un collier spécial pour une jeune fille d'exception. Quand tu te sentiras en danger, tu n'auras qu'à le toucher, il t'apportera de quoi te défendre et te protéger et il te permettra d'apaiser le malheur autour de toi.

La jeune femme le laissa accrocher le collier autour de son cou avant de le regarder avec attention, le retournant sous toutes les coutures, entendant la douce mélodie qui s'en échappait. La reine de l'Océan... Bon à savoir, nota Heimoana, son père était donc marié et l'avait conçue sans en parler à sa femme. C'était irrespectueux, mais la jeune femme se sentait presque honorée de ne pas subir les foudres de la reine de l'Océan, autant la mettre en tête des offrandes, au même titre que son père. Elle releva la tête quand Poséidon demanda :

As-tu d'autres questions ? La colonie a besoin de toi là-bas.

J'en ai au moins trente-six mille, mais je suppose que tu ferais mieux de ne pas traîner avant de te faire foudroyer. Merci, papa, je te libère.

Et, sans prévenir, elle alla le prendre dans ses bras pour lui faire un câlin comme elle n'en avait jamais fait, même à ses parents : elle savait qu'elle ne le verrait pas souvent, alors autant en profiter un maximum...

La voix chaude de son père lui souffla à l'oreille qu'il serait toujours là pour veiller sur elle, et Heimoana sentit qu'il était sincère et lui en fut plus que reconnaissante ; non pas que son père adoptif, celui qui l'avait élevée, ne soit pas un bon père, mais il était tellement persuadé qu'elle reprendrait le flambeau quand elle serait prête que des fois, il en oubliait la tendresse... Mais bon, ce n'était pas si grave que ça, Heimoana pourrait toujours lui montrer que, même si elle ne restait pas au sein de son clan, elle saurait lui montrer qu'elle était digne de la confiance de tout le clan.

Elle libéra Poséidon avant qu'il ne lui fasse ses dernières recommandations :

Tu devras affronter bien plus que des harpies là-bas. Si tu continues, tu sais à quoi t'attendre, c'est un endroit sûr contre les monstres, mais pas contre toutes les menaces !

N'aie crainte, j'ai survécu à une... harpie, comme tu dis, je survivrai à bien d'autres choses, répondit-elle avec un sourire. Je suis sous la protection des Souverains de l'Océan, tant que j'aurais ça, je soulèverai des montagnes pour protéger cet endroit !

Elle avait parlé avec une telle conviction dans sa voix qu'elle fut elle-même surprise par le ton employé : était-elle en train de revêtir le vêtement et le rôle de chef de clan ? Possible, mais c'était un peu trop tôt à son goût...

Elle ferma les yeux quand son père se pencha pour déposer un baiser salé sur son front avant de s'éloigner en déclarant :

Porte-toi bien, ma fille.

Toi aussi, papa, répondit la jeune femme en voyant son père se disperser en millions de gouttelettes d'eau, la laissant seule devant l'immense forêt qui n'attendait que son entrée. Poussant un soupir déterminé, la princesse de Polynésie attrapa son sac et pénétra dans cette forêt, consciente du devoir qui l'attendait désormais. Elle reconstruirait la Colonie, pierre par pierre, et elle y mettrait le temps qu'il faudrait.