L’Olympe n’a jamais été son lieu préféré. Autrefois, il y a bien longtemps de cela, Harmonie admirait naïvement l’architecture des lieux, les luxueux palais et leurs jardins plein de richesses, rêvant de faire partie de ce paysage un jour. Cette époque est loin à présent. Elle a traversé les guerres et les horreurs, elle a été transformée en serpent, précipitée aux Enfers avant d’en ressortir seule, victorieuse mais enragée. Tout ça à cause d’une seule personne dont le simple nom réveille un feu ardent au fond de son cœur.

Héphaïstos.

C’était le collier qu’il lui avait offert, le jour de son propre mariage, qui avait marqué le début de la fin. Collier maudit par le dieu forgeron, cherchant à se venger de sa femme qui l’a tant de fois fait cocu, et dont elle n’avait été qu’une victime. Il avait évidemment tenté de se justifier en désignant Harmonie comme le fruit de l’adultère d’Aphrodite et Arès, la cible parfaite. Même les dieux lui avaient donné raison. Harmonie s’était retrouvée maudite et seule, abandonnée de tous. L’ironie du sort avait fait de ce collier le seul objet capable d’emprisonner les pouvoirs dévastateurs de la déesse, si bien qu’elle devait le porter en permanence malgré toutes les horreurs qu’il transportait. C’était sa pénitence.

Et la voilà qui marche sur l’Olympe, reprenant les mêmes chemins qu’elle avait pris autrefois, ses pieds foulant le sol sans aucun bruit, sa robe ondulant au gré du vent, ses cheveux aux milles couleurs se soulevant à chaque nouvelle bourrasque. Elle vient ici pour se ressourcer, apprécier la beauté du soleil et la chaleur de ses rayons sur sa peau. Après tant de siècles passés aux Enfers, elle a presque fini par oublier de quelle couleur était la lumière.

Mais voilà que de lourds pas viennent briser ce silence pourtant si apaisant. Harmonie pourrait reconnaître cette démarche entre mille : bancale, lourde, trop nonchalante. Elle se tourne lentement et fait face à son ennemi de toujours, le responsable de tous ses malheurs, celui qui avait fait de sa vie un enfer et qui n’en avait jamais payé le prix.

« Héphaïstos. »

À combien de temps remonte leur dernière rencontre ? Elle n’est même pas sûre qu’il ait osé venir la voir après lui avoir offert ce cadeau empoisonné le jour de son mariage. Cruel et lâche. Ses poings se serrent et son visage, aussi beau que celui de sa mère, se durcit considérablement. C’est quand la rage l’envahit qu’on découvre ce qu’elle a hérité de son père, le même regard noir, la même colère dévastatrice, la même haine acide qui coule dans ses veines comme le plus terrible des poisons. Cette haine, il n’y a que Héphaïstos qui la mérite. Malgré tout le temps qui a passé, Harmonie n’a jamais appris à lui pardonner. Elle ne lui pardonnera jamais.

« Es-tu venu pour t’excuser ou pour me jeter une autre malédiction ? » C’est à elle de faire un pas vers lui, les yeux brillant de mille incendies, le menton levé, lui désignant d’un doigt le travail d’orfèvre autour de son cou. Comment de telles horreurs peuvent-elles avoir comme origines un si beau collier ? C’est au dieu forgeron qu’il faut poser la question. Son talent ne connaît d’égal que sa jalousie. « Tu ne t’attendais pas à me voir, n’est-ce pas ? Tu m’imaginais sûrement en train de continuer à croupir dans un coin des Enfers, comme tu l’avais si bien prévu… Mais tu ne pouvais pas prévoir que ma mère finirait par venir me chercher. Ta propre femme qui agit dans ton dos… Tu as l’habitude maintenant, non ? Ou est-ce que cela te met toujours en rogne au point de décimer toute une famille ? Toute ma descendance ? » Elle sert les dents, la voix tremblante. Elle peut pardonner le séjour aux Enfers, elle peut pardonner la transformation en serpent. Mais voir ce collier passer de main en main et tuer chacun de ses enfants un par un, non. C’est impardonnable.

Blood and death

Athéna était revenue sur l'Olympe il y a quelques temps déjà. Depuis l'attaque de la colonie, et la revanche des sangs-mêlés sur la Résistance, elle ne quittait plus ce lieu. En fait Zeus avait trop souvent besoin de ses conseils, et elle-même préférait être directement prévenue s'il y avait du nouveau au niveau de leurs progénitures. La déesse de la sagesse passait énormément de temps à les regarder évoluer, elle essayait de calculer les probabilités d'attaque de chacun des camps, qui pour le moment étaient assez faibles. Ils devaient tous deux se redresser, veiller les morts et panser les blessures. Le monde mythologique aurait un peu de répit. Mais pour combien de temps ?

La déesse, les pensées occupées, se baladait dans le Palais. Elle arpentait les couloirs. Ses filles étaient en sécurité à la colonie, ou avec les Chasseresses. C'était ce qu'elle avait d'abord cru. Mais un jour le temps viendra où ses enfants perdront la vie. Et la déesse n'était pas prête à l'accepter. Elle se rendait dans les jardins, un endroit qui pouvait l'apaiser et où elle espérait trouver le calme qui lui permettrait de se sentir mieux, d'avoir l'esprit libéré, d'étendre sa pensée plus loin et de voir plus clair. Vêtue d'un haut bleu clair et d'un pantalon moulant de la même couleur, sa chevelure détachée sur ses épaules, elle avançait d'un pas léger, foulant le sol comme si elle le touchait à peine, glissant sur plutôt, comme si elle était portée par le vent. Elle caressa une fleur qui changea de couleur pour devenir bleue. C'était toujours mieux que le jaune. Elle contemplait les changements de couleur de tout le parterre quand des voix la tirèrent de son travail. Elle tourna le regard et aperçut au loin l'imposante silhouette d'Héphaïstos, le dieu forgeron, qui était lui aussi de plus en plus souvent sur l'Olympe ces derniers temps, vêtu d'une blouse de travail, un peu comme les mortels en réalité, qui se tenait face à nulle autre qu'Harmonie elle-même. Et bien. Leur conversation avait déjà un ton dur et Athéna le percevait de là où elle était. Sa sagesse lui disait d'aller mettre fin à ce conflit avant que cela ne dégénère. Reprenant sa marche, accélérant un peu le pas mais marchant toujours à une vitesse raisonnable, elle les rattrapa bientôt pour mettre fin à ce raffut.

" - Harmonie je sens ta fureur de l'autre côté du jardin et je la comprends, mais pourriez vous discuter sur un ton civilisé ? Vous venez de troubler mes pensées et je pense qu'il faudrait régler ce conflit une bonne fois pour toute. La rancune ne vous sera d'aucune utilité. Héphaïstos : excuse toi."

Le somma la déesse avec un regard noir. Elle savait ce qu'Héphaïstos avait fait subir à Harmonie et même des excuses ce ne serait probablement pas assez pour cette innocente jeune femme. Elle était certes le fruit d'un adultère, mais ceux qu'il fallait punir c'était Arès, pour changer, et Aphrodite. Harmonie n'avait pas eu le choix de sa naissance, et sa vie de souffrance était injustifiable. La déesse de la sagesse savait pourtant qu'Héphaïstos ne ferait rien pour s'excuser, mais elle ne perdait rien à essayer. Posant ses mains sur ses hanches, elle attendit, fixant son frère, agacée. Héphaïstos avait tous les droits d'être en colère contre le fruit de la tromperie, mais sa femme s'en était trop bien sortie aux yeux d'Athéna. Et il fallait pourtant savoir pardonner, et aussi oublier. La rancune était un mauvais sentiment qu'il fallait éradiquer. Elle rongeait les hommes et déclenchait les guerres. Athéna savait qu'elle devait la détruire. A tout prix.

hj:

Elle s’imagine prendre sa revanche dans un duel, seule contre Héphaïstos, loin des regards des curieux de l’Olympe. Alors comment pouvait-elle s’attendre à ce que leur conflit attire l’attention d’autres dieux ? Alors qu’elle brûle sur place, ses yeux ne quittant pas le visage aux traits gonflés de son bourreau, elle peut entendre la voix d’Athéna essayer de calmer la situation qui tournerait bien vite au fiasco sinon.

« Harmonie je sens ta fureur de l'autre côté du jardin et je la comprends, mais pourriez vous discuter sur un ton civilisé ? Vous venez de troubler mes pensées et je pense qu'il faudrait régler ce conflit une bonne fois pour toute. La rancune ne vous sera d'aucune utilité. Héphaïstos : excuse toi. »

Mais ce n’est pas le moment d’être civilisé, du moins Harmonie ne voulait pas l’être aujourd’hui. Héphaïstos l’a-t-il été quand il a créé cet horrible collier ? Non. Mais la remarque de la déesse de la stratégie fait fureur sur ce pauvre dieu dont l’on peut voir les poings serrés blanchir à vue d’œil sous l’effet de la colère. Craquera-t-il, craquera-t-il pas ? Harmonie espère qu’il craque, qu’il dévoile cette facette monstrueuse qu’elle est à la seule à voir pour l’instant. Qu’il subisse la même humiliation qu’elle, les mêmes tourments, qu’on lui marche dessus et l’enferme au fin fond du Tartare sans qu’il ne puisse jamais en ressortir.

Et alors qu’elle s’envole dans ses désirs de vengeance une voix encore plus familière l’interpelle et attire cette fois son attention : Phobos.

« Quel plaisir de te voir ici chère sœur, j'ai cru entendre ta douce voix alors que je me promenais un peu plus loin. Dame Athéna, c'est également un plaisir de vous voir. » C’est un sourire partagé entre l’amertume de la situation et le plaisir de voir un visage amical qu’elle adresse à son frère, oubliant presque pendant quelques instants l’ennemi qui se trouve en face d’elle. « Je vois que le manque de politesse est de famille, Phobos. » Mais la voix d’Héphaïstos rompit ce moment de répit et Harmonie tourna à nouveau son visage vers lui, ses lèvres s’ouvrant déjà pour sortir de nouvelles paroles emplies de haine – paroles qu’elle n’eut jamais le temps de prononcer étant donné qu’une troisième personne s’interposa alors.

« Que nous vaut de vous voir tous réunis ici ? » Si même Niké s’en mêle… L’Olympe entière s’est-elle donnée rendez-vous ce jour-là pour empêcher Harmonie de régler ces conflits ? Alors que celle-ci fulmine intérieurement, le dieu des forges se croit autorisé à répondre à la question.

« Une vieille querelle Niké. L'une de celles qui ne sera jamais réglée. L'une de celles qui ne mérite pas de demander un quelconque pardon. »

Et c’est déjà trop pour elle, comme la simple vision du dieu impuni. S’il n’y avait pas Niké entre eux, Harmonie se serait probablement jeté sur lui pour le terrasser de coups, aussi impuissants soient-ils. Faute de, celle-ci pointe un doigt accusateur et tremblant vers lui, ses yeux lançant des éclairs encore plus foudroyants que celui de Zeus.

« Une querelle ? Tu appelles ça une querelle ? » Elle s’étrangle presque sous la mêlée de ses sentiments. « Tu as tué mes enfants ! Tu as maudit toute ma lignée ! Tu m’as emprisonnée aux enfers ! Tu as ruiné toute ma vie ! Et ce n’est qu’une querelle pour toi ?! » Elle fait un pas, détournant Niké. Ce n’est pas l’heure d’être civilisé et de faire des compromis. Tout ce qu’elle veut c’est se venger.

« Dis-moi, Héphaïstos, comment le prendrais-tu si je faisais subir le même sort à l’un de tes précieux enfants ? Si je lui offrais un cadeau empoisonné comme le tien, si je faisais de sa vie un calvaire ? Si pendant des années et des années je le faisais souffrir de la pire façon qu’il soit pour finalement l’achever sous tes yeux, de mes propres mains, en veillant à ce qu’il ne trouve jamais le chemin des Enfers ? Est-ce que tu appellerai ça une querelle ? »

Blood and death

Les dieux se chamaillaient sans arrêt au cours de longues disputes millénaires, et jamais l'un d'entre eux n'acceptait de bouger ne serait-ce que d'un iota, de sa position. C'était ainsi qu'était fait le monde. Comment pouvaient-ils donner l'exemple s'ils se battaient de la sorte ? Pas étonnant qu'il y ait des rébellions partout dans le monde, des guerres, des meurtres. Les dieux ne valaient pas toujours mieux que les hommes. Ils n'étaient pas si différent, ils se comportaient de la même manière, à la chose près que les immortels pouvaient se permettre nombre de pertes collatérales que ne pourraient jamais se permettre des mortels. Le combat entre Héphaïstos et Harmonie faisait partie de ces querelles qui ne se résoudraient jamais.

Athéna avait elle-même une grande rancoeur envers Héphaïstos qui, ne l'oublions pas, avait essayé de la séduire, enfin, de la séduire, d'avoir une relation physique avec elle, et par sa faute un enfant monstrueux était né de cette union non consentie qu'Athéna avait rejeté loin d'elle. Mais elle tentait comme elle le pouvait de se contrôler en sa présence, de ne pas se jeter à sa gorge dès qu'elle le pouvait. Manifestement, Harmonie n'était pas de ces dieux et déesses qui voulaient éviter le conflit. Cela pouvait se comprendre, mais ce n'était pas sage de répondre à ses pulsions. Phobos vint se mêler à la partie, comme si gérer la situation pour deux personnes n'étaient pas suffisante, Athéna comprit que bientôt ce deviendrait un combat qui la dépasserait complètement, et où chaque dieu arrivant au milieu de la joute verbale (pour le moment) devrait choisir son camp. Le dieu de la peur la salua et elle répondit par un hochement de tête respectueux. Ce fut alors au tour de Niké d'entrer dans la partie. Et bien et bien, que de nouveaux dieux. La déesse de la sagesse était en quelque sorte soulagée que sa vieille amie soit là pour l'épauler. Ensemble, Athéna et Niké ne pouvaient que former un couple gagnant. Finalement elle posa la question fatidique, et Héphaïstos dénigra quelque peu l'importance de l'affront, minimisant les souffrances d'Harmonie, les réduisant à ce qu'il appela : une querelle. Bien sûr Athéna était d'accord, au fond ce n'était qu'une querelle divine comme il y en avait des centaines. Mais c'était toujours plus facile d'affirmer cela lorsque l'on est du côté du parti qui ne souffre pas. La déesse de la sagesse sentit qu'Harmonie était sur le point d'imploser, de se jeter sur le dieu des forges pour lui lacérer le visage et le réduire en miettes.

« Dis-moi, Héphaïstos, comment le prendrais-tu si je faisais subir le même sort à l’un de tes précieux enfants ? Si je lui offrais un cadeau empoisonné comme le tien, si je faisais de sa vie un calvaire ? Si pendant des années et des années je le faisais souffrir de la pire façon qu’il soit pour finalement l’achever sous tes yeux, de mes propres mains, en veillant à ce qu’il ne trouve jamais le chemin des Enfers ? Est-ce que tu appellerai ça une querelle ? »

Athéna fronça les sourcils. Il y avait tant de vérité dans ces mots, dans de douleur qu'elle ne pouvait y trouver chose à redire. Il fallait qu'Harmonie obtienne compensation pour ce qu'Héphaïstos lui avait fait. Mais personne ici ne pouvait juger sans préavis ce qui s'était passé entre eux. La déesse se demanda s'il ne fallait pas emmener l'affaire un peu plus loin. Ce dont elle était sure, c'était que les événements les dépassait hautement, tous autant qu'ils étaient. Elle se hasarda alors, pour calmer le courroux de la déesse :

« - Puisque vous êtes incapables de régler cette querelle, je propose que nous la portions à Zeus. Notre père sera le juge des actes d'Héphaïstos, il aura le dernier mot et personne ne remettra en cause son jugement. Qu'en dîtes vous ? »

Athéna tourna fit passer son regard interrogateur sur Harmonie puis sur Héphaïstos, et chercha le soutien de Niké. Elle avait besoin que la déesse de la victoire soit de son côté, sinon elle sentait qu'une telle querelle finirait dans le sang, et que des victimes innocentes mourraient.  

Ice

hj: