Angel mettait du temps à s’acclimater à la colonie. Il n’aimait pas vraiment cet endroit. Il faisait partie des plus vieux, et parfois, il avait l’impression de se retrouver au lycée tant certains demi-dieux se montraient immatures. Il ne le montrait pas, mais certaines situations l’amusaient, autant que d’autres l’agaçaient. Les résidents parlaient beaucoup. Sur beaucoup de personnes différentes. Partout, différentes rumeurs couraient. Certaines étaient risibles. D’autres carrément ridicules. Il laissait traîner ses oreilles un peu partout, pour être globalement au courant de tout. Il n’aimait pas laisser les choses au hasard. Et pour tout contrôler, il fallait tout savoir. Il était content de voir qu’aucune de toutes ses rumeurs ne le concernaient. Peut-être n’était-il pas assez intégré.

En revanche, sa curiosité était piquée par une jeune femme qu’il observait depuis quelques jours à présent. Certains demi-dieux avec qui il avait parlé lui avaient assuré qu’elle était le meilleur coup de la Colonie et qu’elle ne rechignait pas à enlever ses vêtements. Ils avaient été nombreux à dire cela. Pourtant, de ce qu’il pouvait observer, elle était tout le contraire. Ils avaient regardé assez demi-dieux se prendre des râteaux pour savoir qu’elle n’était pas si ouverte que ça. Au contraire, il lui observait une grande méfiance avec la plupart des gens. Il ne comprenait pas comment cette jeune femme avait acquis une telle réputation. Pas que ça lui importe. Simplement, il trouvait la Colonie diablement ennuyeuse et effroyablement inactive. Il n’avait rien de mieux à faire que cela… Ce qui était triste.

Il était onze heures quand Angel décida de sortir s’entraîner. Il avait profité de son jour de congé pour dormir dans son bungalow afin d’enfin comprendre tout le système de la Colonie. Bien que la plupart des gamins l’insupportaient, il estimait que c’était un mal nécessaire. Il sortit de son bungalow et se retrouva nez à nez avec une jeune femme. Aspasia… La fameuse femme à la réputation imméritée. Il tourna légèrement la tête en entendant des rires et aperçut quelques mètres plus loin une bande de garçons qui la reluquaient sans la moindre gêne. Légèrement surpris de ce cruel manque d’éducation, le fils d’Hadès se servit discrètement de ses ombres pour les faire trébucher et il sourit d’un air satisfait quand ils furent tous sur le sol. Il se tourna finalement vers la fille d’Aphrodite.

- Tu n’as qu’à entrer. J’ai de la bière. Ou du soda si tu préfères.

Elle lui jeta un regard méfiant quand il s’écarta pour la laisser entrer mais finit par pénétrer dans son bungalow. Il la laissa s’asseoir quand il se pencha dans sa valise pour prendre deux bières. Il lui en donna une avant de s’asseoir à son tour.

- Certains gars sont idiots. Fais pas attention à eux.

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Depuis qu’elle est la colonie, là pour remplacer sa pauvre soeur jumelle et prête à accomplir sa vengeance, Aspasia a perdu son sourire. Reprendre la vie de sa soeur est une décision lourde de connaissances, la jeune femme en a conscience mais elle commence à se demander si elle a réellement les capacités à supporter tout ce qu’elle endure. Abandonner sa personnalité d’avant, son ancienne vie et même certaines de ses passions l’ont atrocement fragilisé. Mais s’approprier la personnalité d’une femme totalement différente d’elle rend encore les choses plus compliquées. Elle n’est pas la femme séductrice qu’Aspasia était. Elle, elle n’est qu’une pauvre fille sympathique, douce, jolie à regarder, agréable à écouter. Mais complètement nulle en séduction. Elle n’est pas capable de trouver les mots adéquats pour asservir les hommes de son pouvoir. Elle n’est pas capable non plus d’abuser de la beauté de son corps pour rendre les hommes totalement fous d’elle. Tout ce que la jeune femme sait faire est de pousser la chansonnette dans des bars mal famés où certains hommes viennent en premier lieu la contempler pour sa voix et non pour une quelconque satisfaction physique. Et pourtant, elle est obligée de supporter toutes les choses que sa soeur a construit avant de mourir.

De nombreux garçons de la colonie posent un regard intéressé sur elle dès que la jeune femme passe devant eux. Ils la reluquent, les sourires aux lèvres, heureux de voir les courbes d’une jolie femme. Aussi, ils tentent parfois de faire la conversation en employant des mots crus qui blessent les oreilles musicales d’Aspasia, trop habituée à ne connaître que les mots mélodieux des chansons qu’elle chante. Quelquefois, ces sangs mêlés osent à commettre des gestes obscènes. Une main sur les fesses, les cuisses ou les hanches, tout est bon pour pousser à bout la fille d’Aphrodite. Pourtant, le journal de sa soeur regorge d’anecdotes semblables sans que l’ancienne Aspasia ne les dénonce comme des actes irrespectueux. Elle aimait cette séduction charnelle, sans complexe et très vite satisfaite. C’est cette séduction aux relations qui durent le temps d’un jeu, le temps de satisfaire un violent désir souvent propre aux enfants de la Déesse de l’amour. L’Aspasia actuelle n’arrive pas à s’adapter aux goûts indélicats de sa soeur jumelle, elle n’arrive pas à s’adapter cette conception du désir simplement conduit par des pulsions. Peut être parce qu’elle n’a pas réellement connu ces pulsions aphrodisiaques.

Aspasia marche tranquillement près des bungalows, les yeux rivés dans le carnet de sa soeur. Elle lit les pages concernant des stratégies envisagées pour détruire la Résistance. En arrivant à la colonie, Aspasia pensait rencontrer des gens résignés à attaquer l’organisation. Pourtant, personne ne parle d’une quelconque attaque, d’un quelconque plan qui peut tout détruire. Non, tout semble être passé sous silence, comme quelque chose que les demis dieux n’arrivent pas à admettre. La menace qui pèse sur eux est réelle, mais visiblement, personne n’arrive à réellement s’en préoccuper pour l’instant. La jeune femme a peut être réagi trop brutalement. C’est un peu de sa faute si personne ne parle pas de la Résistance avec elle, à vrai dire, elle ne lance jamais le sujet. Mais elle n’y arrive pas, les demis dieux qui l’entourent ne l’inspirent pas confiance, surtout lorsqu’elle voit qu’ils sont plus en train à raconter des blagues idiotes et à admirer son élégant arrière train qu’à parler combats ou Résistance. Arrivée au niveau du bungalow d’Hadès, elle entend derrière elle des rires étouffés. Des commentaires indécents, des mots répugnants la forcent à s’arrêter. Les larmes viennent gagner ses yeux, elle est triste, si triste, que sa soeur s’est construite ce genre de réputation. Puis soudain, plus de mots. Aspasia se retourne et voit ces abrutis tomber à terre. Ses larmes disparaissent aussi vites qu’elles sont venues, laissant apparaître un sourire moqueur sur son visage. Une voix la fait retourner brutalement.

- Tu n’as qu’à entrer. J’ai de la bière. Ou du soda si tu préfères.

Aspasia lui lance un regard méfiant avant de se décider à rentrer. Après tout, c’est toujours mieux que de rester dehors avec ces crétins. Elle contemple le bungalow vide avant de s’asseoir sur un vieux lit. Le jeune homme ramène deux bières et lui en donne une. La fille d’Aphrodite esquisse une grimace pour le remercier. Elle doit avouer qu’elle ne sent pas à l’aise, assise à côté d’un enfant d’Hadès. Ceux là n’ont pas forcément une bonne réputation mais pourtant le sang mêlé n’a pas l’air foncièrement mauvais. Il est même plutôt mignon avec son regard sombre et sa carrure assez puissante.

- Certains gars sont idiots. Fais pas attention à eux.

Aspasia se met à soupirer après avoir bu une gorgée de bière. Oui, ils sont cons et elle en a plus que marre de les supporter. Ce qu’elle veut, elle, c’est accomplir la vengeance de sa soeur, c’est tout. Alors pourquoi tout est si compliqué dans cette foutue colonie ? Elle a juste envie de hurler, de cracher toute sa haine. Mais elle ne dit rien pour l’instant, préférant boire sa bouteille de bière pour chercher à oublier toutes les brimades qu’elle subit et à examiner l’homme qui se trouve à côté d’elle. Elle a du le voir une ou deux fois, pas plus. Il ne traîne jamais avec les autres demis dieux et restent toujours dans son coin, l’air de ruminer une colère silencieuse. La jeune femme pose sa bière et retire son gilet pour laisser apparaître ses épaules dénudées. Les effets de l’alcool commencent à faire effet et la force à se laisser entraîner par ses émotions.

- Oui, ils sont idiots ! Ils sont nuls ! Tout le monde est nul ici. Les gens préfèrent se foutre des autres plutôt que de trouver un moyen de détruire cette fichue… cette fichue Résistance. Mais moi, je suis pas là pour être la source des fantasmes des mecs, je veux juste me venger.

Elle se met à fixer son compagnon d’un air méfiant. Puis, elle met sa tête entre les mains, toujours rouge de colère.

- Oh et pourquoi je te raconte tout ça, je ne te connais même pas. Je ne sais même pas si tu vaux mieux que cette bande d’incapables.

Elle poussa un long soupir avant de boire une gorgée de sa bière. Angel, lui, reposa la sienne sur la table. Pas qu’il n’aime pas la brûlure de l’alcool dans sa gorge, non, mais l’idée de perdre petit à petit sa lucidité ne lui plaisait pas plus que ça. Il ne comprenait l’attraction qu’avait l’alcool sur les gens. Il ne voyait aucun point positif à boire. Devenir con, gueule de bois, très peu pour lui… Néanmoins, donner l’illusion de boire pouvait délier des langues. Il l’avait appris d’expérience. Elle enleva son gilet qu’elle posa sur le lit, un peu furieusement.

- Oui, ils sont idiots ! Ils sont nuls ! Tout le monde est nul ici. Les gens préfèrent se foutre des autres plutôt que de trouver un moyen de détruire cette fichue… cette fichue Résistance. Mais moi, je suis pas là pour être la source des fantasmes des mecs, je veux juste me venger.

Angel releva la tête surpris. Pour la première fois depuis qui l’a faîte entrer dans son bungalow, il s’intéressa vraiment à elle. Pour la première fois, elle fut quelqu’un d’autre que la femme faisant fantasmé tous les hommes de la Colonie. Elle fut une personne à part entière. Elle leva les yeux vers lui avec colère, et méfiance et il plongea sans hésiter dans ses prunelles, avide de découvrir tous ses secrets. Il se noya dans son regard noisette et se laissa aspirer par la haine qu’elle dégageait mais qui ne faisait que compléter la sienne. L’espace d’un instant, il fut perdu dans un espace hors du temps, ou il comprit réellement pourquoi tous les garçons avaient fait d’elle une obsession. Elle était d’une beauté sauvage, ponctuée de haine, de méfiance. Mais, il lisait une grande douceur dans le fond de ses yeux. Elle était belle. Magnifique. Ses épaules dénudées lui promettaient un corps parfait, mais il préférait se perdre dans l’immensité de son regard qui ouvraient directement une porte vers son âme. Ame aux multiples facettes qu’il avait envie de découvrir une à une pour enfin découvrir qui était véritablement cette fille.

- Oh et pourquoi je te raconte tout ça, je ne te connais même pas. Je ne sais même pas si tu vaux mieux que cette bande d’incapables.

La voix âpre de colère d’Aspasia brisa l’illusion alors qu’elle détournait le regard, toujours furieuse. Angel resta un long moment silencieux. Il n’était pas comme cette bande d’incapables. Il était pire. Tellement pire. Brisé par le poids de la rancune qu’il portait sur ses épaules, endurci par la haine qu’il portait dans son cœur. Elle ne le connaissait pas et au fond, c’était mieux pour elle. Mais, maintenant qu’il avait goûté à sa haine, il ne voulait plus qu’elle parte. Il voulait qu’elle plonge avec lui dans les abimes de la vengeance. Et, quand il plongeait ses yeux dans les siens, une intime conviction s’emparait de lui : elle ne serait pas contre.

- Tu ne le sais pas, et je ne peux pas te le prouver.

Il prit doucement son menton entre ses doigts et lui releva le visage pour que leurs regards se croisent à nouveau. Il n’y avait aucune violence dans son geste, mais une certaine audace, vu la méfiance de la jeune femme. Il la regarda avec une certaine douceur.

- Ils sont peu ici, les demi-dieux lucides. Ceux qui veulent se venger. Ils ont tous une raison. Quelle est la tienne ?

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C’est une colère refoulée qui sort enfin. Aspasia a cette envie de crier sa rage dans ce bungalow, de hurler à quel point le monde est injuste. Ces derniers mois ont été tellement difficiles pour elle. Son retour de Londres, la mort de sa soeur jumelle, son changement d'identité et sa nouvelle vie à la colonie sont des évènements qu’elle a vécu comme un véritable calvaire. Forcément, comment peut-elle espérer vivre une vie décente alors qu’elle est simplement basée sur un odieux mensonge ? À peine adaptée, elle est déjà victime de ce qu’elle considère à présent comme un crime. Elle a l’impression d’être l’assassin de sa soeur en prenant sa vie comme de rien n’était. C’est un crime indirect, une sorte de viol de l’identité dont elle en a affreusement honte à présent. Elle se sent si méchante, elle a réellement l’impression de profiter de la mort de sa soeur et de le vivre comme un prétexte pour enfin abandonner sa propre médiocrité au profit d’une identité dont elle rêve depuis longtemps. Dans son coeur, elle ne veut pas faire quelque chose de mal et pourtant, elle se repentit de son crime inavouable. C’est un paradoxe qu’elle n’arrive pas à expliquer mais qui, au lieu de lui redonner une certaine confiance en elle, lui dérobe toutes ces qualités qui font d’elle une personne à part entière.


- Tu ne le sais pas, et je ne peux pas te le prouver.

La voix douce de son camarade lui fait relever la tête. Sa colère, une fois exprimée, commence à se calmer et redonne à la fille d’Aphrodite, un visage plus sympathique. Exprimer sa haine envers ce monde qu’elle trouve hideux lui a fait tellement de bien. Elle s’est comme épurée de ses émotions qui lui gâchent la vie. La présence de l’homme ne lui est pas désagréable. C’est la première fois depuis longtemps que sa méfiance ne s’est pas manifestée d’une manière aussi calme. D’habitude, son grand défaut ne l’épargne pas et la rend quelquefois très agressive, parfois violente même. Ce qu’elle a craché au visage du jeune homme était gentil comparé à ce qu’elle était capable de dire malgré son grand coeur et sa douceur apparente. Le fils d’Hadès prend doucement son menton entre ses doigts et force Aspasia à le regarder dans les yeux. Ce geste la surprend, elle veut absolument de se débarrasser de cette main posée sur son menton mais quelque chose au fond d’elle lui dit de ne pas bouger. Impuissante, elle finit par se plonger dans ses yeux d’acier.


- Ils sont peu ici, les demi-dieux lucides. Ceux qui veulent se venger. Ils ont tous une raison. Quelle est la tienne ?

La douceur de son regard perturbe la jeune fille. Puis, une chose indéfinissable commence à se réveiller en elle. C’est une chaleur qui se propage dans son corps et réveille tous ses sens. C’est en premier lieu le retour de sa détermination. Elle comprend dans les mots de son camarade qu’il y a quand même des dieux assoiffés de vengeance dans cette foutue colonie. Savoir qu’elle n’est plus toute seule lui redonne une certaine énergie qu’elle commençait à perdre jusqu’alors. Il faut qu’elle retrouve ces personnes et ce dans le but de mettre en commun leur intérêt. Sa soeur l’a dit dans son carnet: la vengeance faite seule ne sera jamais aussi impressionnante qu’une vengeance réalisée à plusieurs. Aspasia lisait cette théorie avant d'atterrir dans le bungalow du fils d’Hadès. Elle se rapproche du jeune homme avec un sourire lumineux.

- Des demis dieux qui veulent se venger ? Il y en a ? C’est vrai ? Est-ce que tu en fais partie ?

Mais la question du fils d’Hadès refroidit son sourire. Non, il ne doit pas savoir quelle est sa raison. Personne ne doit savoir. Si quelqu’un le sait, sa vengeance sera complètement foutue. Malgré tout, elle veut se confier. Elle n’en peut plus de garder tous ses secrets pour elle. Il semble que , d’instinct, le jeune homme est assez digne de confiance pour accueillir ce genre d’histoire. Mais non, Aspasia ne réagit jamais à l’instinct. Elle essaie toujours de réagir en prenant du recul sur les choses. Elle ne connait pas ce garçon, pas même son nom, comment peut-elle avoir confiance en lui ? Son dilemme intérieure la fait pourtant souffrir. Elle a tellement envie de lui parler mais sa raison la pousse à ne pas le faire. Alors cet énième interdiction de se justifier qu’elle s’inflige commence à faire monter les larmes à ses yeux. Cette souffrance n’est qu’un aveu de son impuissance. Elle se déteste de devenir si faible d’un coup.

- Je ne peux pas te raconter… Je suis désolée… Je ne peux pas. Mais si tu savais à quel point j’ai envie de me venger. Ils m’ont fait de trop de mal. Je veux les détruire. Je veux les voir partir en fumée. Pourtant, je ne me sens pas prête à faire ça toute seule. J’ai conscience que, toute seule, je ne suis rien comparée à l’immensité de cette organisation. Je ne sais pas quoi faire.

En second lieu, la chaleur indéfinissable qu’elle ressent dans son corps est une manifestation étrange de son attirance pour le sang mêlé. À travers ses yeux embués de larmes, elle y voit le regard apaisant d’un homme déterminé mais pourtant si calme. Elle se sent rassurée par la haine qu’il semble cacher derrière ses yeux gris. Aspasia se sent consolée en le regardant. Pourtant, si elle savait quel monstre se cache derrière cet homme confiant… Mais, elle s’en fiche, c’est peut être inconsciemment cette monstruosité qui habite le corps de son camarade qui lui fait tellement de bien. Elle veut goûter à cette chose qui lui est encore inconnue, comme un réflexe de son instinct qu’elle ne parvient peut être plus à contrôler. D’un geste qu’elle ne peut expliquer, elle se précipite dans ses bras et laisse couler ses larmes.

- Je t’en supplie, dis-moi que tu vis aussi pour la vengeance, fils d’Hadès. Et si c’est le cas, tu as le droit de me dire pourquoi. Mais commence par me dire ton nom.


La fille d'Aphrodite pose sa tête contre son épaule. Elle n’allait pas partir de cet endroit sans tout savoir de cet homme qu’elle commence malgré elle, à désirer.

Il lut dans les yeux de la jeune femme, l’envie puissante qu’elle avait de repousser sa main. Pourtant elle n’en fit rien, et ils restèrent immobiles et silencieux dans le calme du bungalow. Un sourire l’éclaira quand il parle d’autres demi-dieux animés par la vengeance. Il sentit quelque chose frémir en lui, et il réalisa enfin quelque chose. Quelque chose qui lui manquait. Il ne parviendrait pas à se venger seul, cela, il l’avait rapidement compris. Mais depuis qu’il était ici, il n’avait fait que manipulé pour parvenir à ses fins, sans même songer un instant à un véritable alliance. Avec une personne agitée par la même rancune. Motivée par les mêmes blessures. Mais, il comprit qu’il ne la manipulerait pas. Parce qu’elle était sur la même longueur d’onde.

- Des demis dieux qui veulent se venger ? Il y en a ? C’est vrai ? Est-ce que tu en fais partie ?

Une ombre traversa le regard de la jeune femme et le lourd silence du deuil plana au-dessus deux. Le psychiatre comprit immédiatement qu’il venait de toucher un point sensible. Le doute également émanait d’elle. Angel connaissait le dilemme qui l’agitait, pour l’avoir de nombreuses fois observé. Il savait qu’elle avait envie de se confier. Mais elle ne lui faisait pas confiance. Elle était très prudente. Comme si ce secret, en plus de la douleur qu’il apportait, était crucial pour sa vengeance. Les larmes lui montèrent aux yeux et elle dit enfin :

- Je ne peux pas te raconter… Je suis désolée… Je ne peux pas. Mais si tu savais à quel point j’ai envie de me venger. Ils m’ont fait de trop de mal. Je veux les détruire. Je veux les voir partir en fumée. Pourtant, je ne me sens pas prête à faire ça toute seule. J’ai conscience que, toute seule, je ne suis rien comparée à l’immensité de cette organisation. Je ne sais pas quoi faire.

L’impuissance. Angel connaissait ce sentiment. Il avait appris à l’enfouir dans sa haine. Mais il était toujours là, bien présent. Il aimait jouer aux surhommes, donné l’impression que rien ne l’atteint. Mais au fond de lui, il y a bien une part qui se sent impuissant devant la Résistance, que même les dieux ne semblaient pas pouvoir vaincre. Le monstre qu’il était avait pourtant réussi à apaiser cette peur, car il savait que la Résistance paierait. La fin justifie les moyens. Il n’eut pas le temps néanmoins, d’y réfléchir plus, car elle se précipita dans ses bras, alors que les larmes coulaient sur ses joues. D’instinct, il la serra contre elle. Elle pleurait pour eux deux. Pour les larmes que le monstre qu’il était ne pouvait laisser échapper. Pour tous les endeuillés qu’avait fait la Résistance.

- Je t’en supplie, dis-moi que tu vis aussi pour la vengeance, fils d’Hadès. Et si c’est le cas, tu as le droit de me dire pourquoi. Mais commence par me dire ton nom.

Elle se laissa aller sur son épaule et ce fut presque naturellement qu’il passa un bras autour de ses épaules. Il se laissa un instant avant de dire d’une voix claire :

- C’est le cas. Je m’appelle Angel. Ma sœur a été tuée par les Résistants.

Il avait appris à dire ses mots, impassible. Il savait que Daphnée était sa faiblesse. Il se connaissait mieux que quiconque, et il avait appris à s’endurcir pour que rien ne l’atteigne. Pas même sa petite sœur. Il ne put cependant retenir la contraction de son poing, qui se serrait presque malgré lui de haine.

- Je comprends la haine qui t’agite. Mais, je me dois de te mettre en garde. Ils méritent la mort car ce sont des monstres impitoyables. Mais, la vengeance ne t’apaisera pas. Alors ne pars pas en quête de combler le vide que tu sens chaque jour dans ta poitrine. Il ne disparaîtra jamais.

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Le fils d’Hadès passe un bras autour des épaules d’Aspasia. Ce geste qui a l’air si simple, si bienveillant dans ce genre de situation la surprend pourtant. Sa présence protectrice ne la laisse guère indifférente. Sa gentillesse représente tout ce dont la fille d’Aphrodite a besoin en ce moment. Cet homme a été le seul à savoir comment l’approcher, savoir comment la mettre en confiance alors qu’elle est d’habitude si fuyante avec les hommes de la colonie. Il est le seul à se comporter avec tendresse avec elle. Ce bras contre elle la protège de tous ces souvenirs nauséabonds d’hommes assoiffés de désirs et aveuglés par leur volonté de la contraindre à faire ce que sa soeur prenait tant de plaisirs à faire avec eux. Ce bras la protège aussi de sa véritable identité qui tente encore de refaire surface dans les moments les plus difficiles. Mais surtout, ce bras créé un pont entre les ambitions de la jeune femme et la rancoeur de l’homme. Une rancoeur qu’il cache au plus profond de lui, qu’il ne révèle pas encore et qu’il dissimule encore derrière son silence et son attention pour Aspasia. Parfois, le silence peut être si terrifiant qu’il en devient dangereux. Un danger qui passionne la demie déesse.

- C’est le cas. Je m’appelle Angel. Ma sœur a été tuée par les Résistants.

Sa soeur aussi. Morte à cause des Résistants. Aspasia est écoeurée. Angel dit ses mots avec un calme que la jeune femme ne pourrait adopter. Il lui arrive encore de se crisper, de sentir son coeur se serrer simplement en entendant le nom de sa soeur ; ce nom qui lui appartient à présent. Elle est impressionnée face à cette impassibilité dont elle aimerait tellement savoir adopter. La fille d’Aphrodite lève les yeux vers lui et croise un regard vide d’émotions. Si elle dévoilait un jour son secret, elle ne pourrait jamais avoir un visage aussi serein que lui. Et plus elle l’observe, plus elle se rend compte qu’aucun signe ne vient trahir sa tristesse. Angel sait contrôler ses émotions ; un art du contrôle de soi dont la jeune femme aimerait maîtriser.

- Je comprends la haine qui t’agite. Mais, je me dois de te mettre en garde. Ils méritent la mort car ce sont des monstres impitoyables. Mais, la vengeance ne t’apaisera pas. Alors ne pars pas en quête de combler le vide que tu sens chaque jour dans ta poitrine. Il ne disparaîtra jamais.

Une douleur qui ne se guérira jamais. Peut-on trouver plus cruel à supporter dans la vie ? Aspasia l’écoute sans pourtant assumer ces mots. Certes, la vengeance ne l’apaisera pas complètement mais elle aura au moins rendu justice à sa soeur. Dans n’importe quel crime, le tueur doit payer pour ce qu’il a fait. Et l’assassin de sa soeur, la Résistance, ne doit pas échapper à cette punition légitime. Elle doit payer. Même si Aspasia ne se remettra jamais de la mort de sa soeur jumelle, son coeur s'allègera un petit peu en sachant ces criminels en train de moisir dans les Enfers. Et puis, c’est ce que sa soeur a toujours voulu faire: détruire la Résistance. Elle ne lui ferait qu’honneur.

Et cette vengeance, c’est avec Angel qu’elle veut l’accomplir. Il est le seul à être digne pour partager ce plan. Les yeux d’Aspasia se plongent dans les siens. Les larmes ont laissé une traînée presque invisible de sa souffrance sur ses joues. Ses larmes l’ont épuré, nettoyé de toute cette douleur qui la bloquait. Maintenant, qu’elle est libérée de mal qui l'handicapait,  elle arrive à voir de nouveau, à concevoir un avenir où la justice sera enfin rendue à tous les morts que la Résistance a causé. Et elle arrive à voir tout cela dans les prunelles de l’homme qui la tient dans ses bras. Elle arrive à lire toutes les choses qu’ils vont accomplir tous les deux dans les prochains jours, les prochaines semaines, les prochains mois à venir même. Elle lit dans ses yeux cette future histoire qu’ils vont écrire tous les deux ; une histoire qui sera difficile, pleines d’embûches mais qui sera peut être belle quand même qui sait. Une histoire qui ne sera peut être pas que écrite avec un encre de sang.

Cet espoir né à l’instant plonge la jeune femme dans un sentiment de frénésie profonde. Elle ressent une véritable passion pour cette vengeance. Et pour le mystérieux sang mêlé. Aspasia passe une main dans son cou. Sa main est comme guidée par une pulsion intérieure dont elle reste impuissante. Elle, qui déteste tant se laisser entraîner par ses émotions,  n’a pourtant pas d’autre choix à cet instant que s’abandonner à cette force intérieure. La fille d’Aphrodite approche son visage du sien et après une légère hésitation, dépose un baiser sur ses lèvres. Au contact de sa bouche, Aspasia libère ses pouvoirs qui sont probablement à l’origine de ce sursaut d’amour. Une sensation de bien être se dégage de son corps pour venir s’y réfugier dans celui d’Angel. Elle sent son corps tout entier se décontracter, subir la violence de son pouvoir si bienveillant. Quelques instants plus tard, ses lèvres se séparent des siennes. Vidée de son désir, elle est tout à coup gagnée par un sentiment de honte tout simplement atroce. Pourquoi a-t-elle embrassé cet homme ? Elle ne le connait même pas. Aspasia sent le besoin de détourner son attention, d’effacer ce baiser au plus vite, de gommer cette image de “femme facile” qu’elle vient juste à l’instant de montrer. Elle se lève et cherche un moyen de réparer son erreur. Ses yeux tombent sur son carnet, laissé à l’abandon près de sa bouteille de bière.

- Je… J’ai envie de te montrer quelque chose. Enfin, je pense que je peux te montrer ça maintenant. C’est un carnet qui contient pleins d’informations sur les actions de la Résistance.

Aspasia s’empare du carnet de sa soeur et retourne s’installer près du jeune homme. Sans évoquer l’origine de ce carnet, elle se met à lui montrer toutes les pages qui puissent intéresser Angel. Réfugiée dans sa passion, elle oublie petit à petit le baiser qu’elle a partagé avec le garçon. Elle parle, commente toutes ces pages marquées du travail de sa soeur pendant de nombreuses minutes où elle a, pour la première fois depuis son arrivée à la colonie, l’agréable impression de se comporter comme sa soeur. Elle a l’impression d’être une femme déterminée, qui ne se laisse pas impressionner par les difficultés de sa mission et qui maitrise réellement la situation. Au fond d’elle, elle espère qu’Angel est réceptif à tous ces plans et qu’il les trouve intéressants. C’est notamment au moment où elle expose le projet d’une association de sangs mêlés qu’elle cherche à avoir toute son attention. Il est évident que ce projet est celui par lequel commencer. Alors, à chaque fois qu’elle s’arrête de parler, elle demande son avis en lui lançant un regard rieur. Lorsqu’elle replonge ses yeux dans les siens, le souvenir du baiser revient comme par magie. Ses joues rosirent. Elle ne peut pas l’oublier. Ce baiser n’était pas un caprice de ses pulsions, il était l’oeuvre d’un réel désir qu’elle a pris pour un simple enfantillage. Aspasia sent son coeur battre la chamade et perdre complètement la tête. Sa soeur ressentait-t-elle la même chose lorsqu’elle était avec un homme ?

Une la présentation du carnet finie, Aspasia le referme tranquillement et se lève. Des heures ont passé et elle voit le ciel s’assombrir par la petite fenêtre du bungalow. Le soleil est sur le point de se coucher. La jeune femme se tourne vers lui avec un grand sourire et tend la main.

- Alors, mes explications t’ont convaincu ? T’es partant pour qu’on s’allie tous les deux et qu’on commence à recruter des demis dieux dans notre assocation ?

Aspasia sourit de plus belle. La nuit va tomber et pourtant, elle n’a aucune envie de repartir dans son bungalow.