Voilà fort longtemps que Artémis n’avait pas fait un petit tour à New York. À cause cette bataille qui a confronté des demis dieux, elle avait été trop occupée à entretenir des réunions à l’Olympe avec ses collègues et à renforcer les entraînements de ses chasseresses. Elle avait décidé de faire une pause pour s’éloigner de tous ces sujets de stress et d’anxiété et de flâner pleinement dans les rues de cette mégalopole afin de constater de nouveaux dégâts sur l’environnement qu’avaient causé ces maudits humains. Elle ne constatait pas de changements majeures si ce n’était que l’ouverture de nouvelles boutiques dans des rues fréquentées de la capitale économique. Elle regardait tout ce monde qui ruait dans ces magasins et se demandait franchement comment les gens pouvaient se perdre dans l’ignorance des achats alors que l’écosystème souffre plus que jamais. Décidément, les entreprises de mode faisaient vraiment tout pour attirer toutes ces personnes dans leurs boutiques, c’était vraiment déprimant.

Commençant à en avoir marre de toutes ces lourdeurs anthropiques, Artémis rebroussa chemin et marcha quelques mètres avant de s’arrêter devant un commercial: L’Olympe store. Elle avait entendu parler de cet ensemble de commerces tenus par des sangs mêlés et autres divinités mais n’avait encore jamais songé à y faire un tour. Elle ne voulait pas basculer dans l’ardeur des achats compulsifs mais elle devait avouer que l’apparence de ce bâtiment l’attirait beaucoup et qu’elle avait bien envie d’y faire un tour.

Laissant ses préjugés de côté, elle pénétra dans la boutique en poussant une porte qui déclencha le tintement d’une cloche. Elle salua rapidement la dame de la caisse sans un regard pour elle et pour l'agent de sécurité qui la croisait d'un regard assez étrange puis regarda autour d’elle en examinant quelques vêtements et fut immédiatement attirée par des robes blanches de style grecque qui lui rappelait cette époque antique où elle chassait dans la Péloponnèse. Prise de nostalgie, elle se dirigea vers une magnifique toge qui avait un style plutôt bohème. Elle interpella la responsable du magasin en gardant les yeux rivés sur sa robe. “Mademoiselle, combien coûte cette toge ? ”

Décidément cette boutique était vraiment convenable, et pour une fois qu’Artémis donnait raison aux humains, elle n’allait pas s’en plaindre ! Elle prit la magnifique toge et se dirigea devant un grand miroir pour s’admirer avec. La grand tissu blanc collé contre elle lui allait comme un gant et d’après elle, donnait un certain effet de couleur qui allait bien avec son teint. Elle se retourna vers la responsable du magasin, impatiente d’obtenir une réponse à sa question, et remarqua que celle ci avait littéralement disparu. La déesse fronça les sourcils, se disant à elle même que les employés n’étaient que des bons à rien et que jamais elle ne laisserait une de ses chasseresses adopter ce genre de comportement stupide qui était de tout simplement ne pas répondre lorsqu’on adressait une question.

Artémis poussa un long soupir agacé et décida d’attendre cette bonne femme en s’admirant avec cette magnifique tenue. Soudain, elle croisa le regard d’une jeune femme qui avait l’air parfaitement potiche et qui demeurait à la fixer - sûrement pour apprécier la toute puissance de déesse de la lune - avec un sourire imbécile collé à ses lèvres. Mal à l’aise, elle se retourna et haussa un sourcil, perplexe face au comportement des plus étranges qu’adoptait cette femme à l’allure pitoyable avec ses vêtements trop larges qui ne la féminisaient pas du tout. Après cette inspection, Artémis lui lança un regard rempli de mépris et dit: “Bonjour, qui êtes vous ?”. La déesse ne pouvait pas déterminer si cette chose qui se trouvait en face d’elle était un humain, en tout cas, rien qu’avec un seul regard, elle pouvait dire que cette femme semblait encore plus stupide que tous les habitants de la Terre réunie

Agacée par ce regard et ce sourire qui n’avait rien de charmant, Artémis alla remettre la toge là où elle était et croisa les bras, faisant mine d’être en colère: “Je ne sais pas ce que vous me voulez, mais allez chercher la responsable de ce magasin avant que je ne déguerpisse et que j’aille me plaindre des services de cet endroit.”. Comme elle faisait une tête de plus de cette potiche, elle pouvait la regarder de haut et lui présenter un regard bien dédain: “Mademoiselle, cessez de me regarder de cette manière et faites quelque chose, vous vous trouvez face à Artémis et j’exige que vous vous pliez à mes ordres !”. Elle n’utilisait pas souvent cette phrase tintée d’arrogance mais il fallait bien faire quelque chose pour raisonner cette personne qui osait la toiser ainsi. D’ailleurs, ce regard lui faisait penser à une créature qu’elle avait tué, un siècle ou deux siècles plus tôt, elle ne saurait le dire ...

Cette boutique n’avait décidément rien pour elle. Une vendeuse absente, pas d’autres travailleurs à l’horizon et une gardienne complètement givrée. Cela s’annonçait mal pour le shopping d’Artémis qui tombait presque à l’eau à cause de la passivité des employés. Mais l’employé qu’elle plaignait le plus était bien cette gardienne, cette affreuse femme habillée d’un costume dans lequel elle flottait. La Déesse toucherait deux mots à l’administration pour réviser les tenues des travailleurs car elles étaient tout bonnement horribles. En plus d’être d’être habillée comme un sac, cette femme était vraiment étrange avec ses yeux ronds qui rendaient son regard ébahi tellement insupportable. Artémis l’avait submergée de questions sans obtenir de réponses et se sentait pincée. Personne n’osait lui manquer autant de respect, même les chasseresses les plus rebelles. En plus, cette employée n’arrêtait pas de bafouiller. À vrai dire, la Déesse de la chasse le prenait presque comme une insulte car pour elle, une personne inférieure devait contenir ses émotions devant une divinité. Elle résistait à une envie de transformer cette chose coulante de sueur en cafard mais elle avait d’autres choses à faire.

Soudain, les joues brûlées par la timidité, la femme s’approcha de la Déesse - qui avait une grosse envie de reculer - et lui dit distinctement: “Hm oui, que puis-je faire pour vous Ô grande et divine dame ? Si je peux me permettre, cette tenue vous va magnifiquement bien...". Artémis la regarda de haut sans réprimer l’envie de la transformer en insecte. Décidément, cette madame “Jjjj… quelque chose” était de plus en plus stupide avec son sourire béat. Elle roula des yeux et alla remettre la toge à sa place. Ignorant complètement le compliment de la femme, elle se dressa devant elle de toute sa grandeur, affichant une mine dédaigneuse: “Bon vous direz à la propriétaire de cette boutique que ses services ne sont pas convenables et que je ne mettrai plus jamais un pied ici, c’est compris ?”. En l’observant de plus près, Artémis se disait vraiment qu’elle avait déjà vu cette femme quelque part. De plus, son comportement ne lui était pas du tout étranger. Elle avait déjà entendu ce genre de compliment qu’avait prononcé la gardienne. “Excusez-moi, on s’est déjà vu quelque part ? Votre attitude me dit quelque chose…”

Artémis se dirigea vers la sortie, presque préoccupée par la femme. Ce regard qui l'énervait tant, elle l’avait déjà croisé, elle en était sûre. Ah, si elle ne subissait pas les effets de l’âge, elle se rappelerait tout de suite de son origine. La Déesse faillit trébucher sur un chien, qui en la voyant, jappa de bonheur et lui sauta dessus. Elle sourit, elle adorait tellement ces petites bêtes!  “C’est votre chien ? Il est tellement adorable. Comment s’appelle-t-il ?”

La chienne de l’agent de sécurité s'approcha d’Artémis, aboyant joyeusement. La Déesse le savait, les animaux ne pouvaient pas lui résister. Elle avait une aura puissante, capable d’influencer l’humeur de n’importe quel animal. Sa puissance était telle que même les animaux les plus indomptables se retrouvaient à ses pieds, prêts à lui obéir au doigt et à l’oeil. Elle faisait partie de ces divinités qui avaient l’habitude d’obtenir tout ce qu’elle voulait surtout. Si les animaux et les chasseresses avaient du mal à s’échapper de l’autorité de la Déesse, elle ne comprenait toujours pas comment une simple vendeuse mortelle, sans pouvoirs et sans autorités avait pu lui manquer de respect en disparaissant ainsi, telle une voleuse. La mère de toutes les chasseresses avait du mal à s’en remettre. Heureusement, la gentillesse du chien rattrapait les déboires des mortels. Décidemment, ce n’était qu’avec la nature qu’on n’était jamais déçue! Et les chiens, surtout, amicaux comme ils étaient, ne nous cherchaient jamais à nous faire du mal !

"Oui Ma Dame, elle est à moi. Elle s'appelle Alpha." Artémis caressa doucement la chienne. Son poil était si soyeux, si doux, elle se disait que l’agent de sécurité devait bien s’occuper d’elle. Elle se tourna vers la jeune fille, souriante: “Alpha, quel joli prénom ! En tout cas, je vois que vous vous occupiez bien d’elle. C’est très bien. Je vous félicite. Vous avez toute mon admiration mademoiselle.” La Déesse cessa de caresser la chienne et s’approcha de son interlocutrice. Malgré sa déception, elle était pour une fois d’humeur à bavarder. “Vous savez à quel point je suis attachée au fait de bien traiter bien les animaux. Il faut bien la chouchouter, c’est une chienne qui a un travail difficile. Vous devez être patiente avec elle, c’est important.” En croisant le regard timide et angoicée de la jeune femme, Artémis crut que son coeur allait rater un battement. Cette tête lui disait quelque chose, elle s’en était aperçue tout à l’heure. Mais là, cette expression qui tordait son visage de peur et d’admiration, elle ne le connaissait que trop bien. Alors, il était revenu. Revenu, pour provoquer la colère de la Déesse.

Artémis serra les poings, son visage si rayonnant qu’elle avait eu une minute plus tôt avait laissé place à une expression de haine figée. Ses yeux brûlaient d’une envie de tout détruire. La chienne, sentant son changement d’humeur, s’écarta doucement sûrement par crainte. Soudain, elle se mit à hurler de rage. “TOI ?! Je t’avais envoyé aux diables ! T’es déjà revenu !? Hé bien crois-moi tu vas bientôt y retourner ! Et dire que tu étais là devant moi pendant une heure et que j’ai pris tout ce temps pour m’en rendre compte ! Je vais te réduire en miettes…” Sous le coup de la colère, Artémis prit la drakon par le col. Le drakon avait peur ? Elle s’en fichait mais alors totalement. “Tu es revenue pour me provoquer à nouveau ? Tu crois pouvoir jouer avec les sentiments d’une Déesse comme moi ? Réponds Jacq !” Son rugissement retentit dans toute la rue, comme un tonnerre.

Artémis était à deux doigts d’envoyer Jacq au diable. Sa fureur était si grande qu’elle avait beaucoup de mal à se retenir de maudire à nouveau cette chose qui se trouvait emprisonnée entre son poing et son regard remplis de haine. La Déesse avait totalement rayé cette abomination de sa vie, pensant qu’il n’allait pas se reformer avant des milliards de siècles mais la preuve de sa présence montrait avant tout qu’elle avait infligé une punition qui n’était pas assez terrible. Cette créature n’avait pas encore compris qu’elle ne devait pas approcher Artémis, ni lui parler, ni même la regarder. Cette atrocité n’avait pas encore retenu la leçon et c’était pas faute de l’avoir puni de nombreuses fois. Quand allait-elle comprendre que la Divinité ne voulait pas la voir dans les barrages ? Elle ne comprenait surtout pas qu’Artémis refusait autant son amour que sa présence. Ses déclarations d’amour enflammées et toutes ses autres stratégies pour conquérir la Déesse avait échoué et l’avait surtout condamné à pourrir des siècles chez Tartare. Alors pourquoi s’obstiner ? Jacq n’allait jamais arriver à attendrir la lunatique Déesse. Il pouvait encore compter sur un miracle mais son charme n’allait sûrement pas aider à le réconcilier avec elle.

La menace de la Chasseresse était vaine. Jacq ne semblait pas effrayé par le regard assassin de celle qui a fait chavirer son coeur. Même si au début, cette sale bête avait eu envie de s’enfuir, les derniers mots de la Déesse avait provoqué en lui un véritable choc qui lui a cessé toute envie de fuir. Maintenant, il regardait Artémis dans les yeux avec une certaine assurance qui troubla la grande Dame. Il s’était littéralement métamorphosé attisant ainsi la curiosité la Déesse. Cette prise de confiance brutale était intéressante et la forçait à contenir sa fureur. Elle voulait entendre ce que ce monstre lui avait à dire pour oser la regarder ainsi, sans aucune trace de peur dans ses yeux: "Non ma Dame. Jamais je ne me permettrais de jouer avec vos sentiments, jamais. Je ne vous suivais pas, voilà bien des mois que je travaille ici et j'ignorais que vous vous y rendiez.". Artémis ne sut comment réagir. La sincérité brillait dans les yeux de Jacq et c’était cette sincérité même qui la déstabilisait autant. Les prétendants faisaient toujours preuve d’hypocrisie pour attirer celle qu’ils voulaient séduire. Même Jacq avait fait appel à une stratégie pour l’approcher en essayant de camoufler chez les chasseresses. Mais cette fois ci, la créature semblait réellement sincère. Elle avait parlé avec son coeur.

Perturbée, Artémis finit par jeter Jacq au sol. Elle ne savait pas comment interpréter le fait que cette chose éprouvait réellement des sentiments pour la Déesse. Elle n’avait jamais fait face à ce genre de situation auparavant. La créature était la première personne à ouvrir son coeur ainsi. Mais Artémis ne devait pas se laisser attendrir par les mots du drakon. Il ne fallait pas qu’elle montre que ses paroles l’avaient atteint. D’un air condescendant, elle dit: “Très bien, je te crois Jacq.” Elle ne s’arrêta pas, cela aurait été trop beau pour la créature. Il n’était pas question de le laisser croire que la Déesse pouvait compatir. “Mais donne-moi une bonne raison de ne pas te renvoyer au Tartare quand même.” La fureur d’Artémis s’était envolée. En voyant Jacq à terre, changé en femme et habillé de manière la plus ridicule possible, elle s’était dit qu’elle ne pouvait pas continuer de le maltraiter ainsi. Il fallait qu’elle lui donne une autre chance, une ultime chance pour que le monstre puisse se rattrapper et montrer qu’au fond, il ne pouvait pas être pire que les autres. Sa sincérité avait-elle arrangé les choses ?

Jacq se releva doucement et s’adossa contre le mur. Artémis lui tournait le dos comme on tourne le dos à un être insignifiant qui ne mérite pas une quelconque attention. Même si la situation ne semblait pas être propice au pardon de la Déesse, cette dernière se remettait tout de même en question. Au grand jamais elle n’est revenue sur une de ses décisions. Après tout, elle avait toujours raison. Mais là, tout semblait être différent. Artémis n’exprimait pas réellement de regret pour avoir été aussi dure avec la créature pendant des décennies. Mais quelque chose - elle ne saurait dire quoi - la rongeait intérieurement. Cela ressemblait à de la culpabilité. Elle se sentait quand même coupable d’avoir infligé ces peines au Tartare, d’avoir été si souvent violente avec ce petit monstre qui venait vers elle pour lui déclarer sa flamme sans avoir de mauvaises arrières pensées. Elle se sentait surtout coupable d’être responsable de certaines de ses souffrances. Même si Artémis était une femme extrêmement dure, elle avait quand même du mal à se dire qu’elle aurait pu rendre quelqu’un malheureux.

Avec une voix pour une fois pleine d’assurance, Jacq trouva une nouvelle fois le courage de répondre à l’élu de son coeur: "Jamais ma Dame, je ne vous dérangerais. Mais je me dévoue entièrement à vous. Ordonnez, et je ferais." Le coeur d’Artémis - pourvu qu’elle en possède un - faillit rater un battement. Elle fut surprise par cette déclaration. Agréablement et égoïstement surprise même. Celui dont elle voulait absolument se débarrasser depuis des années allait enfin lui être utile à quelque chose. La fierté de la Déesse était comblée. Un petit sourire germa de ses lèvres et elle décida de se tourner vers le drakon. Un sourire rayonnant figé sur ses lèvres, elle ne put s’empêcher de rigoler. Incroyable. Elle n’avait pas rit si tendrement depuis au moins deux mille ans. Elle s’approcha de Jacq pour lui faire face. Étrangement, il détourna le regard comme s’il voulait cacher quelque chose. Son amour ? Non la Déesse en savait déjà trop.

Artémis était toute attendrie. La vue de cette créature toute frêle, transformée par ses soins et soumise à elle comme à une reine la rendait étrangement joyeuse. Alors voilà ce qu’était l’amour, être capable de sacrifier tant de choses, jusqu’à sa propre intégrité pour la personne qu’on aime ? La Déesse aimait bien ce concept finalement. “Bien. Très bien, Jacq. Tout change entre nous à présent.” La grande Dame s’avança encore. Sa grande taille fit une ombre inquiète sur un Jacq un peu effrayé. Elle était si belle et si terrifiante. Terrifiante en amour car elle n’y comprenait rien et au fond, elle s’en fichait un peu. Elle passa une main sur sa joue tremblante avant d’avancer son visage tout près du sien. “Alors tu seras mon homme à tout faire pour l’éternité ?”. Intriguée. Elle était intriguée. Elle voulait savoir jusqu’où se trouvait les limites de ce jeu. Des limites qu’elle ne pourrait jamais franchir. Enfin, chacun avait ses propres limites après tout. Et elle venait de les franchir. En l’effleurant ses lèvres. Juste avant de s’en aller. “Bon alors Jacq, viens. J’ai besoin d’aide pour trouver une autre toge”