J'attrape ma dague et je la fais tournoyer entre mes doigts. De toutes les Chasseresses, je dois être la moins combattive et la moins expérimentée en maniement d'armes, tout simplement parce que je préfère me battre sous ma forme lupin. Quand je repense à la bataille de la Colonie, cela ne m'a posé aucun souci d'arracher des membres et mordre jusqu'au sang des Résistants, en tant que bête, je m'autorise l'inimaginable et l'horreur. L'humaine se refuse à participer à ce genre de spectacle pour le moins infligeant à ses yeux. Je soupire, je souffre de plus en plus de cette dualité, la dernière fois que j'ai souffert de ce trouble, Erika était encore de ce monde. Je souris en repensant à la Valkyrie. Elle était une déesse de la guerre, elle ne reculait devant rien ni personne, la guerre était son domaine. Rosélia était la soigneuse, celle qui connaissait tous les maux de ce monde et qui savait comment les soigner. Moi, j'étais la dompteuse, capable de communiquer avec les animaux, je peux les comprendre. Au fil du temps, je me suis constituée une meute dont je suis l'Alpha. Je regarde autour de moi, oui, dès que mes deux amies ont quitté ce monde, j'ai décidé de me battre de manière définitive en loup. Je suis capable de ressentir la peur et mieux cerner le caractère des personnes. Si seulement je pouvais rester en loup toute ma vie, tout en gardant mon esprit humain, être capable de communiquer par la pensée. Seulement les dieux ont décidé que je resterai humaine pour mon propre bien.

Je suis à la frontière de la Colonie, j'ignore combien de fois j'ai franchi ses limites, combien de fois me suis-je demandée si j'allais renoncer à mes voeux pour mourir paisiblement ici. Quand je regarde Astri qui est dans la Chasse depuis une éternité, je ne suis pas sûre d'en faire autant. Parce que le doute m'habite et surtout, parce que j'ai la sensation de vieillir de l'intérieur, j'ai l'impression que tout mon être se craquèle, comme du beurre qu'on aurait trop étiré sur une tartine trop grande ... Est-ce que mon âme est en souffrance ? Je ne pense pas. Sinon, je serai en train de pleurer toutes les larmes de mon corps, demandant à ce que la Dame en personne vienne me réconforter comme une mère. Mais je ne suis pas une enfant et Artémis n'est pas une mère, elle est notre sœur.

En parlant de sœur ... J'ai demandé à Beth de venir me voir, nous devons parler des mesures à prendre. Ce soir, il va y avoir une réunion concernant la taupe, je soupire une énième fois. Je suis contre cette réunion, les Chasseresses n'ont pas à intervenir dans ce conflit interne, nous ne sommes pas de la Colonie, ce ne sont pas nos problèmes. Nous sommes alliés évidemment, mais leur petite guerre ne m'intéresse pas. Je regarde au loin, qui seront nos ennemis de demain ? La Résistance ? Possible, mais je vois au loin nos vrais ennemis. Nous-même. Parce que nous ne sommes pas prêts, parce que nous ne savons plus nous battre contre des demi-dieux, il est plus facile de tuer un monstre que de tuer un humain, de sentir son cœur s'arrêter de battre et de sentir cette horrible odeur de déjection et de sang se mêler à l'odeur du sol. J'ai tué, souvent, en loup, parce que j'oublie plus facilement, parce que cela me paraît plus normal, mais enlever une vie avec mes mains ? En suis-je vraiment capable ?

"Beth, je suis contente de te voir."

Je souris et vais à sa rencontre, l'enveloppant dans une étreinte aussi chaleureuse que le Soleil.

"Si j'ai demandé à te voir, c'est parce que je suis contre cette réunion, tu ne dois pas y assister."