Il y avait des moments où Wesley se sentait très mal à l'aise. Et parmi ses moments, ceux où il était avec sa mère dans la cuisine, qu'elle lui parlait pendant des heures, et que lui, était assit à la table. Oh, cela pouvait paraître tout à fait banal mais voilà, ce qui le gênait le plus dans cette situation, c'était la décoration du mur auquel était collé la table de leur petite cuisine new yorkaise. Une grande fresque de de photo, de lui, de sa mère, de sa tante, et de sa cousine, qui faisait aussi office de demi-soeur de part leur père commun, Anna. Cette fresque, c'était comme une représentation de leur vie tout entière. On y voyait tout, de leur naissances respective à leur âge actuel. Oui, leurs mères étaient proches,elle se partageait tout (même Hermès, la preuve avec Anna et Wesley) et il fallait croire que cette... Fresque leur tenait à cœur. Ce soir là les Lincoln attendait les Echols pour dîner. Alors madame Lincoln, une vraie cordon bleue, avait fait un repas digne d'un chef étoilé. Il fallait dire que c'était leur premier repas de famille depuis que les deux étaient revenus de la colonie pour les vacances.

- Wesley, trouve moi du sel s'il te plaît.

Son grand garçon s’exécuta et lui tendit le pot de sel. Sa mère était adorable, vraiment adorable. Parfois il se disait qu'il ne tenait vraiment pas d'elle. Sa mère le couvait un peu trop à son goût.

- Tu es content qu'elles viennent ?
- Oui, très.
- Alors souris un peu Wesley !

Non, non il était pas content. Le repas allait encore être une longue torture. Il allait donner des coups de pieds sous la table à sa cousine, qui y mettrait du sien, encore une fois, il la foudroierait du regard, finirait par lâcher une insulte et la guerre serait lancée. C'était toujours comme ça et ça ne changerait jamais. On sonna à la porte et il bondit de son siège pour aller ouvrir. Pour sa tenue il ne s'était pas foulé, il était chez lui,il portait un vieux tee shirt orange délavé s'il le voulait d'abord. Oui, s amère avait voulu qu'il change. Il l'avait gentiment rembarré. Il ouvrit la porte en grand, salua sa tante, attendit qu'elle fasse les premiers pas dans l'appartement pour tapoter la tête de sa cousine comme celle d'un chien.

- Anna, c'est fou c'que tu m'avais manqué dis donc !

Oh, il le sentait mal ce dîner. Et tout ce qu'il avait sur le cœur, tout ce qu'il refoulait depuis des mois déjà. Parfois il se disait que sa mère était mieux comme ça, au courant de rien. Il ne lui avait pas raconté leur rencontre avec un cyclope, ni le fait qu'Anna et lui avait bien faillit y rester. Elle aurait sans aucun doute tourné de l’œil. Madame Lincoln avait toujours voulu que Wesley défende Anna, qui n'avait qu'un an de moins et cela l'avait toujours agacé.

- Vous voilà toute les deux ! Wesley était impatient !
- Mouais...

Non mais... Parfois sa mère l’agaçait. Il se laissa tomber sur a chaise de la cuisine et croisa les bras. Bon, une longue soirée en solitaire s’annonçait.

Anna rentrait chez elle.
Et ce n'était certainement pas pour lui faire plaisir. Chez elle n'avait jamais vraiment été chez elle. Elle y vivait avec sa mère, certes. C'était déjà pas mal quand son père était Hermès en personne, dieu des voyageurs, des voleurs et de toute la panoplie. Mais elle y vivait aussi avec sa tante – la sœur de sa mère, pas une quelconque frangine à Hermès – et... Son crétin de cousin. Elle l'avait apprécié dans le temps, quelques photos sournoisement suspendues dans la cuisine étaient là pour le prouver, mais aujourd'hui... Pour être clair et précis, ils passaient leur vie à se tirer dans les pattes. Deux semaines, c'était le répit qu'Anna venait d'avoir en accompagnant sa mère en Chine (cette dernière bossait dans les relations internationales mais c'était compliqué et la demoiselle n'en savait pas beaucoup plus) et l'idée de devoir franchir la porte de la résidence puis celle de l'appartement suffisait à la mettre en colère. « Eh bah Anna, c'est fou ce que tu as l'air heureuse de rentrer ! » « J'aimais bien la Chine. » Et cette putain de tranquillité aussi. « Même sans Wesley ? » Surtout sans Wesley. « Oh bah tu sais, on se voit déjà beaucoup à la Colonie et être un peu seule... » Aléluïa, la PAIX qu'elle avait eu. Bon, elle s'était un peu ennuyée aussi sans personne à taquiner ni avec qui connaître de grandes aventures mais même la plus vive torture n'aurait peut-être pas réussi à lui arracher pareille confession.

Renfrognée, Anna regarda sa mère appuyer avec enthousiasme sur la sonnette. « Je suis contente de rentrer ma Anna, la maison m'avait manqué quand même. » « Mmh. » Anna prit la peine d'enlever son second écouteur, abandonnant PZK qui gueuler dans ses oreilles pour offrir un sourire à peu près aimable à celui qui ouvrirait la porte. Elle adorait sa tante. Pas son cousin. Son rictus vacilla en apercevant la tronche de Wes la fesse, peut-être parce qu'elle se rendit compte qu'il lui avait manqué. « Oh ! C'est fou ce que tu m'avais manqué aussi, Wes la fesse. » Les deux sœurs se firent la bises, heureuses comme jamais de se voir (il fallait sacrément s'aimer pour partager le père de leur enfant respectif ainsi qu'un appartement) et tout le monde passa à table. « Oh tatie, des lasagnes, je t'aime ! » Sa tante était parfaite. Parfaite en tout point de vue. Dommage que Wesley n'ait pas hérité de tout ça. Et putain, dommage qu'elle ne soit pas insensible à la présence de ce connard. Elle le détestait, il l'agaçait trop. Alors pourquoi l'aimait-elle ? Ou du moins, pourquoi s'inquiétait-elle quand il pouvait potentiellement lui être arrivé quelque chose ? Anna aurait simplement pu être soulagée de le voir crever dans son coin mais... Non, elle était surtout satisfaite de le voir toujours vivant à son retour. « Tiens, t'es pas mort Wes' ? » Sa mère et sa tante lui lancèrent un regard curieux mais elle ne chercha pas à s'expliquer. Elles seraient sans doute tombées dans les pommes en apprenant dans quelle horrible réalité vivaient leur enfant. La demoiselle se servit généreusement et lécha sa fourchette avec soin. Les photos juste en bout de table la mettaient mal à l'aise.

Il la regarda se jeter sur le plat qu'avait préparé sa mère et leva les yeux au ciel. Elle n'allait tout de même pas faire sa lèche-cul maintenant ? Déjà ? Et la question qu'elle lui posa. Évidemment, les deux mères les regardèrent un peu bizarrement, il fallait dire que ce n'était pas vraiment le genre de question que se posaient des cousins, en temps normal.

- Ben tu vois bien que non. Pas de monstres, pas de baston. Le désert. Étrange d'ailleurs, je m'attendais à me faire sauter dessus, mais il faut croire que...
- Wesley ! Combien de fois je vais devoir te le répéter... On ne parle pas de... De vos monstres ou des horreurs dans le genre à table. Déjà que je ne suis pas rassurée quand vous venez ici, heureusement qu'à la colonie, vous êtes en sécurité, et là pour veiller sur l'un, comme sur l'autre.

Sur ces belles paroles, il avala de travers et s'étouffa à moitié. Oui oui évidemment, leur vie était toute rose là-bas, un vrai village vacance la colonie. Il lança un regard de travers à Anna. Parfois, il se demandait ce qu'il avait fait à Zeus pour mériter tout ça. Seule présence masculine dans la maison, il s'en prenait parfois plein la tronche. Côté intimité, il avait du ruser pour avoir sa vie d'ado mec normal et côté banalité de la famille... Il se rappelait encore du jour où sa mère avait voulu l'inscrire à un centre aéré avec Anna, et qu'elle avait dû remplir les papiers pour sa mère. Le gérant avait alors regardé les deux cousins comme deux pauvres enfants qui n'avaient pas choisi leurs... Mère. Il avait ensuite compris qu'elles étaient sœur, et était resté perplexe. Il se demandait souvent aussi de qui il tenait. Pas d'elle en tout cas. Ni physiquement (elle était rousse avant d'être blonde) ni mentalement. C'était vexant de se sentir mis à l'écart en permanence.

- Wesley à fait un délicieux dessert !

S'ils ne mourraient pas tous ce soir, ils avaient de la chance. Il marmonna qu'il avait juste donné la farine à sa mère pour l'aider, rien de plus mais elle s'était lancé dans les exploit culinaire de son fils et Wesley soupira. De vrais machines à causette ces deux là.

- Est ce qu'un jour, on pourra virer c'te foutue frise ?
- Wesley ?

La question était partit toute seule. Mais elle lui trottait dans la tête depuis tellement longtemps. Il en avait juste marre de la voir là. Qu'elle la mette dans une de leur chambre, d'accord, mais pas ici. Elle lui annonça qu'elle l'aimait bien, sa frise, et il se sentit dépité. Non non, cette frise c'était le mal, elle le mettait mal à l'aise.

- Non mais... C'est vrai que... Anna ! Dis leur toi aussi que tu l'aime pas c'te frise là !

Évidement il s'attendait à un gros vent. Ou à un regard noir. Ou à une insulte. Ou au trois à la fois. Les deux sœurs avaient tournés leur têtes vers elle, sa mère avait même prit sa main, l'air de dire « parle sans crainte mon enfant » ce qui était, au fond, encore plus pertubant.

Le problème quand on avait deux enfants avec quelques gènes divins, c'est qu'ils risquaient leur vie à chaque instant. Et forcément, les conversations en prenaient un coup, passant du « tu as passé une bonne soirée ? » banale à « tiens, toi non plus tu n'es pas mort ? ». Bien sûr, les mères d'Anna et Wesley ignoraient que les sangs-mêlés dépassaient rarement vingt ans, et encore moins trente, mais elles se doutaient que leur vie ne devait pas être... de tout repos. Détail que les deux cousins s'accordaient à dissimuler. « Remarque, t'es tellement faiblard qu'ils n'ont même pas dû te sentir. » Sa mère lui jeta un regard noir mais Anna l'ignora, se contentant de lécher sa fourchette avec soin. Sa mère ne supportait pas les éternels sarcasmes qui volaient entre les deux cousins et s'ils s'appliquaient généralement à rester discrets sur ça aussi (leurs mères les connaissaient-elles vraiment?) il arrivait que... Disons que Wesley lui avait bien manqué durant ces vacances à l'étranger et qu'elle lui faisait à présent payer ce sentiment qu'elle ne supportait pas. Quand à sa tante... Croyait-elle vraiment qu'ils veillaient sagement l'un sur l'autre comme les frères et sœurs qu'ils étaient presque ? Bien sûr. Et curieusement, elle avait à peine tort. Chaque fois qu'il leur arrivait des ennuis, ils étaient toujours ensemble – coucou hasard, je te salue ! - mais ils s'en étaient toujours sortis. Tous les deux. Ensemble. Et à chaque fois, Anna se disait simplement que leurs mère et tante auraient été trop malheureuses s'il leur arrivait quoi que ce soit. Mais oui, mais oui... Mais si !

« Oh, un gâteau ? Voilà que le petit Wesley se transforme en cuisinier. » Anna adressa un sourire resplendissant – du point de vue des mères – à son cousin et acheva en vitesse son assiette de lasagnes. « Tant mieux, parce que le voyage m'a affamée. » Il y avait une belle collection d'heures de route en avion depuis la Chine et elles avaient voyagé au tarif minimum, se contentant de grignoter quelques biscuits après plusieurs heures de vol. À l'instant où Wesley parla, son regard se posa sur la frise en question, détaillant en trois secondes chacune des cint-cent vingt-six photos qui la composaient. Wesley qui noyait Anna, Anna qui enterrait Wesley, Anna et Wesley pris en photo par un photographe professionnel (à peu près la seule photo où ils n'étaient pas en train de s'entretuer si on enlevait toutes celles avec les mères), Anna qui poussait Wes à l'eau depuis un bâteau, Wesley qui balançait Anna d'en haut une piste noire au ski... Cela dit, ils avaient presque l'air complice puisqu'au fond... Bah Anna adorait ça. (Enfin elle n'aimait pas la frise.) Dommage qu'une telle chose continue à la foutre mal à l'aise, lui rappelant à chaque instant passé dans cette cuisine que Wesley était avant tout son cousin. Prise à témoin, la jeune fille se sentit rougir devant les regards inquisiteurs des deux sœurs. Si sa tante lui tenait la main avec un léger sourire façon « tu peux tout nous dire », sa mère semblait plutôt prête à l'étriper à la moindre parole déplacée. Bizarre, comme situation. Anna fusilla Wes du regard, bien qu'elle l'approuve entièrement, et... « Eh bien... C'est vrai qu'elle est un peu gênante cette frise... » Bon Dieu non, pire que ça même ! Une mosaïque de leur vie de frère et sœur, cousin et cousine ! « Anna ! » « Mais quoi ! Tu veux la vérité ? J'la supporte pas, c'te frise là ! » Maman se couvrit la bouche de la main, hésitant vraisemblablement entre fondre en larmes et découper sa fille en rondelles, et tatie se contenta quant à elle de la première option. « Non mais ça va, c'pas la fin du monde... C'est juste que bon, on est grand quoi. Me voir en train d'essayer de tuer Wes la fesse sur chaque photo... C'est bon, ça va un peu ! » D'autant qu'elle avait bien amélioré ses techniques depuis ce temps là. Et puis voir Wesley à quatre ans en moule-bite, ben... Voilà quoi.

Enfin un peu de solidarité ! Il la remercia d'un regard. Leur mères respectives, elles, n'avaient pas l'air ou très emballée, ou pas contente du tout. Il en pouvait plus, tout simplement. De vivre sa au quotidien. Il aurait aimé qu'Anna ne soit pas sa cousine. Qu'Anna ne soit pas sa demi-soeur. Il 'aurait aimé qu'elle soit d'une autre famille, ne pas la connaître du tout. Enfin, si, mais pas comme il la connaissait. Il souhaitait ne jamais avoir connu la Anna de quatre ans qui se faisait des couettes, la Anna de huit ans qui lui cassait les pieds devant ses films préférés. Il aurait voulu la rencontrer là-bas, à la colonie, tout simplement. Il aurait voulu que leur situation soit différente. Ils auraient pu être de simple amis, ou les meilleurs amis du monde. Et il aurait pu s'exprimer librement. Là, ce n'était pas le cas. Il avait grandit avec elle, leur mères étaient inséparables. Pire que ça, elles voyaient toutes les deux leurs deux enfants comme des anges, frère et sœur fidèles l'un envers l'autre. Il ne voulait plus de ça, tout simplement. S'il pouvait, il demanderait à échanger son corps avec quelqu'un d'autre, ou de prendre la place de n'importe quel autre demi-dieu de la colonie.

- Faites attention tout les deux...
- C'est ça, c'est ça...
- WESLEY ! Mais enfin, qu'est ce qui vous prend ce soir ?

« l'adolescence maman, l'adolescence » eut-il envie de répondre.  Mais il savait que cette réponse serait mal venue. Que sa mère allait criser une fois de plus. Alors il se redressa sur sa chaise et leva un doigt en l'air. « Réfléchis bien avant de parler mon gars... » Mais il était bien connu que Wesley fonçait toujours tête baissé.

- Maman je heu... Tatie... En fait je... Anna, écoute...

Il cherchais ses mots, pendant que sa mère restait là, sa fourchette pleine à deux centimètres de sa bouche, attendant qu’il finisse pour pouvoir manger. Sauf que c'était tout bonnement impossible. Il en était incapable. Il ne pouvait pas leur infliger ça, pas maintenant. Il était juste détraqué, voilà tout. Ce n'était pas normal de ressentir ça. Il se leva en silence, la tête baissé et fonça dans sa chambre. Il claqua la porte. Sa mère n'avait rien dit. Elle avait du penser que c'était le comportement d’un gamin de dix huit ans en pleine crise. Il balança la première chose qui lui passa sous le main contre le mur, à savoir son sac de cours. Sa chaise de bureau y passa aussi. Et les cadres présent sur sa table de chevet aussi. Il se roula en boule sur son lit et ferma les yeux. « T'es qu'un gros nullard Wes » Et voilà que la voix d'Anna résonnait dans sa tête. C'était de sa faute. Entièrement de la sienne. Si elle.. si...  Il se prit la tête entre les mains et serra les dents. Il allait faire quoi maintenant, hein ? Arrêter de penser à ses cheveux roux par exemple serait une bonne chose. Et arrêter aussi de s'imaginer que tout allait pour le mieux, dans le meilleur des mondes. Tout ça, c'était de sa faite, depuis qu'il avait mis les pieds dans sa foutue taverne à la colonie. Il s'en était rendu compte ce jour là, et cela l'avait rendu malade. Toc toc. On frappa à la porte. Il voulait juste être seul, juste cinq minutes. Arrête de sentir les larmes couler, redevenir un bonhomme et s'asseoir à nouveau à table. « Tu vas passer pour un con » Pas faux, alors il resterait ici, et se lamenterait sur son sort toute la soirée. Toc toc. On frappa une deuxième fois. Il grommela quelque chose, une sorte de « fichez moi la paix » et soupira. On avait donc jamais la paix dans cette maison.

En trois minutes, une soirée qui de toute façon n'inaugurait rien de bon venait de voler en éclat. Quand Wesley quitta la table pour foncer dans sa chambre, les deux sœurs échangèrent un regard empreint de perplexité. « Mais enfin, qu'est-ce qui lui prend ce soir… ? » Un trop-plein de machins qui les mettaient mal à l'aise autant l'un que l'autre peut-être ? Anna adorait Wesley, même si ce n'était pas franchement visible au quotidien. Wesley aurait pu être son meilleur ami, ou même son amant, s'ils n'avaient pas été frère et sœur, cousin et cousine. Les dieux seuls savaient combien de fois elle avait rêvé qu'elle ait un autre frère et que lui ne soit que le voisin, celui avec qui elle allait à l'école le matin et chez qui elle allait goûté le soir. À treize ans, ils se seraient embrassés sur le chemin de l'école et à quinze ans, il l'aurait emmenée au cinéma. Plus tard, il aurait été sa première fois, la première personne qu'elle aurait aimé d'amour. Au lieu de quoi il s'agissait de son cousin et elle s'appliquait à ne pas pouvoir le voir en peinture. D'une certaine faon, ça fonctionnait bien, les gens s'inquiétaient lorsqu'ils les voyaient ensemble. Putain mais s'ils savaient ce qu'elle pensait, ce qu'elle ressentait… Ils auraient fui à toutes jambes, et elle en était malade. Ce n'était pas normal de ressentir ça, leurs mères étaient sœurs, leur père était… Eh bien leur père était une seule et même personne. À la fois cousin et cousin, frère et sœur, ses pensées étaient totalement déplacées. Complètement obscènes et effrayantes. D'un accord commun, les deux sœurs laissèrent Anna en plan à table et quittèrent la cuisine pour s'engager avec prudence dans le couloir. « Wesley ? Tout va bien ? » À votre avis, bandes de connes ? Il fait un bordel monstre et vous demandez si ça va ? Question stupide par excellence. En fait, elle avait presque envie de fondre en larmes maintenant qu'elle était seule face à la frise de photo. Elle aurait voulu voir Wesley comme son cousin, son frère, sa famille. Elle aurait voulu pouvoir lui raconter ses premières aventures amoureuses et lui demander conseil sur les garçons. Elle aurait voulu pouvoir lui sauter dans les bras en pleurant quand elle s'était fait salement larguer et le voir partir régler son compte au mec qui lui aurait fait ça. Elle aurait vraiment, tellement aimé que tout se passe normalement, qu'elle l'aime comme un frère et qu'ils soient heureux. Elle aurait même apprécié de vulgaires disputes. Ça pouvait sembler naturel mais ses éternelles piques envers Wesley l'épuisaient. Elle était fatiguée de se cacher en permanence. Et lui, qu'en aurait-il pensé ? Il aurait sans doute été profondément écœuré par tout ça et leur mésentente serait devenue une peur bleue.

« Wesley, ouvre cette porte ! Parle-nous, qu'on sache enfin ce qu'il y a ! » Anna laissa échapper un reniflement empli de larmes qu'elle retenait de tout son cœur. Les deux sœurs s'acharnaient dans le couloir, elle pleurait devant la frise. « Tant pis, on rentre, on veut savoir ce qu'il y a ! » Anna entendit sa mère et sa tante ouvrir la porte de la chambre de Wesley et, mue par la curiosité, elle se glissa silencieusement dans le couloir, l'oreille aux aguets. Ses propre démons lui emplissaient la tête mais elle était curieuse de savoir ce que Wesley avait à dire de plus important que cette frise.

Quand il entendit sa mère et sa tenta rentrer, sa colère ne fit qu'augmenter. Oh bon sang, les dernières personnes qu'il avait envie de voir, c'était bien elles. En plus, il avait le droit au duo. Génial. Il sentit une main se poser sur son front et se contenter rehausser les épaules. Sa mère lui caressa les cheveux longuement, lui demandant à nouveaux les raisons de sa crise soudaine. Les raisons ? Oh, elle tenait vraiment à les connaître ses raisons . Il se dégouttait lui même, voilà tout. Il se dégouttait littéralement et cela, sa mère n'avait pas à le savoir. Elle ne devait jamais savoir.

- Je... Trop de pression ces derniers temps à la colonie. J'ai juste pété un plomb pour rien. Un capture l’étendard à mal tourné, on a eu des blessés je... Je veux parler à Anna.

Aller hop, parler de leur activités de demi-dieux lui permettrait de mettre une barrière entre lui, sa mère, sa tante. Elles ne pourraient jamais réellement comprendre tout ce qu'ils vivaient là bas. Sa mère soupira et se leva de son lit.

- Je vais la cherche, mai s'il te plaît, sois gentil, ne t'emporte pas envers ta cousine, elle ne t'a rien fait, d'accord ?
- Oui.

Il n'avait pas l'intention de la faire passer par la fenêtre non plus... mais il avait le sentiment qu'elle comprendrait mieux, ou du moins, qu'elle était la seule personne ici présent à qui il pouvait se confier une bonne fois pour toute. Il devait s'enlever ce poids des épaules. Ou du moins, une petite partie. La porte de sa chambre se referma une nouvelle fois et il entendit les voix de sa mère, sa tante et Anna dans la cuisine. Et la porte de sa chambre s'ouvrit à nouveau. Il s'était redressé sur son lit. Prendre son courage à deux mains, et tout dire, d'une seule traite. Le fils d'Hermès s'en mordait les doigts d'avance.

- Faut que je te dise un truc Anna. Pour une fois, c'pas méchant, je promet. C'est juste que, je pouvais pas le dire à ma mère, ni à la tienne, d'ailleurs.

Il lâcha un soupire, l'invitant d'un signe de la main à s'avancer un peu vers lui. Comment formuler ça de manière plus ou moins correct ? C'était juste deux mots. Deux petits mots, simple comme bonjour. Mais c'était sans nul doute la phrase la plus compliqué à sortir. Surtout envers elle. Surtout Anna. La Anna qu'il aimait terroriser, qu'il aimait embêter à longueur de journée, celle à qui il aimait pourrir la vie quoi. Sans un mot, il la prit dans ses bras et la serra doucement. Rien dire était tellement plus simple. Ce genre d'interaction entre eux était tellement rare qu'il se surprit lui même de ne plus la lâcher.

- Je t'apprécie, tu le sais, ça, Anna ?

Bon sang. Il n'allait jamais réussir à les lâcher, ces deux pitoyables mots.

Anna attendait déjà dans le couloir quand sa mère et sa tante émergèrent de la chambre de son cousin. Elle avait tout entendu et elle mima la surprise d'être ainsi invitée à entrer par son cousin et demi-frère. « Oh alors comme ça Wes la fesse veut me voir ? C'est bien la première fois dans toute notre vie… Vous êtes bien sûres qu'il ne va pas passer sa colère sur moi, se défouler sur ma pauvre petite personne ou me découper en rondelles ? Je tiens à ma vie, voyez-vous, et j'aimerais qu'elle se prolonge encore un peu. C'est beaucoup demander pour un demi-dieu, je sais bien, mais qu... » « Anna ! » Anna s'interrompit avec difficulté. Quand elle vivait mal une situation, elle avait besoin de beaucoup parler, d'évacuer la pression d'une façon ou d'une autre. Parfois ça passait par la brusquerie, en s'entraînant un peu trop, en cognant fort, d'autres fois c'était par la parole. Et aujourd'hui, c'était la seconde option qui l'emportait. Elle sentit sa mère juste à côté d'elle qui lui passait une main douce dans le dos. « Chérie, je ne sais pas ce qu'il s'est passé à la Colonie mais essayez d'être gentils l'un envers l'autre, vous en avez besoin je crois. » Oh Maman, si seulement elle savait… Mais non, il ne valait mieux pas. Comment sa mère et sa tante l'auraient-elles regardé si elles savaient le fond de ses pensées ? Si elle savait les sentiments qui l'habitaient réellement ? Anna préférait rester dans l'ignorance par rapport à tout ça. Elle avait déjà bien du mal à se comprendre elle-même, pire, à admettre ses émotions, sans en plus aller les partager au plus grand nombre. Moins sa tante et sa mère en savaient, et mieux c'était pour elles, pour elle aussi. Quant à Wesley… Le silence d'Anna commençait à lui peser : elle voulait se libérer de ce fardeau, de tous ces secrets, mais s'il la rejetait… Non, ce serait pire. Elle ne pourrait pas vivre avec une telle honte, la fille d'Hermès en était certaine. Si Wesley se fermait à elle, c'était la fin d'Anna Echols. Devant cette certitude, la sang-mêlée se sentit presque mieux. « Promis Maman. » Des promesses, Anna en faisait beaucoup mais cette fois-ci… elle allait aussi la tenir.

Anna poussa doucement la porte de la chambre de Wesley et s'installa presque timidement sur un bout de son lit, se cachant à moitié derrière ses cheveux. Son cœur battait la chamade sans qu'elle sache vraiment pourquoi. Pourquoi était-elle gênée maintenant ? Un quart d'heure auparavant, ils s'envoyaient des piques comme d'habitude et maintenant ils se comportaient tous les deux comme deux amants timides, deux adolescents en colonie de vacances prêts à sortir ensemble. Cette idée la terrorisa un peu plus et elle retint sa respiration. Ok Anna, ne pas paniquer, ne pas partir en courant… Comment Wesley pourrait-il être au courant de ses pensées les plus intimes ? Il ne le pouvait pas, voilà, c'était aussi simple que cela. Elle pouvait bien imaginer ce qu'elle voulait, inventer des phrases et des scènes dans son esprit, Wesley Lincoln n'en saurait jamais rien. Pourtant, aux paroles du fils d'Hermès, son coeur sembla de décrocher dans sa poitrine. Quelque chose ne tournait pas rond aujourd'hui : ils tenaient l'un à l'autre, ça la jeune fille le savait et n'en doutait absolument pas, mais il ne lui avait pas parlé avec cette gentillesse et cette timidité depuis… très longtemps. Si tant est qu'il lui ait un jour parlé de cette façon. Vraiment gênée cette fois-ci, Anna se leva et esquissa quelques pas timides dans la chambre avant de se détourner légèrement du garçon. Wesley la serra dans ses bras et elle lutta pour ne pas se dégager avec horreur. Avait-il finalement vraiment lu dans ses pensées ? Était-ce un pouvoir qu'il avait hérité d'Hermès et qu'elle ignorait ? La mettait-il au défi de dévoiler ses sentiments les plus intimes ? Les mots suivants lui firent monter le rouge au joues (événement exceptionnel pour Anna, notamment devant Wesley). « Hum oui, moi aussi je t'apprécie beaucoup, Wesley. » Elle ressentait tant en ce moment… pourtant ses paroles semblèrent creuses, fausses, forcées. Cela accentua encore sa gêne et la rougeur de ses joues. « Enfin je veux dire que je t'apprécie vraiment, peut-être un peu trop et... » Parfois, parler, prononcer certains mots, était l'action la plus difficile à faire. Anna puisa dans ses réserves bien maigres de courage. « Et peut-être un peu trop. Enfin… si tu vois ce que je veux dire. » Bien sûr que non il ne voyait pas ! Comment son cousin, son demi-frère, pouvait-il comprendre ce qu'elle essayait de lui dire ? C'était tellement contre-nature. Au mieux il l'enverrait bouler, sinon il la prendrait pour une folle. Une dégénérée. Ce qu'elle était sans doute au bout du compte. Quelle fille irait aimer d'amour son demi-frère et cousin ? Aucune. Aucune de sensée en tout cas. Cela arrivait parfois… dans les séries. L'exemple de Cersei et Jaime Lannister lui vint en tête. Bon sang, était-elle comme ces deux personnages de série complètement dérangés ? Non, pas exactement, car ça impliquerait que ses sentiments étaient réciproques et ça, ça ne serait jamais le cas. C'était bien la seule chose dont Anna était d'ailleurs certaine. « Enfin je… Non, oublie ce que j'ai dit, je… je ne le pensais pas. » Là ça fleurait bon le mensonge et même Wesley devait s'en rendre compte. Anna se cacha le visage dans ses mains, incapable de supporter le regard du jeune homme. Elle allait le dégoûter.

Il allait se prendre le plus gros vent (et râteau?) de l'univers. Avec une beigne en prime. Du moins, c'est ce qu'il pensait. Car avec sa douce et délicate cousine, il s'attendait rarement à autre chose que des frappes violentes m(ais pas méchante au fond) et des remarques pas cool. Au lieu de ça... Non. Non, elle ne s'emporta pas comme une furie, elle ne claqua pas la porte, ne lâcha même pas une seule insulte à son égard. Étonné, oui, il l'était. Ce n'était pas vraiment la Anna dont il avait l'habitude. Anna parlait, et plus elle parlait, plus il se sentait étrangement léger. Oui, c'était le mot, léger. Parce qu'au fond, il sentait qu'elle brûlait d'envie de lui avouer la même chose que lui. D'un côté il n'en revenait pas. Et puis d'un autre... Non, il n'y avait pas d'autre côté. Il avait juste du mal à croire ce qui était en train de se dérouler ici même. Ils n'avaient pas franchement l'habitude de se complimenter tous les deux, alors se dire de telles choses ? Il se leva, un faible sourire du le visage.

- Vraiment, tu ne le pensais pas ?

Elle mentais. C'était son don, de pouvoir détecter le mensonges chez les autres. Et même sans lui, il avait deviné tout seul comme un grand. Leurs mères devaient êtres repartis dans la salle à manger le temps, il n'entendait plus leur discussion derrière la porte.

- Parce que moi je t'aime et je le pense Anna.

Le courage qu'il lui avait fallu pour aligner ses mots était énorme. Digne de l'effort le plus compliqué à accomplir. Il n'était pas particulièrement secret et réservé, il avait déjà eu des copines par le passé, il n'avait juste jamais été vraiment amoureux. Et si c'était ça, ce qu'il ressentait en ce moment même pour la jeune femme alors c'était... Particulier. Il devait bien l'avouer. Il n'avait pas vraiment honte. Son père était un dieux, il avait des dizaines et des dizaines de frères et sœur à travers le monde, beaucoup avait déjà fréquenté leurs cousins/cousines du côté divin, en quoi cela serait-il différent pour lui ? Il lui attrapa les mains, tremblant légèrement.

- Hé. Te caches pas.

Il avait envie de la prendre dans ses bras, de la consoler comme il lui était arrivé de le faire quelques rares fois par le passé. Pourquoi est-ce que tout était si difficile dans la vie d'un demi-dieu ? Même ça ? Ils ne pouvaient donc rien faire normalement, comme tout le monde ? Le silence était pesant, gênant, il se demandait encore combien de temps il tiendrait avant que sa mère sache. Avant que sa tante sache. Longtemps sans doute, il était doué pour mentir, mener une double vie. Elles ne devaient pas savoir. Après tout, elles seraient sans nul doute horrifiées par la nouvelle, ou pire. Il ne voulait pas qu'on l’empêche de voir Anna, de la fréquenter. Il était sûr d'une chose à présent, il ne voulait plus jamais être loin d'elle.