Tranquillement roulée en boule dans son lit, Jade profitait qu'elle ne soit pas Sentinelle pour plusieurs jours pour dormir en mode marmotte tous les matins. Mais après trois jours à faire la grasse matinée, le rythme pris fut contrarié ; tôt - trop tôt selon la Sentinelle - quelqu'un toqua à la porte du bungalow, la sortant des bras de Morphée.

Grommelant, elle quitta son lit, s'enroula dans une couverture et se dirigea vers la porte :

Ça va, ça va, j'arrive !

Lorsqu'elle l'ouvrit, son visage s'illumina en voyant qui avait toqué : Tony Schaeffer, fils de Niké muet qui était colistier d'Hermès. Souriante, elle lui lança :

Salut Tony ! J'espère que t'as une bonne raison de venir me réveiller si tôt, j'suis pas de garde pour un moment... Puisque t'es là, autant aller petit déjeuner au passage.

Elle s'empressa de mettre une paire de claquettes à ses pieds avant de sortir pour se mettre à hauteur de Tony ; elle était curieuse de savoir ce qu'il fichait là...

Le trajet jusqu'au réfectoire se fit en silence, Jade n'étant pas assez réveillée pour avoir les idées suffisamment claires. Avec un petit déjeuner consistant, ça irait mieux. C'est donc en traînant les pieds qu'elle parvint jusqu'à la table des Hermès, où elle s'installa avec Tony.

Si elle parvenait à lire, en règle générale, difficilement sur les lèvres de son ami muet, là ce n'était même pas la peine d'essayer, tant qu'elle n'aurait pas bu son chocolat et son jus d'orange quotidiens. Tony dut avoir pitié d'elle, puisqu'il utilisa un modulateur de voix qui donnait l'impression qu'il parlait avec un accent robotique :

Bon, ça va pas te plaire, ou je sais pas en fait...

Une nymphe arriva sur ces entrefaites, déposant deux assiettes et deux verres devant eux avant de s'en aller avec légèreté. Une nymphe des vents, sans doute... Pendant que Tony penchait pour du bacon avec des œufs et un verre de lait, Jade se choisit un bol de chocolat au lait avec des cornflakes et un verre de jus de fruits, qui apparurent instantanément. Elle commença à manger ; presque aussitôt elle sentit son cerveau se remettre en marche, pour exagérer, elle pourrait enfin se concentrer sur ce que lui disait son ami :

Dis toujours, ça peut pas être pire que ce que je sais déjà.

Une brève allusion à la Résistance, qu'elle effaça d'un mouvement de tête en attendant une réponse du colistier.

L'explication du pourquoi le réveil matinal ne tarda pas tant que ça :

Et bien, en fait, je suis pas vraiment ce que tu penses. Vous pensez tous que je suis Anthony Schaeffer, cousin du mec qui t'as... Bref, je suis pas vraiment lui, avant de continuer, je voudrais que tu me promettes de garder mon secret.

Jade fronça les sourcils, mais hocha la tête pour lui signifier qu'elle ne dirait rien. Et de fait, tous les secrets qu'on lui avait confiés, jamais elle ne les avait trahis. Il reprit :

arce que c'est très dur à croire, mais vu que le bizarre fait partie du quotidien, ça doit sembler normal, bref, je m'égare ! ... Je suis né dans les années 1920, je te rassure, je ne suis ni un dieu, ni une créature ! Mon véritable prénom, c'est Carter et je suis l’ancêtre des Schaeffer, je veux dire... Je suis un oncle, l'ancêtre, c'est ma sœur jumelle...

Houlà. Jade posa son verre de jus d'orange et se pinça l'arête du nez, sentant la migraine pointer devant le fouillis des explications de... Tony, Carter ? Comment devait-elle l'appeler désormais ? Et comment pouvait-il avoir survécu aussi longtemps en gardant l'apparence d'un jeune homme ? Posant son regard sur le colistier, elle souffla :

Attends, on va reprendre tranquillement. Tu ne t'appelles pas Tony mais Carter, tu es né dans les années 1920 et tu es un ancêtre de celui qui m'a volé ma mémoire, c'est bien ça ? Alors autant, bon, que tu ne m'aies pas donné ton vrai prénom, peu m'importe, mais ton histoire... Le fait que tu sois passé des années 1920 à aujourd'hui sans prendre une ride est presque flippant... Comment t'as fait ?

Je dois admettre que tu as tout à fait raison. C'est totalement bizarre et tout ! Mais moi-même, je ne sais pas vraiment comment ça s'est passé, je veux dire... J'étais dans les années 1940 et puis je suis arrivé en 2016...

Holà. Ça sentait une explication des plus foireuses ou des plus inquiétantes. Jade lui fit signe de continuer, s'accrochant pour pouvoir digérer le reste de la révélation de Carter, qui ne tarda pas :

J'avais été invité à une soirée et avec des amis, on est entré dans un casino, le casino "Le Lotus" si je me souviens bien et puis dès que j'en suis sorti pour prendre l'air tout avait changé... Bref, c'est de la magie ou je ne sais pas quoi, mais quoiqu'il en soit, me voilà !

Déjà que Jade n'avait pas spécialement la peau colorée de base, après pas mal de temps passé à l'intérieur, sans oser prendre le soleil pendant sa convalescence, à l'annonce du Casino Lotus, elle pâlit littéralement :

Le Casino Lotus ?! Personne n'en sort sans en être guidé par les dieux !! C'est un excellent endroit pour se cacher si on est poursuivi, mais tu n'en sors jamais... Tu es normalement condamné à y rester pour l'éternité !! C'est un miracle si tu as pu en sortir plus ou moins par hasard...

Elle se cala dans le fond de son fauteuil, se pinçant l'arête du nez en respirant profondément ; il lui faudrait du temps pour digérer cette information...

Euh... C'est un truc étrange ce que tu me racontes là... Faudra que tu me donnes plus d'explications ! Quand je suis sortie, un peu avant, j'ai vu une petite fille me dire de la suivre et puis j'avais comme des sortes de voix dans ma tête... Mais c'était Bizarre, il y avait, j'avais comme une très désagréable impression de mal-être et puis, j'avais envie de sortir, mais en même temps, je voulais rester... C'est étrange...

Jade hocha la tête en poussant un soupir ; les dieux étaient bien intervenus pour sortir Carter de ce piège indolore qu'était le Casino Lotus, il avait eu de la chance cette fois-ci. Et cette impression de mal-être dont il parlait, c'était l'un des symptômes que l'on pouvait ressentir après avoir passé du temps là-bas. Encore heureux qu'elle n'y ait pas encore mis les pieds, elle n'était pas prête de vouloir y aller, pour tout l'or du monde...

Elle sourit lorsque Carter lui lança :

Ah... J'ai des colis à livrer, va falloir que j'y aille, j'essaierais de t'expliquer en détail un peu plus tard.

Je t'attends de pied ferme, Tony. T'as intérêt à être convaincant, répliqua Jade en le laissant partir.

Une fois qu'il se fut éloigné, la jeune femme fixa la table, pensive ; il était en effet temps de connaître la vérité sur Carter, et pas qu'une simple synthèse...