Rentrons à la maison

Sora et Cyril

Je m'avance vers la porte, guère rassurée. Je sais que je peux tout lui demander, même la Lune si je voulais. Seulement, cette requête me pose un problème, ma conscience n'est pas en paix. Je déglutis difficilement et toque doucement à la porte, une boule se forme dans mon estomac, j'ai l'impression d'avoir du plomb à la place de mes organes. J'arrête les tremblements de mes membres, ou du moins, j'essaie de toute mes forces. J'espère qu'il est seul, et surtout qu'il voudra bien accepter, ce qui est bien sûr, une autre histoire.

J'ouvre la porte et entre dans la pièce: il est seul et travaille à son bureau, comme toujours, l'air sérieux, imperturbable. Je le regarde, émerveillée, je suppose que les enfants doivent le même regard envers leur père, je sais pas, je déteste mon géniteur, ce n'est qu'un lâche, je souffre d'être sa fille. On s'était moquée de moi en disant que c'était la nature même des dieux de fuir les problèmes et de demander aux héros de faire le job. Pour moi, il n'y a pas que ça, les dieux sont au pouvoirs depuis si longtemps qu'ils ont oublié ce qu'était gouverner, il faut un nouvel ordre mondial, un ordre où la justice primera sur la puissance. Du moins, c'est mon plus grand espoir.

Je m'avance et je m'arrête au centre de la pièce, immobile comme une statue, les mains dans mon dos. Il lève son regard sur moi, je me sens rassurée, je ne ressens aucune peur quand je suis avec Cyril. La seule chose qui m'effraie, c'est de ne pas être à la hauteur de ses espérances. Ce que je ne laisserai jamais ce produire. Je me racle la gorge mal à l'aise:

"Pap ... je veux dire Cyril, je ... heu voudrais que tu m'emmènes quelque part, enfin si tu ne veux pas, ce n'est pas grave. Je voudrais retourner en Floride, dans la maison de ma mère. J'ai la certitude que j'ai des objets utiles à y prendre. Et puis, ça pourrait faire une bonne planque si on veut s'entraîner à pleine puissance ..."

Je sais que je ne dois pas l'appeler Papa, je le considère comme tel mais je ne dois pas le dire, il sait ce qu'il représente pour moi. Par camp d'entraînement, j'entends un endroit où on pourra utiliser notre magie à fond, sans risque de craindre de détruire les choses. Je me demande dans quel état est ma maison maintenant.

Et puis, je voudrais retourner à la maison où j'étais avec Maman, je veux rentrer à la maison, ça fait 5 ans que la bâtisse attend mon retour. Oui, dis oui Papa.

Rentrons à la maison-Floride

Sora et Cyril

Il sourit, je sais déjà que sa réponse est oui. Je souris de plus belle, la peur de l'embêter s'envole, je suis heureuse.

Normalement, tu aurais dû y songer avant de venir ici... Mais soit, le soleil de Floride ne peut que me faire du bien. Si tu es prête, nous partons sur l'heure.

Je me retiens de l'enlacer et de dire qu'il est le meilleur homme du monde et le couvrir d'éloges mais il sait déjà à quoi je pense, il sait déjà ce que je vais dire, mais qu'importe, je le dis quand même.

"Merci, Papa. On part dans 10 minutes dans ce cas, je sais que tu as horreur d'attendre, surtout quand il s'agit de prendre des vacances, d'ailleurs, on a le droit à des congés payés quand on est Résistant ?"

Je finis sur cette note d'humour avant de m'éclipser, Papa est crevé, il a des cernes et il a le teint blafard, un mort aurait meilleur mine que lui, c'est dire dans quel état il est. Je quitte la pièce et me dirige vers mon dortoir, je prends mon sac, il y a déjà tout dedans, j'ai tellement l'habitude de partir en excursion, ça doit être ça. Je ressors aussi vite que je suis rentrée, je traverse les couloirs comme une ombre joyeuse. L'idée de partir en vacance me plaît, même si ce n'est pas vraiment le cas, je vais rentrer à la maison, enfin ! Je sautille comme une enfant de 5 ans qui va avoir le dernier jouet à la mode.

Je m'adosse à l'une des voitures qu'on possède, j'attends environ 2 minutes, Cyril est quelqu'un d'assez ponctuel, ça doit être le fait d'être le bras droit de l'Organisation, il se doit de montrer l'exemple. Il a un petit sac, comme si on partait en Week-End. Je lui sourit de toute mes dents.

"Alors, on prend quelle voiture ? La belle bagnole ou un tacot qui va rendre l'âme, et si tu veux, je peux conduire, j'ai eu mon permis y a pas longtemps."

On allait passer un peu de temps tous les deux en dehors du cadre du QG, je suis sûre que ça allait nous rapprocher, après tout, on avait quelques heures de route avant d'arriver à destination.

Rentrons à la maison

Sora et Cyril

J'ai un bon compromis : mon ancienne voiture de fonction, qu'ils ont eu la gentillesse de me laisser à condition que je la customise. J'ai enlevé l'essentiel de son ancienne vie, mais elle roule très bien, pas sexy mais suffisante à mon goût. Et on échangera à mi-temps, d'accord ?


Je lui souris, je prends le premier temps, sinon, on est le matin et quand Cyril va prendre son tour, il fera tellement chaud que conduire sera un calvaire, je lui laisse ce soin, d'après mes calculs, on sera chez moi vers 16 heures au plus tard. Je commence à appréhender, et si la maison est occupée par d'autres personnes ? Non, je suis sûre qu'à l'heure qu'il est, elle doit être en bonne état, vide à m'attendre, comme un vaillant compagnon. J'ai hâte de retrouver ma chambre avec toute la déco qu'il y a à l'intérieur. Je tapote avec mes doigts le volant, j'ai tellement hâte et en même temps si peur, une boule d'angoisse commence à se former dans mon estomac. Pourtant, je ne paraît rien, à quoi bon ? Si je fais part de mes inquiétudes à Cyril, il me dirait de rebrousser chemin. De rentrer à la maison, au QG. Seulement, le QG n'est pas ma maison, c'est une cache, un repère mais sûrement pas une maison.

Le QG n'est pas chaleureux, pas accueillant, il est juste froid, les murs suintent de rancune, ce n'est pas un foyer, où sinon, un drôle de foyer où le seul feu qui brûle est celui d'une haine incommensurable. Pourtant, je m'y plaît bien, il n'y a pas de faux-semblant, on sait ce que tout le monde pense, si quelqu'un est contre quelque chose, tout le monde le sait. C'est une des règles. Je suppose qu'entre meurtriers, la sincérité est de mise, il ne nous reste que ça après tout.

Les kilomètres défilent, je suis tellement concentrée sur la route que je ne prends aucune pause, je veux arriver le plus vite possible, je ne supporte plus d'être dans cette voiture. Sauf qu'à un moment, je dois m'arrêter, ma vessie a atteint ses limites et devenir incontinente est la dernière chose que j'ai envie de devenir.

Je m'arrête sur une aire d'autoroute, la chaleur commence à devenir étouffante, ça me fait un bien fou, j'avais oublié à quelle point j'aimais la chaleur, les lieux humides m'ont rendu aigrie. J'ai l'impression que mon ancienne personnalité refait surface: insouciante et joyeuse en permanence. Rien à voir avec ce que je suis devenue. Je regarde Cyril et lui lance les clés.

"A toi de conduire, on y est presque."

Je ne tiens plus en place.

Rentrons à la maison

Sora et Cyril

Je ronge mon frein, on y est presque, plus que quelques minutes et je pourrai marcher dans mon jardin, je pianote un clavier invisible, je regarde partout, nous arrivons dans un coin reculé du quartier, ma mère consciente du potentiel danger qui pouvait régner, avait préféré me mettre à l'écart, pour mon bien ou celui des autres habitants ? J'ai choisi la première option, d'ailleurs, pourquoi m'élever aussi près de mortels ? Elle voulait peut-être couvrir mon odeur, pourtant, mon odeur n'est pas très forte ...

A moins que je me trompe, il y avait autre chose que j'ignorais, un truc que ma mère m'a toujours caché, une face sombre cachée derrière un éternel sourire. Pour la première fois de ma vie, je me mets à douter sur les actes de ma mère, pourquoi ne m'avoir rien dit sur ce que j'étais ? Elle n'était pas le genre de personne à cacher la vérité, aussi terrible soit-elle.

Je guide Cyril dans le méandre de rues, et enfin on s'arrête devant une allée pierreuse que je connais que trop bien, je bondis en dehors de la maison, la boîte au lettre est au nom de ma mère- Yukiko Tenryyu. Attendez, ça fait 5 ans que nous n'habitons plus la maison, elle aurait dû être vendu. Une idée folle me traverse l'esprit, et si elle était en vie ? Et si elle avait survécu à l'attaque du monstre il y a 5 ans ? J'ouvre le portillon et m'engage sur le chemin, les arbres cachent la maison, plus je m'avance, plus elle sort de l'ombre des arbres: une maison à un étage, blanche, avec des angles en pierre, d'immenses vitres pour laisser passer la lumière et surtout, elle semblait entretenu, le jardin était impeccable, aucune mauvais herbes étaient visibles, des parterres de fleurs entretenus eux aussi, il y a un piège, ce n'est pas possible. Seulement j'en fais fie, tout ce que je veux, c'est savoir si Maman est toujours là, j'ignore Cyril.

Plus j'avance et plus ces années de souffrances que j'ai enduré dans l'ombre s'efface, le deuil que j'avais dû porter pour Maman et Pandore, j'avais retrouvé ma soeur alors pourquoi pas ma mère ? La désillusion à propos des dieux, moi qui espérait avoir enfin une parole de mon père. Les entraînements terrible de la Résistance qui m'avait causé autant de souffrances morales que physiques, mes peines de coeur à cause des garçons. Tout cela s'efface, laissant place à un immense bonheur, presque euphorique. L'adolescente sinistre laisse place enfin à une jeune femme heureuse.

J'ouvre la porte et je ne sais qu'une chose, quand on est la fille du Vent, la chute est beaucoup plus longue et l'atterrissage tellement plus douloureuse. C'était le chapitre final de ma descente aux enfers: la destruction pure et totale de mes espoirs.

Rentrons à la maison

Sora et Cyril

"Tout va bien, rien à signaler."

Je me retourne vers Cyril, le regard perdu dans le vide, je ne comprends pas, je ne comprends pas pourquoi ma maison abandonnée est en si bonne état, comme si les habitants l'avaient quittée avant qu'on arrive. C'est quoi ? Un squat ? Un repère de monstre ? Une illusion ? Un tas de questions se bousculent dans ma tête sans interruption, me causant une affreuse migraine, tel un marteau-piqueur s'amusant à me fracasser mon front de l'intérieur.

"Sora. Regarde-moi. Tu ne dois pas te laisser aller à la tristesse. Tu attendais sûrement quelqu'un, mais depuis quand ne l'as-tu pas vu ? Il faut savoir faire son deuil quand cela est nécessaire, s'accrocher à un espoir vain n'est jamais bon pour la suite..."

Je regarde Cyril, ravalant ma déception, serrant mes poings pour ne pas trahir une quelconque faiblesse, je garde mon masque, essayant d'être impassible, ô Dieu, que c'est dur !

"J'ai cru un instant, une petit instant que ma mère était en vie. J'ai cru qu'elle n'était pas morte, pendant un instant j'ai voulu la serrer dans mes bras, j'aurai voulu redevenir une enfant qu'on cajole. "

Il pose ses mains sur mes épaules, m'obligeant à le regarder dans les yeux.

"Ferme les yeux et tourne la page, maintenant. Qui que soit cette personne que tu attendais, il y a peu de chances que tu la retrouves, à moins d'un miracle. Ne ruine pas la vie qui est devant toi en espérant vainement, passe à autre chose, prends-toi en main. La fleur qui s'épanouit dans l'adversité est la plus rare et la plus belle de toutes, ne l'oublie pas. La vie est parsemée d'embûches, à toi de les franchir avec force et courage."

"Cyril, je crois que si je voulais revenir ici, c'était pour essayer de retrouver une vie normale, sans monstres. Je crois que c'est ce deuil là que je veux faire. L'idée de vivre dans la peur des monstres me terrifie, je ne dors plus, je suis terrifiée. J'aimerais vraiment retrouver une vie simple, celle que les dieux m'ont volée."

Je lui souris timidement, j'ai du mal à me dire que je dois continuer à avancer, je voudrais rester une petite fille, la vie d'adulte est terrifiante et angoissante, je voudrais être comme les filles de mon âge, insouciantes, ayant pour seul problème que celui d'avoir un petit-ami. Moi, mon problème c'est de survivre au jour le jour, traquée par tous, par des forces qui me dominent, que j'aurais beau combattre aussi longtemps que je peux, je serais toujours la plus faible. Je me détourne de Cyril et je regarde le salon dans lequel je jouais autrefois.

"Cyril, tu m'autorises 5 minutes, j'aimerais aller dans ma chambre, je voudrais lui adieu, j'ai pas eu le temps de le faire il y a 5 ans, il est temps que je prenne un nouveau départ, et j'aimerais le prendre ici, sans peur, je voudrais qu'en sortant d'ici, je sois une nouvelle personne."

Je monte 3 marches et je me retourne vers Cyril:

"Au fait, pas mal cette référence à Mulan, j'ignorais que tu aimais les Disney. Moi personnellement, j'aime bien Raiponce. Si tu veux, on se loue des DVD !"

Je continue à monter les marches, une à une. Je m'arrête devant ma porte de chambre, quelque chose ne tourne pas rond ici, il y a quelque chose qui me gêne mais je n'arrive pas à mettre le doigt dessus. Je soupire, je dois me faire des idées encore, comme pour ma mère.

"Un peu de courage, même si il y a un truc qui cloche, tu ne va pas laisser le Destin te tomber dessus."

Je prends une de mes épées, sans peur, je veux devenir vaillante, plus une petite fille.

Rentrons à la maison

Sora et Cyril

Rien.

Il n'y a rien d'anormal dans ma chambre, hormis le fait qu'il n'y ait aucun gramme de poussière et que ça sent le propre, je commence à soupçonner les esprits de veiller sur la demeure, je ne vois que ça, et ça explique mon malaise, je ne comprends pas, ou peut-être est-ce un effet de la Brume ? Peut-être la maison est dans un état lamentable et ma partie mortelle croit en ce que lui montre l'entité magique. J'avance quand même prudemment dans la pièce aux tons crème, je  ne l'avais pas rangé la dernière fois que je suis venue, mes anciens jouets traînent ici et là dans un joyeux désordre. Je m'assois sur mon petit lit songeuse, je ne me sens plus vraiment chez moi ici. Mon regard se pose sur chaque élément de la pièce: armoire, peluches, bureau encombré de je ne sais quoi. Je me demande combien de temps je reste comme ça. Je passe machinalement sous l'édredon et en retire un minuscule objet: une poupée. Ma poupée, mon doudou qui m'aidait autrefois à m'endormir est intacte. Je me souviens que je l'emmenais partout avant, je me demande pourquoi je ne l'ai pas prise. Je la serre contre moi.

Je me lève et attrape mon ancien ordinateur portable ainsi que celui de ma mère, je suis sûre que je pourrais en tirer quelque chose qui m'a échappée autrefois, ma mère me cachait quelque chose, j'en suis sûre,mais je ne tiens pas à l'apprendre ici, je veux encore considérer cet endroit comme un sanctuaire. Je rejoins Cyril, les bras quelques peu chargés et lui adresse un sourire en coin:

"Eh bien, je peux dire qu'on peut utiliser ma maison comme base arrière, y a un sous-sol où on pourra entreposer les armes et puis, le cadre est idyllique, tu ne trouves pas ?"

Je reste songeuse quelques instant avant d'ajouter:

"Il y a quelque chose de bizarre ici, non ?"