Parce que nous avons les mêmes valeurs

8 ans dans le passé à la Colonie des Sang-Mêlés.

Maman vient de mourir, sans que je comprenne comment, elle voulait que j'aille dans ce drôle d'endroit. Je ne comprends pas pourquoi je suis ici, je veux rentrer à la maison, mais on m'a fait comprendre que plus jamais, je ne pourrais jamais y retourner. Plus jamais.

Du coup, je me suis murée dans un silence, morne et long. Je ne comprends pas pourquoi je dois être ici, j'ai des grands-parents au Japon, à Tokyo. J'y suis allée tellement de fois que je parle le japonais couramment. Mes grands-parents ont toujours harcelé ma mère pour savoir quand nous viendrons vivre avec eux de manière définitive. Moi j'aimerais bien, comme ça, on arrêtera de me se moquer de moi à cause de mon apparence, j'aimerais bien avoir les cheveux blonds, c'est très beau, on a l'impression que ce sont des fils d'or qui ondulent au gré du vent.

Je resserre mes genoux contre ma poitrine, le vent ... ? Ne suis-je donc pas sa fille au vent ? Eole ... Eolu ? Tu parles d'un père ! Un parfait inconnu et en plus, maintenant, je dois me battre pour son compte ? Après tout, c'est important de défendre l'honneur de sa famille. N'est-ce point là la chose la plus importante pour un japonais ? L'honneur. Je comprends mieux mon nom: Sora, le ciel. Maman savait qui été Papa, elle n'a jamais cessé de l'honorer en m'appelant ainsi.

Je souris, Sora Tenryu (PS: Sora s'est mariée, son nom de jeune fille est Tenryu) Le dragon céleste dans les cieux ... ? Je m'en fiche, je veux retourner chez moi, si je ne parle plus anglais, peut-être que les gens d'ici me laisseront partir ? Je ne veux pas qu'on me traite de sorcière, si je reste ici, je vais développer mes pouvoirs et après, ce sera catastrophique ! On me jettera aux flammes.

Que dois-je faire ? Je veux partir, je veux aller dans mon pays, je ne veux pas rester ici. Que quelqu'un vienne me chercher, je ne veux absolument pas rester  ici, je déteste cette prison dorée.

Parce que nous avons les mêmes valeurs

J'entends une voix, une voix qui chante, pas de l'anglais, non, ma langue. Je le reconnais. Elle est douce, sensible, je reconnais des comptines que me chante grand-mère quand je viens la voir. Il y a quelqu'un comme moi ici ? Je ne suis finalement pas toute seule ? Les dieux ont entendu ma prière ? Je ne suis vraiment plus seule, vraiment ? Je retiens les sanglots dans ma gorge, je veux être une grande fille, je ne dois pas pleurer. Mais est-ce vraiment quelqu'un, ce n'est pas juste le fruit de mon imagination.

Tout se bouscule en moi, vite, je dois trouver la voix. Je refuse de croire que c'est un rêve, je ne veux pas être toute seule, les gens d'ici sont comme moi mais pourtant, je reste différente d'eux physiquement, je suis plus petite et plus maigre et j'ai ces horribles yeux bridés qui ont été tellement de fois le sujet des moqueries de mes camarades. Une fois, j'étais venue à l'école avec des lentilles bleues, je les avais achetées sur Internet sans l'accord de Maman, elle aurait été déçue si je lui avait dit que j'avais en horreur mes yeux aussi noir que le charbon. Je les avais donc porté, fière d'avoir enfin des yeux couleur azur. Ils s'étaient tous moqués de moi, j'étais encore plus détonante ainsi qu'avant. En plus, à force de pleurer, j'avais choppé une conjonctivite. J'ai eu les yeux injectés de sang pendant une longue et douloureuse semaine. C'est pour ça que je voulais tant retourner chez nous, au Japon, je ne comprends pas pourquoi Maman n'a jamais voulu. Peut-être voulait-elle rester avec Papa ? Peut-être qu'elle le voyait de temps à autre, mais alors pourquoi n'est-il jamais venu me voir, je suis sa fille non ?

Je me relève, j'enlève la poussière qui est sur ma jupe et je mets en quête de la voix, elle est proche, ou c'est mes pouvoirs de vent qui porte mieux le son ou je suis juste folle. Je cherche à en perdre haleine, j'ai encore mal aux jambes suite à la course poursuite avec le monstre. J'ai mal partout en fait, j'ai des bleus et des écorchures partout. J'ai le sentiment que quelqu'un court derrière moi, je sais que c'est le fruit de mon imagination, je sens encore le souffle de la bête dans mon cou. Je me sens si démunie, j'ai si peur qu'il puisse me rattraper, même des jours après, en sachant qu'il est mort, je suis en sécurité non ? Je le suis, n'est-ce pas ?

Je l'entends plus distinctement, je cours encore plus vite, j'oublie la douleur qui commence à monter et à brûler mes entrailles, j'ai mal, tellement mal, je retiens avec peine mes larmes. Je le vois, c'est un garçon, beaucoup plus vieux que moi, il chante, encore et encore, que des chansons que je comprends. Je l'attrape enfin, sans un bruit, comme quoi, être la fille du Vent me permet d'être silencieuse, important à retenir pour l'avenir. J'attrape son tee-shirt et demande d'une voix tremblote, je parle en japonais, comme ça, personne ne peut comprendre ce que je dis à part lui.

"Dit Onii-chan, tu as un drôle d'accent, tu viens d'où ? Je suis de Tokyo moi."

C'est tout ce que j'ai trouvé pour entamer la conversation, je m'en fiche, je veux lui parler, c'est sûrement la seule personne de la Colonie qui comprend mon désarroi.

Parce que nous avons les mêmes valeurs

" Je viens de Kyoto, mon accent vient surement de là imoto. Je suis Makoto, makoto delenikas."

Il se retourne vers moi, il est vraiment plus grand que moi, du haut de mes onze ans, je n'en impose pas vraiment, même pas pas du tout en fait. Je me demande quel âge il a, près de la vingtaine je suppose, en tout cas, il est plus grand que moi et je commence à avoir mal au cou à force de le regarder. J'essaie d'articuler avant de reculer de quelques pas et de m'incliner.

"Tenryu Sora, enchantée."

Je redresse la tête, il est un peu bizarre, non, c'est moi qui est bizarre: j'ai une sale mine et je suis couverte de blessures. Je dois avoir le teint terreux, et je ne sais pas comment entamer la conversation, il attend, patiemment je dise autre chose que mon nom, je voudrais bien mais quoi dire de plus ? A part qu'on est du même pays et que j'adore sa voix. Je le regarde de manière cynique, une lueur de malice dans les yeux.

"Tu chantes à tue-tête depuis tout à l'heure, je savais que les gens de Kyoto ne pensait qu'à eux mais pas à ce point."

Je pousse un petit rire pour détendre l'atmosphère, et j'ajoute, plus timidement.

" Pourquoi tu chantes des chansons de chez nous ? Personne ne peut comprendre la beauté du texte."

Je regarde le bout de mes souliers avant de continuer.

"Tu voudrais bien chanter un peu plus ? Ca me manque de ne pas pouvoir chanter avec quelqu'un."

Parce que nous avons les mêmes valeurs

"- Le fait de chanter ce genre de chanson me détend et on est pas obligé de comprendre pour apprécier l'air. Tout le monde à une compréhension qui est sienne et apprécie les chansons d'une façon différente que la mienne."

Je hoche la tête, j'essaie de comprendre, avec beaucoup de difficultés. Il chante très bien, sa voix est si douce et j'ai l'impression que toutes mes souffrances s'effacent. Je me souviens avoir lu dans un livre à l'école, qu'avant, quand on voulait qu'une personne guérisse, il fallait lui jouer de la musique, cette dernière était capable d'accélérer la guérison du malade. J'avais trouvé ça très intéressant même si je voyais pas comment une mélodie pouvait aider à guérir. Maintenant, je vois, ça apaise l'âme et si l'âme va mieux, alors le corps va mieux, c'est ça ?

Il chante, doucement, je me sens transportée, ça me rappelle un peu les berceuses que chantait Maman, c'est doux et on s'endort paisiblement, les monstres qui sont sous mon lit ne viennent plus m'embêter et enfin, je me sens en paix. Tout la tristesse et l'incompréhension que j'ai accumulé depuis ces derniers jours s'effacent lentement, sa voix purifie mon âme. J'ai l'impression que c'est de l'eau qui nettoie les souillures.

Tout en continuant de chanter, Makoto me tend la main, pour que je l'accompagne dans sa douce litanie. Je commence donc à chanter à mon tour, ma voix est beaucoup plus fluette que la sienne, mais contrairement à lui, son timbre de voix est aussi doux que de la soie, j'ai l'impression que mon timbre est au contraire rouillé et rapeuse, il y a si longtemps que je n'ai pas chanté en même temps. Je voudrais m'arrêter mais il me sourit, m'incitant à continuer, ne pas s'arrêter, laisser l'air ambiant me guider. Et puis ma voix devient plus douce. Il fallait juste m'échauffer.

Je l'entraîne vers la forêt, en continuant de chanter, je me sens bien, si bien, j'ai l'impression d'être sur un petit nuage avant de me rendre compte que je suis bien sur un nuage, je l'ai créé par inadvertance. Je me mets à rire.

"Tu es un médecin de l'âme Onii-chan, je me sens mieux grâce à toi. Tu es un enfant d'Apollon, c'est ça ?"

Je regarde les arbres, l'air pensif.

"Les dryades aiment la musique, ça les apaise, si tu veux, un jour je pourrais demander à ma maman ouranie de faire porter ton chant par delà l'horizon, comme ça, tu pourrais guérir tout le monde."