L’amour ? Pendant très longtemps ça avait été exclu de sa vie, comme un mot interdit qui aurait rouvert les portes de l’enfer s’il avait été prononcé. Elle en avait toujours gardé un souvenir amer, associé au vieux Cadmos, synonyme d’une époque désormais révolue. Qui aurait pensé qu’elle aimerait à nouveau ? Personne, et pourtant, la vie lui avait réservé une toute autre chose.

Elle se retrouve à se préparer, à maquiller un corps qui changera d’une seconde à l’autre, à coiffer des cheveux qui n’ont pas besoin d’être coiffés. Pour la première fois elle hésite sur la façon dont elle va s’habiller, comme si l’avis des autres pouvait compter. Il n’y a que son avis à lui qui compte et c’est le plus important. Elle finit par opter pour une longue robe noire drapée, comme un clin d’œil malicieux au péplos antique, qu’elle associe avec des bijoux en or peut-être un peu trop prétentieux. Qu’importe, elle se sent belle et forte et c’est tout ce qui compte. Ses cheveux, blonds ce soir, sont ramenés derrière ses épaules et délicatement retenus par quelques broches elles aussi en or. Ce soir, elle compte bien briller.

Elle finit enfin par sortir de sa demeure olympienne, adresse un signe de mains à quelques nymphes traînant dans le coin et disparaît pour réapparaître des centaines de mètres plus bas, dans le monde des mortels. Elle a comme une petite boule au fond du ventre, un mélange de peur et d’excitation qui fait naître sur ses lèvres un sourire épanoui. Elle n’a pas besoin de marcher très longtemps pour arriver à son lieu de rendez-vous. Elle pousse lentement la porte du restaurant et, une fois à l’intérieur, prend quelques instants avant de le repérer. Elle fait quelques pas, tend son manteau de fausse fourrure à un serveur sans même lui adresser un regard avant de s’asseoir à table, face à face avec celui qui ne cesse d’occuper ses pensées.

« Bonsoir Chrys. » Dit-elle en esquissant le plus beau des sourires. « J’espère que tu n’as pas attendu très longtemps. »

Chrysaor l'insensible, le coeur de pierre. C'était comme cela que les gens avaient l'habitude de le décrire. Incapable d'aimer même sa propre femme, ignorant tout de ce sentiment si fort qui fait perdre la tête aux plus sages, le voilà qui se retrouvait avec ce nœud au ventre, et cette femme occupant ses pensées jours et nuits. Et voilà que Chrysaor arborait un sourire niais en pensant à elle, elle pour qui il ferait tout et irait jusqu'à donner sa vie. Au début il n'avait pas compris ce qui lui arrivait, s'était cru malade, lui qui pourtant ne tombe jamais malade, et avait pris peur. Mais peu à peu cela s'était imposé de soi-même à son esprit : Harmonie était la femme de sa vie. A côté d'elle toute autre paraissait insignifiante, et même Callirhoé, pour qui il éprouvait une amitié sincère et une réelle attirance, n'était plus que l'ombre de la déesse.

Chrysaor était égoïste, et par dessus tout avare, ne dépensant pour personne le moindre sou. Et ce soir-là, il avait endossé le plus beau costume qu'il avait pu trouver, un costume d'une perfection sans égale car pour elle il ne fallait rien de moins que cela, et il avait réservé dans le meilleur restaurant de New York, où l'on vous pose un petit tabouret pour votre sac à main et où même les entrées ont des entrées. Il voulait que tout soit parfait pour elle. Lorsqu'il entre dans le restaurant, en avance bien évidemment, pour ne pas faire attendre sa dame, il se permet de déloger un couple pour prendre leur table, qui semblait bien mieux chauffée et éclairée que le coin "miteux" dans lequel le serveur avait premièrement dressé sa table. Il s'assit, vérifia que tout était harmonieusement posé et qu'il ne manquait rien qui puisse Lui déplaire. Chrysaor passa machinalement une main dans ses cheveux, à la fois tout excité à l'idée de la voir, heureux de passer une soirée avec elle, et en même temps effrayé que quelque chose n'aille pas.

Elle entra. Tout disparu et il ne vit plus qu'elle. Resplendissante, royale, pour ne pas dire divine, drapée dans un manteau de fourrure qu'elle jeta à un serveur que Chrysaor n'avait même pas vu subjugué par sa beauté. Elle scintille et illumine la pièce, ses magnifiques cheveux blond tombant derrière ses épaules, dessinant parfaitement les contours de sa robe noire qui glisse jusqu'au bas de ses jambes, et sa parure d'or renvoyant un éclat incomparable. Il ne peut s'empêcher de la regarder, de laisser son regard glisser sur tout son corps tandis qu'elle s'avance vers lui et son coeur bat rapidement dans sa poitrine, il sent cette peur qui lui tient le ventre s'accentuer alors qu'il se lève pour l'accueillir à sa table. Elle s'assoit et plonge son regard dans le sien, un sourire angélique sur les lèvres :

« Bonsoir Chrys. J’espère que tu n’as pas attendu très longtemps. »

Son coeur manque un battement lorsqu'elle prononce son nom. Chaque seconde loin d'elle est un supplice, mais désormais elle est là, et il se perd dans son regard bleuté. La peur est envolée, il se sent bien et il lui sourit en retour.

« Bonsoir Harmonie. Tu es sublime. » lui répondit-il absorbé par son visage alors qu'un serveur leur apporte des cartes. « Prends tout ce qui te fait plaisir. J'espère que tu aimes l'endroit. »

Le choix du lieu avait quelque peu embêté Chrysaor. Il ne savait pas si elle préférait un restaurant du monde mortel ou non, si elle voulait la discrétion ou le luxe, et il avait opté pour le luxe, car ne l'oublions pour, rien n'est trop beau ni trop cher lorsque l'on aime.

« Bonsoir Harmonie. Tu es sublime. » La salue-t-il et elle baisse un instant les yeux en affichant un sourire ravi. On lui a déjà dit qu’elle était belle, mais dans la bouche de Chrys les mots prennent tous leurs sens. Il n’y a que son avis qui compte. Il n’y a que lui qu’elle veut éblouir. Elle relève les yeux vers lui et détaille son visage taillé à la manière d’une statue grecque, son regard électrique, son costume parfaitement taillé. Elle pourrait passer des heures à le contempler, sans rien dire, juste apprécier sa beauté. C’est un serveur qui la ramène à la réalité et c’est à peine si elle lui adresse un regard quand elle saisit les cartes qu’il leur tend.

« Prends tout ce qui te fait plaisir. J'espère que tu aimes l'endroit. »

Elle hoche doucement la tête sans se détacher de son sourire. C’est plus fort qu’elle, elle ne peut pas s’empêcher de sourire quand elle se trouve avec lui. Sans lui, sa vie est fade, monotone. Qu’est-ce qu’aurait dit l’Harmonie d’avant, celle qui ne cherchait que l’indépendance et rabaissait en permanence les hommes ? Tout avait changé depuis qu’il était entré dans sa vie.

« C’est l’endroit idéal. » Souffle-t-elle en observant négligemment les alentours. Le restaurant est la définition même du luxe. Que ce soit les lustres en cristal au-dessus de leurs têtes, la richesse des décorations, même la tenue des serveurs est signée par un créateur. Harmonie aime la richesse et la beauté – ça lui rappelle l’Olympe, mais en mieux. Ici, elle se sent important. Ça ne vaut pas le regard de Chrysaor posé sur elle, mais ça lui plaît assez alors les deux combinés forment un équilibre parfait. Elle joue avec l’une de ses mèches de cheveux tout en parcourant distraitement la carte où les zéros s’alignent en-dessous des mets les plus raffinés. Tout ça lui est bien égal tant qu’elle est avec lui mais elle apprécie l’effet grandiose de ce rendez-vous. C’est leur univers, ce qui leur correspond le mieux. Leur couple est parfait, il faut bien un endroit à la hauteur.

« Je suis vraiment ravie de te voir. Si tu savais comment je m’ennuie sans toi… » Elle pose la carte sur la table, ayant trouvé un plat qui lui semblait attrayant même si pour elle se nourrir est quelque chose de superflu. Elle tient à profiter du moment présent le plus possible. « Comment as-tu trouvé l’adresse de ce restaurant ? » Demande-t-elle, curieuse de savoir tandis que le serveur revient vers eux pour prendre la commande. Après avoir laissé Chrysaor commander en premier, elle se tourne vers le serveur et répond. « Ce sera des tagliatelles aux truffes noires pour moi. » Elle lui tend le menu avant de rediriger son regard vers son partenaire, sentant son cœur tambouriner dans sa poitrine.

Chrysaor la regarde alors qu'elle saisit la carte que lui tend un serveur que Chrysaor n'aurait pas remarqué s'il ne s'était pas approché un peu trop près d'elle à son goût. La créature émit un petit grognement sourd, et espéra que la déesse qui lui faisait face ne lui en voudrait pas de tomber de jalousie dès qu'un homme frôlait sa douce. Personne d'autre ne pouvait toucher la délicate peau de ses mains, et apprécier la douceur de son teint. Ce serveur était manifestement maladroit et Chrysaor espéra qu'il ne serait plus présent pour le reste du dîner. Reportant son attention sur quelqu'un qui le méritait vraiment, il parcourut peu la carte des plats, se contentant de choisir les trois premiers qui lui viendraient. Après tout, Chrysaor avait un estomac de géant à nourrir, et même devant Harmonie, il ne pouvait pas s'empêcher de beaucoup manger. Et puis quoi, les hommes qui mangent ça fait viril non ?

« C’est l’endroit idéal. »

Sa voix est mélodieuse et glisse dans ses oreilles comme un doux chant. Il voudrait pouvoir en garder la moindre seconde, avoir à jamais ce timbre de voix qui résonne à ses oreilles. Et ce qu'elle ajoute ensuite, ayant posé la carte pour le regarder, ne fit que renforcer la situation de plénitude dans laquelle il se trouvait.

« Je suis vraiment ravie de te voir. Si tu savais comment je m’ennuie sans toi… Comment as-tu trouvé l’adresse de ce restaurant ? »

Elle était ravie de le voir, quel doux chant, elle s'ennuyait sans lui, ô comme il voulait qu'elle ne s'ennuyât plus jamais, que tous deux ils soient l'un avec l'autre, leurs doigts entremêlés à jamais, et leur bouche si proche qu'il pourrait goûter à ses lèvres qui l'attirent d'une manière si inexplicable. Chrysaor avait passé tellement de temps à réfléchir sur l'endroit idéal, et voilà qu'elle lui annonçait qu'il était à sa hauteur, il avait été assez bien pour elle.

« Moi aussi je m'ennuie sans toi, je dépérissais de ne pas te voir... Ma seule consolation était que je pourrais te trouver le meilleur endroit pour le dîner. »

C'est alors que le serveur arrive, empêchant le jeune homme de s'épancher sur ses sentiments et de faire une déclaration des plus romantiques à sa belle. Il se retient de lui planter son couteau en plein coeur mais il bouillonne à l'intérieur. Lorsque celui-ci lui demande ce qu'il veut, il lui répond sèchementque ce sera un tartare de saumon accompagné de deux homards, puis un steack de veau braisé accompagné de foie gras cuit et de magret de canard à la sauce d'ananas, et qu'il terminera par une simple assiette de gambas et leur croustillant à la poire. Sans même lui jeter un regard, tellement il est absorbé par les yeux et les moindres gestes d'Harmonie il lui tend la carte, commandant par la même occasion une bouteille de leur meilleur champagne. Soudain elle bouge. Elle se tourne vers le serveur. Vers un autre homme. Ce n'est pas le même, mais elle lui jette tout de même un regard, bien que vif. La jalousie de Chrysaor est décuplée. Il voudrait tuer cet homme pour avoir croisé le regard d'Harmonie, de Son Harmonie. Il la voulait toute entière pour lui, ne voulait pas partager ne serait qu'une seconde, sa vue si plaisante avec un autre. Il avait tant de chance de l'avoir qu'il aurait voulu qu'ils soient tous les deux, seuls pour l'éternité.

« Ce sera des tagliatelles aux truffes noires pour moi. ».

Son choix est tellement parfait qu'il la regarde avec un sourire béat. Puis il se reprend, pour garder une tenue distinguée, il est Chrysaor et surtout, il est avec Harmonie, il ne peut pas faire de déshonneur à sa sublime invitée. Alors que l'importun s'éloigne, il se reprend à la contempler et lui demande alors, un peu hésitant, lui qui a pourtant l'habitude avec les femmes, se sentant démuni :

« Que dirais tu de passer la nuit entière avec moi ? Pour me faire pardonner de ne pas t'avoir assez vu ces derniers temps. »

Pour Chrysaor à cet instant, tout pouvait être une bonne excuse pour que le dîner terminé elle ne s'enfuit pas, pour disparaître parmi les étoiles. Il voulait lui faire visiter la ville de nuit, puis l'emmener dans sa chambre et s'allonger à côté d'elle pour la regarder dormir, alors que lui veillerait toute la nuit, incapable de penser à autre chose qu'à elle. Son coeur manqua un battement, il espérait de tout coeur qu'elle ne refuse pas, et sentit son corps se crisper dans l'attente de sa réponse.

En voyant le serveur s’approcher ainsi de la déesse, Chrysaor émet un grognement qui ne manque pas d’attirer son regard. Harmonie hausse un sourcil avant de faire le lien avec l’autre individu masculin qui a disparu sans même qu’elle l’ait remarqué – était-ce une pointe de jalousie ? Pourtant, il doit bien savoir que personne ne fait le poids face à lui. Il les bat tous à plate couture, éclipse même le charmant Apollon, tous ressemblent au terrible Héphaïstos. Comment pourrait-elle s’intéresser à un autre alors qu’il n’y a que lui qui compte, qu’en sa présence c’est à peine si elle aperçoit les autres, les considérant comme moins-que-rien ?

« Moi aussi je m'ennuie sans toi, je dépérissais de ne pas te voir... Ma seule consolation était que je pourrais te trouver le meilleur endroit pour le dîner. »

Lui adressant un sourire rassurant, elle continue de le regarder jusqu’à ce que le serveur arrive et qu’elle passe sa commande. Reportant aussitôt après son attention vers lui une fois l’autre détail éloigné, et se perd quelques instants dans sa contemplation. Si sa mère lui avait dit un jour qu’elle tomberait aussi éperdument amoureuse de quelqu’un ! Après son mariage désastreux et tous les malheurs qu’il avait engendré elle n’avait plus jamais cru au grand amour, se contentant de mépriser le genre masculin comme s’il était responsable de toutes ces catastrophes. Aujourd’hui, elle regardait l’Harmonie du passé avec un sourire amusé. L’amour vous tombe dessus quand vous vous y attendez le moins. Elle avait rencontré Chrys et tout son monde avait changé. Désormais elle ne souhaite que vivre pour lui, être à ses côtés pour le reste de l’éternité. Au diable les guerres et conflits futiles qui disparaissent quand elle est avec lui. Sans lui, le monde perd tout intérêt, devenant fade et monotone. Il est sa source de lumière et de joie infinie. C’est lui et seulement lui.

« Que dirais tu de passer la nuit entière avec moi ? Pour me faire pardonner de ne pas t'avoir assez vu ces derniers temps. »

Aucune autre question ne peut lui faire davantage plaisir car quand elle est avec lui, ce qu’elle craint le plus est le moment douloureux de la séparation, quand elle ne sait pas quand elle pourra le revoir. Savoir ainsi qu’elle peut gagner quelques précieuses heures à ses côtés la comble ainsi de bonheur, elle ne peut pas en demander de plus. Sans réussir à cacher son enthousiasme, elle hoche plusieurs fois la tête tandis qu’un sourire peut-être un peu trop béat étire ses lèvres rouges.

« Je ne demande pas mieux que ça. En espérant que cette nuit dure l’éternité. » Une ombre passe sur le côté et l’on verse un liquide doré dans les deux coupes posées sur la table qui les sépare, un éloignement devenant presque trop douloureux pour Harmonie. Pas besoin de goûter pour savoir qu’il s’agit d’un excellent champagne – le prix indiqué sur la carte parle pour lui-même. Elle saisit l’une des coupes, considère le liquide pétillant quelques instants avant de boire quelques gorgées, sentant immédiatement une douce chaleur se répandre dans son corps. Oh, ce n’est pas du nectar, cela ne lui fera aucun effet. C’est plutôt le fait d’être là avec l’amour de sa vie qui la transporte ailleurs, dans un état qu’aucun alcool ni drogue ne peut atteindre.

« Tu as trouvé le meilleur endroit. Mais si je peux me permettre, c’est toi qui rajoute tout son charme à ce lieu. » Dit-elle en posant ses deux coudes sur la table, espérant réduire l’espace qui les sépare ainsi.

Chrysaor se perdit dans la contemplation ébahie de sa belle. En réalité il n'en revenait toujours pas d'avoir eu la chance d'être choisi par Harmonie. Parmi toutes les hommes qui peuplaient cette terre, les créatures et les dieux par centaine, elle avait porté son choix de déesse sur son humble personne. Il ne se sentait pas à la hauteur pour elle, se sentait si petit, si insignifiant. Il savait qu'elle lui donnait de l'importance, mais il craignait toujours qu'un autre ne la lui vole, que son amour lui soit retiré, que ce manque vienne creuser un trou béant dans son coeur. Elle hoche la tête plusieurs fois pour acquiescer. Serait-ce un oui ? Et ce sourire qui lui fait perdre la tête et fait battre son coeur encore plus vie. C'est un oui alors ?

« Je ne demande pas mieux que ça. En espérant que cette nuit dure l’éternité. »

L'homme savoure chaque parole qu'elle lui offre, comme le plus beau cadeau qu'on puisse lui faire. Passer l'éternité avec Harmonie, ce serait... ce serait la perfection à chaque instant, rien ne pourrait le rendre plus heureux que de l'avoir pour lui, sans qu'aucun homme ne puisse jamais rivaliser avec lui. Et elle, elle, ce n'est pas une déesse, elle est bien plus, elle vaut mieux que leurs vulgaires querelles et leur sentiment de supériorité, elle est supérieure, elle est plus belle encore que la beauté incarnée, elle fait chavirer son coeur à chaque mot qu'elle prononce, il veut l'enlever, partir avec elle, seul pour toujours, dans cette éternité qu'ils ne partageraient qu'à deux. Chrysaor ne perçut même pas l'homme qui était venu apporter le champagne, peut-être avait-ce été une femme d'ailleurs, tant il était occupé à observer Harmonie. Cette dernière avait attrapé son verre qui s'était retrouvé miraculeusement plein et elle buvait désormais. Chrysaor chercha sa propre coupe sur la table, sans réellement regarder ce qu'il faisait. Elle incline légèrement la tête en arrière pour boire de façon distinguée, mais elle lui dévoila tout de même un peu sa gorge, et Chrysaor fut soudain pris de l'envie de la couvrir de baisers. Son corps s'enflamme. L'espace de la table qui la sépare de lui est un gouffre qui le met au supplice. Il voudrait renverser la table et les mets qui vont être apportés, pour la saisir dans ses bras et caresser sa douce peau, baiser ses mains, ses lèvres, son cou. Le désir le prend si soudainement qu'il a du mal à se contenir. L'alcool qu'il boit finalement ne l'aide pas à se calmer, il a chaud mais ce n'est pas à cause du champagne, il ne tient plus en place, ses membres fourmillent de l'envie de partir tout de suite, pour trouver un coin plus tranquille et savourer l'amour d'Harmonie et la joie, l'extase, de ne l'avoir que pour lui, loin des regards mortels désobligeants.

« Tu as trouvé le meilleur endroit. Mais si je peux me permettre, c’est toi qui rajoute tout son charme à ce lieu. »

Il retient son souffle comme dès que les mots franchissent ses belles lèvres rouges. Son corps frissonne à nouveau alors qu'elle se penche un peu au dessus de la table, posant délicatement ses coudes dessus. On leur apporte finalement leurs plats, ce qui force la demi-déesse à se reculer pour laisser place à son immense assiette. Chrysaor, quant à lui, regrette le choix de ses plats. Il a besoin d'énormément manger, mais chacun de ses plats le force à rester plus longtemps dans cet endroit alors qu'il voudrait le fuir. Il maudit les serveurs qui s'enchaînent, espère qu'ils vont vite les laisser seul, et chaque imperfection de ce monde lui saute au yeux, le prend à la gorge. Alors il reporte sa pleine attention sur la seule perfection qui l'apaise et le transporte dans un état euphorique.

« Ces mortels ne sont pas dignes de poser les yeux sur toi. »

Lui confie-t-il alors, frustré qu'ils puissent ainsi la regarder sans comprendre à quel point elle leur est supérieure, et pleinement jaloux que d'autres puissent voir en elle cette tendresse extrême qu'il voudrait lui donner. Elle se saisit de ses couverts et jette un oeil à son assiette. Il n'en faut pas plus à Chrysaor pour entamer ses multiples plats. Il n'en laisse rien, mais pendant toute la durée du repas, ne peut quitter Harmonie des yeux. Son nom lui va si bien, elle est l'incarnation de l'harmonie qui règne, partout où elle se trouve, tout semble apaisé, parfait, heureux. Il se lève finalement, ne pouvant plus se contenir d'être si loin d'elle, et fait le tour de la table alors que chaque pas qui le rapproche d'elle le brûle.

« Sortons veux-tu, je ne peux supporter que tu me sois si proche sans que je ne puisse te toucher. »

Il lui tend une main dont il espère qu'elle va se saisir, pour l'aider à se lever, alors qu'il redoute ce contact qui, il le sait, va enflammer non seulement son corps mais aussi tout son désir qu'il contient depuis des heures.